mercredi 31 août 2011

La fête de l'Assomption et danse du village de Mata-Utu

Le culte marial est très populaire sur l'île, les statues représentant la Vierge Marie sont tout aussi nombreuses que les statues de Jésus crucifié. Ce sont les frères maristes qui ont contribué à rendre ce culte omniprésent. La fête de l'Assomption du 15 août qui célèbre "l'élévation au ciel" de la mère de Jésus, est une fête capitale pour Wallis. Le nom de la cathédrale est d'ailleurs Notre-Dame-de-l'Assomption de Mata'Utu.

En arrivant à la fin de la messe, j'ai croisé les Wallisiens très nombreux qui sortaient de la cathédrale ainsi que deux amies avec qui j'ai entamé une discussion. Elles m'ont fait remarquer les changements sur la statue de la Vierge Marie qui trône au dessus de la façade de la cathédrale. Elle avait été parée de vêtements traditionnels wallisiens, avec des fibres de bourao dont la couleur vive tranchait avec la couleur grise de la sculpture et le ciel légèrement assombri.



La statue de Notre-Dame dans le ciel de Wallis

Comme à chaque fois, religion et coutume se mélangeaient puisque le traditionnel Katoaga succédait à la cérémonie religieuse. Près de 80 cochons parsemaient la place Sagato Soane, rangés en deux blocs distincts entre lesquels se sont intercalés les villageois qui participaient à la cérémonie.  Ils étaient revêtus de vêtements similaires à ceux qui ornaient la statue. J'ai trouvé que l'assemblée était particulièrement clairsemée.
Les cochons sont l'aspect le plus impressionnant du Katoaga, mais ils ne constituent que l'aspect le plus visible de l'échange cérémoniel de la fête. L'un des cochons éviscéré reposait sur une pile d'offrandes tels que des sacs de riz, de farine et des boîtes de sodas.  En plus des cochons morts, quatre cochons vivants étaient enfermés dans des cages surmontés de palmes de cocotiers. Ils pouvaient observer à travers les barreaux leur future destinée de cochon offert en offrande cérémonielle. Cette vision de l'hécatombe prochaine ne semblait pas les troubler outre mesure ...


Cochon couché dans la cage

Après la cérémonie du kava et la distribution des cochons aux notables présents, une procession s'est avancé sur la place. Ils marchaient très lentement, en entonnant des chants religieux wallisiens où retentissait fréquemment le nom de Malia (Marie en wallisien). Ils portaient  sur leurs épaules d'autres offrandes, des paniers remplis de taros et d'ignames, des nattes, ainsi que deux cochons vivants suspendus à une perche par des attaches solides. Ils ont déposé ces dons aux pieds du lavelua de Wallis, et l'évêque a prononcé une bénédiction.

 
Cochon de la procession

Nous avons été conviés ensuite à partager un repas à la maison paroissiale. Comme à chaque fois, la table débordait de mets divers et de boissons : salades composées, viandes de porc, cuisses de poulet, poissons grillés, jus de fruits, sodas, vins ... Une immense loche de plus de 50 cm trônait sur la table, personne n'a osé y toucher au cours du repas. La quantité de nourriture présente aurait été suffisante pour trois ou quatre assemblées. A chaque fois que j'assiste à ces repas pantagruéliques, je ne peux m'empêcher de penser aux banquets qui terminent les histoires d'Astérix, sans doute aussi à cause de ces cochons, sangliers domestiqués, présents tout au long des fêtes. Doté d'une voix épouvantable, je me suis abstenu de déclamer tout chant au cours du repas, de peur d'être bâillonné et suspendu à un arbre comme Assurancetourix ;-) A la fin des agapes, une pluie diluvienne s'est abattu sur l'île et nous avons attendu à l'intérieur que les cieux se calment.

Ces fêtes se terminent en règle générale par des danses traditionnelles de village. Les danseurs du village à l'honneur, en l'occurrence Mata'Utu, ont pris place en se disposant en demi-cercle. Les personnes placées à l'extrémité restent debout tandis que les autres, plus âgées ou très jeunes, restent assises. Les danses sont rythmées par des chants, chacun des danseurs exécute une chorégraphie imposée à tous avec essentiellement des mouvements des avant-bras, répétitifs et monotones.


