lundi 21 mars 2011

Chemin vers Nouméa : mon cœur déchiqueté; mon cœur recomposé

En route vers Nouméa, j'ai pu admirer l'ile sertie dans le lagon. A mon arrivée, il y a cinq semaines, j'étais trop fatigué pour être en mesure de la contempler du ciel. Au moment de l'élévation vers l'azur, l'ile se pare d'atours verts et bleus. Au vert foncé de la végétation de l'ile se succède le bleu du lagon avec de vastes parcelles de vert clair et translucide, couleurs révélatrices de la traversée du soleil dans l'eau et de la profondeur du lagon. Puis au delà de la barrière de corail, le bleu intense, uniforme et infini de l'océan. En portant mon regard au loin, je tente de scruter la ligne de démarcation entre la mer et le ciel, mais même avec mes lunettes, je n'y parviens pas.

Tout au long du périple, les nuages ont composé un ballet mouvementé et varié. Je lisais pendant le vol et à chaque fois que je levais les yeux pour regarder l'extérieur depuis le hublot, le paysage offert s'était métamorphosé. Au début, quasi absence de nuages. Soudain foisonnement.
Juste avant l'étape de Nandi à Fidji, annonce d'une dépression et l'avion pénètre une vaste zone nuageuse, informe et grise. Après le réembarquement, les nuages se multiplient à nouveau, tout en s'éparpillant et forment deux couches distinctes. A la fin, ce sont même trois strates qui se superposent. Une fine bande orangée à l'horizon, annonciatrice de la nuit, permet vers la fin du voyage de visualiser la frontière entre le ciel et la mer.

A ce moment précis, une belle hôtesse de l'air passe, rejoignant l'arrière de l'avion. Je lui fais un grand sourire, elle ne me kiffe pas et continue son chemin, hautaine et indifférente : un désespoir incommensurable m'envahit, mon cœur s'alourdit, s'alourdit dans ma poitrine, il pèse désormais un quintal ; je comprends que je dois m'en débarrasser ; je donne un coup de coude violent contre le hublot qui se brise avec fracas, je monte sur l'aile gauche de l'avion ; me voici en équilibre précaire, mes joues, mes lèvres se décomposant sous l'effet du vent frénétique; j'avance tel un triste et vieux funambule pour éviter la chute ; au milieu de l'aile, je m'assieds et je laisse mes jambes se balancer dans le vide vertigineux ; j'extrais mon cœur de ma poitrine, les jointures de mes mains craquèlent sous l'effort, je suis obligé de briser ma cage thoracique, de déchiqueter toutes les attaches qui mènent au cœur ; tout mon corps se vrille ; enfin, je l'ai en main, il bat encore, rougeoyant, à un rythme effréné ; je le projette avec toute la force qui me reste, il s'écrase sur la terre, desséchant la mangrove aux alentours ; j'aperçois quelques morceaux qui s'éparpillent ; sous la force de l'impact, une vaste clairière se forme ...
Je rentre dans l'avion, très discrètement. Personne ne s'est aperçu de mon manège.
Je me dis, à l'heure où j'écris ces lignes, que vous doutez certainement, que vous avez sans doute du mal à croire mon récit. Fort heureusement, je vais vous convaincre puisque j'ai une preuve. Nous avions fait un détour et nous survolions la rivière de Voh. Yann Arthus-Bertrand, qui visitait à ce moment précis la région, prend une photo de l' impact :

Mon coeur dans la mangrove

L'avion atterrit. Vers la sortie, je croise à nouveau l'hôtesse de l'air qui me déclare avec un sourire étincelant « Au revoir, à bientôt ». Mon cœur, à ces mots, autrefois, aurait bondi comme un kangourou, mais je demeure inerte et insensible. De cœur, je n'en ai plus, je ressens un immense vide, une sensation de non-être. Au fond de ma conscience, mon entendement perçoit que je me suis laissé emporter, je commence à regretter mon geste...
Je comprends qu'avant qu'il ne soit trop tard, je dois récupérer mon bien : je sors de l'aéroport et je cours comme un égaré, un dément à travers routes, rivières et végétation; mon cœur ne bat plus la mesure, je ne suis soumis à aucune contrainte, je peux courir à un rythme insoutenable ; toutefois, nul plaisir dans cette course et nulle souffrance, hélas ; un instinct invisible me guide d'une main sûre et confiante vers le lieu de l'impact ; au milieu de la clairière, je visualise le cratère dans lequel repose ma propriété ; quelques autres débris gisent ça et là, sur la terre salée, et je recompose ce cœur désagrégé comme un puzzle ; ô merveille, il bat encore mais si faiblement, son écho est à peine perceptible ; je sais qu'il ne me reste que peu de temps avant qu'il ne s'éteigne définitivement ; je rebranche avec une précision chirurgicale chacun des liens du cœur, les valves, les veines, vite, vite, les ventricules, avec le reste du corps ; et trois secondes avant l'ultime échéance, le voici fixé, il reprend vie, les pulsations violentes et désordonnées reprennent, il bat la chamade...
Il ne me reste plus qu'à recoudre lentement mon thorax déchiré. Immense respiration, qui traduit mon soulagement intérieur. Je peux enfin repartir vers Nouméa, avec ce cœur usagé mais réparé.

Moralité : tu n'as qu'un cœur, préserve le ;-)

2 commentaires:

  1. Büyük hanim ve küçük hanim28 mars 2011 à 09:05

    Yep, ça m'a fait un peu pareil dans le petit train à Dunkerque ;-)
    désolée de briser cette envolée poétique.
    J'espère que tu va bien, et qu'aucun nuage (enfin panache quoi) ne t'est monté à la tête.
    Biz

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  2. Yep, je veux une preuve pour le train de Dunkerque puisque moi, j'en ai une...
    Ils évoquent un nuage sur la France et ils ne parlent pas du tout de Wallis. Mais mon intuition, c'est qu'il y a tout simplment pas de mesure ici à Wallis ..
    A++

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