Danse du village de Mata'Utu

Une seule danse peut durer des heures, mais elle est ponctuée par des pauses régulières. Ce qui intrigue pendant ces danses est la circulation de l'argent. En effet, les notables qui ont reçu des dons au début du Katoaga distribuent de l'argent aux danseurs, en règle générale des billets de 1000 F pacifique, qu'ils glissent dans les vêtements, qu'ils épinglent sur les cheveux ou qu'ils mettent dans une corbeille située devant la maîtresse de cérémonie, disposée au centre des danseurs. Les proches des danseurs sont également conviés aux dons d'argent. Il paraît que la coutume de distribuer de l'argent remonte à la présence des Américains en 1942, alors qu'autrefois on offrait du tabac ou un manu.

Ce jour-là, je n'ai pas assisté plus d'une vingtaine de minutes à la danse car la pluie a recommencé à se faire très menaçante. J'ai vite filé sur mon scooter vers la maison et je me suis retrouvé confronté à un véritable déchaînement du ciel sur le chemin. Je pense qu'il aurait été plus prudent que je me mette à l'abri, mais je n'en ai aperçu aucun sur la route, j'ai continué à une allure d'escargot. C'était une véritable pétarade sur mon casque, les gouttes de pluie retentissaient comme de gigantesques pleurs sur ma chair et s'écoulaient tout le long de mon corps. Les chocs assourdissants que je percevais sont devenus lentement un bruit continu et effrayant. Je suis arrivé sur le sentier en terre de la maison, ma roue arrière a dérapé, j'ai rattrapé au dernier moment la chute de l'engin en posant pied à terre. J'ai réussi à atteindre la véranda, j'avais échappé à la colère des cieux.


mercredi 24 août 2011

Plongée de nuit à l'îlot de la Passe : Comatules et Murènes (... suite et fin)

Les hymnes des murènes en fuite

Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine

Voici l'hymne de la première murène qui s'éleva dans la nuit étoilée de Wallis. La murène s'enfuit en projetant ces paroles et dans sa fuite éperdue propulsa ces mots en jets d'écume vers le ciel immense. Elle me chanta que le temps s'écoule irréversiblement, que nous ne cessons de traverser les ponts de notre vie pour passer d'une rive à l'autre, que nous laissons à chaque fois d'anciens souvenirs comme de vieilles peaux de serpents sur les berges du passé, qu'elles pourrissent lentement pour devenir de la poussière enchantée qui sera emportée par le vent. Elle me murmura que le courant de la joie est bien plus profond et puissant que celui de la peine, que le désir amoureux à la semblance du phénix meurt le soir pour renaître au matin, qu'il est un soleil qui plonge dans l'océan, gorgé de stigmates, de regrets,  déployant dans le ciel les couleurs intenses de notre ancienne passion,  mais que vient le temps de la résurrection, de la lumière du matin célébrée par les coqs, neuve, translucide, s'élevant  à l'est. Son hymne s'effaça pour faire place au suivant ...

Passons passons puisque tout passe
Je me retournerai souvent

Les souvenirs sont cors de chasse
Dont meurt le bruit parmi le vent

La deuxième murène se contorsionna en s'échappant, je voyais sa tête à chaque fois dans chacune de ses torsions dans l'eau vive du lagon. Elle me siffla mélodieusement le chant des départs, que tout passe dans nos existences, tout s'éclipse et s'envole. Écoute, écoute me dit-elle les vents alizés qui déferlent autour de toi, tu y entendras les échos du présent de ton passé, mets ton cœur au diapason des accords des cors de chasse, il vibrera aux échos étourdissants de l'instrument. Chasse toute amertume, me dit-elle, laisse ton corps résonner somptueusement, puis lentement le bruit voluptueux du cor mourra en toi, comme meurt toute chose ici bas. Je dis à la murène que je n'y arrivais pas, que mon coeur-tambour au lieu de faire mourir ces sons s'en imprègne, se métamorphose et boum boum les répercute dans la nuit infinie de Wallis, je lui narrais mes souvenirs mais elle ne m'écouta pas, elle s'était déjà évanouie. Survint la troisième murène ... 

 La grande force est le désir
Et viens que je te baise au front
O légère comme une flamme
Dont tu as toute la souffrance
Toute l’ardeur et tout l’éclat

Elle me jeta un regard foudroyant quand nous la surprîmes derrière une roche. Sa robe d'un vert pâle s'enflamma sous la lumière de nos lampes lorsqu'elle se sauva en jaillissant hors de l'eau. Mais son chant surgit, haut et distinct : Danse, danse dans les flammes du désir, la vie est double dans les brasiers. Parfois, je m'y précipite, lui dis-je, je  brûle, ma peau se craquèle, crépite, la souffrance m'envahit. Elle me dit : " Persévère dans l'ardeur, c'est le seul moyen de s'élever vers les lointaines collines, de briller dans tout l'éclat du jour.". Je ne la voyais déjà plus, je lui dis viens me baiser au front de tes lèvres délicates, apprivoisons-nous. Je n'ai pas le temps, je n'ai pas le temps, me lança-t-elle, je dois m'en aller, je dois nager, m'envoler vers d'autres fonds marins. Je te ferai parvenir les éclats de mes baisers qui perforeront l'espace comme des sabres. Ondes longitudinales, ondes transversales, leurs vagues successives te parviendront, sois sans crainte. Seul un cœur apaisé peut les percevoir, ferme les yeux, tu capteras dans l'espace-temps de ton cœur-esprit les frémissements de notre union éternelle ...

Et des mains vers le ciel pleins de lacs de lumière
S'envolaient quelquefois comme des oiseaux blancs

Le désir de l'envol est tapi au fond de ta conscience, c'est une véritable tourmente, me fredonna la quatrième murène dans sa fugue. Je connais tes songes les plus enfouis, les plus secrets. Tu rêves de t'envoler plus haut que nul n'a jamais volé, de transpercer les nuages, de t'installer au cœur de ceux-ci pour admirer les vastes étendues du ciel limpide, de voguer à travers le globe en épousant la respiration du vent, d'admirer la lune, immense lac-miroir étincelant, bercé dans le duvet vaporeux des nuées, de descendre les toboggans des arcs-en-ciels, cinglé par les gouttelettes de pluie colorées. Je lui répondis que mes deux pieds étaient vissés au sol, que jamais je n'étais parvenu à échapper à son emprise, à sa gravité, malgré mes efforts désespérés. Avant de disparaître, elle me suggéra : " Tends tes deux mains paumes ouvertes vers l'azur, mets ton cœur en accord avec le monde qui tourbillonne et ton âme s'envolera comme un oiseau blanc ..."


Jésus et moi continuâmes à marcher,  à nous approcher de la barre d'écume du récif corallien. Nos pieds pataugeaient dans l'eau, qui montait au fur et à mesure de notre avancée. Le platier à cet endroit est constitué de sable boueux mais surtout de petites roches parfois extrêmement coupantes. Nous devions nous déplacer avec précaution, sous la lumière de nos lampes qui nous précédaient sur le chemin. Certaines vagues s'élevaient au delà de nos genoux et nous faisaient vaciller un bref instant. J'étais inquiet, je me rassurai en me disant que j'étais avec Jésus, que je ne pouvais rien craindre ... Il me montra des petits trocas accrochés aux rochers. A l'intérieur de la coquille, la chair brillait d'un éclat nacré. Ils étaient tous trop petits pour la consommation, nous les avons reposés. Jésus trouva un petit oursin, cramponné sous une roche. La recherche de crustacés et mollusques se révéla rapidement dangereuse, les bottines de Jésus trouées et usées prenant l'eau. Nous retournâmes sur nos pas, et trois autres murènes se dressèrent sur le chemin du retour.

Rien n'est mort que ce qui n'existe pas encore
Près du passé luisant demain est incolore

La murène se déplaçait cette fois-ci plus lentement que les quatre premières, elle mesurait plus de cinquante centimètres, elle avait plus de mal à trouver son chemin dans l'eau entre les roches , nous pûmes la voir très clairement avant qu'elle ne s'esquive. Sa prière chantée retentit dans l'espace, elle évoqua le futur inerte, sans vie. Pas d'attente inutile, pas de lendemain qui chante, il faut chanter la grâce de l'instant présent, traversée par la couleur éphémère des arcs-en-ciels. Le futur est le néant, sans saveur, sans odeur, ne vis pas les yeux fixés sur l'horizon, demain la mort se présentera à toi avant que tu n'y prennes garde. Elle me chuchota que l'existence n'est traversée que par le présent, qui est un don miraculeux si tu sais t'éveiller à lui. Ouvre les yeux, contemple autour de toi les lucioles suspendues, magnifiques torches du passé, qui vibrionnent dans l'air. Même ceux que tu as aimés, qui ne sont plus, que tu as tant pleurés palpitent encore dans ton esprit, laisse-les se déployer en toi, leur chaleur te réchauffera ...

Avec ses quatre dromadaires
Don Pedro d'Alfaroubeira
Courut le monde et l'admira.
Il fit ce que je voudrais faire
Si j'avais quatre dromadaires.

Le désir des voyages tourmenta Don Pedro, originaire d'Andalousie, me dit la sixième murène. Elle me chanta son histoire : A un âge très avancé, il s'en alla parcourir le monde, juché sur la bosse de ses quatre dromadaires. Il les avait prénommé "Nord", "Sud", "Est" et "Ouest", il en prenait un chaque matin pour monture en fonction de la direction qu'il choisissait, et chargeait les trois autres de ses affaires. Il se laissait bercer et balancer par le rythme nonchalant de leur marche, continuant parfois ses déambulations même la nuit, en se laissant guider par les étoiles. Il se nourrit de la splendeur du monde puis il revint plein d'usage et raison vivre avec sa famille et ses amis le reste de son âge. Je lui répondis que moi aussi, j'aurais voulu avoir ces quatre dromadaires afin d'entreprendre le tour de la terre. Je les ai cherchés en vain dans la cage des méridiens, je me suis rabattu sur les avions du ciel, les bateaux de l'eau, les trains de la terre. Elle me dit peu importe le flacon tu auras l'ivresse, mais uniquement si la joie est déjà en toi.  Cette murène était aventureuse, je la vis bondir au delà de la barrière d'écume blanche du lagon, s'acoquiner avec quatre baleines à bosse, et entamer ses voyages en les chevauchant tour à tour ...

Moi qui sais des lais pour les reines
Les complaintes de mes années
Des hymnes d'esclave aux murènes
La romance du mal aimé
Et des chansons pour les sirènes

L'hymne enchanté de la dernière murène, dans un subtil décalage, explosa dans la nuit lumineuse de Wallis. Le poisson-serpent dans sa dérobade expulsa des centaines de gouttes d'eau qui s'élancèrent vers les nues et scintillèrent comme des étoiles. Elle me chanta toutes les chansons, toutes les plaintes amoureuses des amants esseulés. Elle me dit que l'amour est un esclavage aux barreaux de chair, mais qu'au centre de celui-ci la liberté rayonne, et tour à tour tu seras esclave et maître. Que l'amour est dévoration mutuelle et respectueuse de la chair adorée entre deux âmes égales, entre deux esprits sœurs, esprits frères, mais le sentiment amoureux profite de la chair pour s'imprimer avant tout au fer rouge dans nos âmes. Que les hymnes d'esclaves, les complaintes malheureuses et les chansons illuminées pour les sirènes ou les reines sont tissés de la même étoffe, celle de la pulsation violente et somptueuse de la vie. Que tels des comatules, nos amours peuvent se déployer dans les recoins obscurs de notre conscience, craignant la lumière du regard des autres, ou celle de la vérité mais qu'elles resplendissent à tout jamais dans nos cœurs, pour peu que l'on en extraie le venin de la frustration. Et n'oublie pas, n'oublie pas, toute fin est un commencement, me cria-t-elle. La murène éclairée par nos lampes disparut en me jetant un dernier regard de tendresse, puis elle se confondit avec l'eau translucide du lagon. Peut-être se transfigura-t-elle au loin en sirène ...

Lune et marées

Nous sommes revenus prendre place auprès du feu, qui continuait à crépiter doucement. Je me suis étendu sur une natte, j'écoutais distraitement les conversations, je regardais fasciné au dessus de moi la pleine lune qui resplendissait au zénith. Les nuages passaient parfois devant l'astre mais il me semblait qu'ils s'effilochaient à chaque fois, déchirés  par sa douce lumière. Je l'ai contemplée longuement avant que je sente le sommeil envahir mes paupières. Je suis allé me coucher dans le hamac, et comme à chaque fois les débuts furent difficiles. L'avantage de l'îlot de la Passe est l'absence de moustiques, liée à un vent qui souffle régulièrement et les éloigne. Toutefois, j'avais oublié de prendre un petit pull pour me protéger du vent, je me recroquevillais à l'intérieur de la toile tendue du hamac en raison du froid. Je me suis levé à un moment donné de la nuit, l'esprit noué et fatigué. Je me suis approché de la rive est, la lune avait basculé sur l'autre versant, seules quelques étoiles scintillaient à l'horizon.  Je me suis assis sur le rivage, la marée s'était inversée et les vagues montaient vers moi, elles venaient mourir non loin de mes pieds posés sur les cailloux. J'ai respiré lentement au rythme du flux et reflux de la marée, expirant lorsque les vagues se retiraient, inspirant quand elles s'élevaient vers moi, pour évacuer la tristesse et la tension de mon corps-océan. Je suis allé me recoucher, je suis arrivé à me rendormir par intermittences, ouvrant les yeux brusquement puis me rendormant à chaque fois progressivement.

Matinée et jeux

Je me suis réveillé vers 7h, je percevais les rayons du soleil à travers mes paupières et j'entendais une vague agitation autour de moi. Le petit déjeuner était prêt pour les membres de l'association qui devaient plonger le matin aux aurores. En fait l'exploration au lever du soleil, réservée principalement aux débutants, avait été retardée par le moniteur en raison du très fort courant qui sévissait dans la passe. Nous avons pu prendre le repas ensemble. Stanley nous a démontré ses talents de magicien. Il découpait les tranches de brioche devant nous, elles étaient englouties en moins de dix secondes dans nos estomacs. Apparition ... disparition ;-) 
Après le repas, j'ai lézardé pendant quelques heures, allant me recoucher de temps en temps, davantage pour être bercé par les douces oscillations du hamac que pour dormir. Vers 10 h, nous avons aidé les jeunes qui s'apprêtaient enfin à plonger à enfiler leurs gilets lestés des bouteilles. Nous les avons attendus en causant dans le coin cuisine.
La marée étant de nouveau descendante, la fenêtre de tir pour quitter l'île sur le bateau était passée, il a fallu attendre encore quelques heures. J'en ai profité pour me baigner quelques instants dans l'eau. A mon retour, j'ai vu la fille de Benoît et celle de Pascal qui jouaient avec des minuscules bernard l'ermite. Elles s'amusaient à enlever le crustacé de leur coquillage, puis à le remettre à l'intérieur de sa carapace. Je leur ai proposé de participer à une course de bernard l'ermite. Nous étions assis sur une natte avec une couture au milieu qui symbolisait la ligne d'arrivée, nous disposions les crustacés à une vingtaine de centimètres de celle-ci et ... à vos marques prêts partez. Les animaux tôt ou tard sortaient de leurs coquilles et filaient plus ou moins vite droit devant. La fille de Benoît gagnait le plus souvent.  J'en ai eu assez de perdre, j'ai donné une légère pichenette au moment du top départ sur la coquille de mon champion qui a valsé, franchissant victorieusement la ligne en première position. Elles étaient indignées et m'ont accusé d'avoir triché, j'ai nié farouchement mais hélas, les enfants aujourd'hui sont beaucoup moins naïfs qu'autrefois ;-)

jeudi 18 août 2011

Plongée de nuit à l'îlot de la Passe : Comatules et Murènes (début...)

Arrivée sur l'îlot - Préparatifs de la plongée

L'association de plongée "Te U Hauhaulele" avait programmé une plongée de nuit en collaboration avec Pascal NICOMETTE. Je suis arrivé vers 15 h au centre de plongée. Après avoir gréé nos équipements, nous avons chargé toutes les affaires sur le bateau. Je me suis tenu à la gauche du pilote, mon visage était giflé par les gouttelettes d'écume salée, mes yeux picotaient et clignaient sous l'effet du choc. J'ai incliné la tête pour continuer à sentir la fraîcheur de l'eau ruisseler sur mon crâne.
Arrivé sur l'îlot, j'ai accroché mon hamac aux poutres d'un falé. J'ai aidé trois amis "Ho Hisse" à transporter un immense tronc qui allait servir de combustible pour le feu de bois en pleine nuit. Vers 16h30, le groupe de l'association a commencé à préparer sa plongée, mais Pascal souhaitait démarrer une demi-heure plus tard, pour émerger de l'eau en pleine nuit wallisienne. Nous sommes partis à cinq pour aller chercher les gilets de plongée et les bouteilles restés sur le bateau. Au moment de chausser mes palmes, clown maladroit, je suis tombé en arrière et "patatras" j'ai fracassé une caisse en plastique. Je suis rentré penaud dans l'eau pour récupérer mon gilet et ajuster mon masque. Immersion ...

Plongée

Le jour commençait à s'assombrir, mais on pouvait encore voir clairement devant soi. Je suivais Pascal qui glissait adroitement le long des coraux. Au seuil du tombant, je regarde vers les profondeurs. J'expire pour m'enfoncer et là, désagréable surprise, je suis confronté pour la deuxième fois au phénomène irritant du placage du masque. Lors de la descente, le volume intérieur de l'air diminue avec l'augmentation de la pression. Le masque se plaque sur le visage avec un effet ventouse, une douleur intense se manifeste au niveau du sinus et des tempes. Je l'ai décollé et soufflé très fort par le nez. L'opération que je maîtrise encore mal m'empêche d'apprécier le début de l'exploration. Mon masque s'emplit aussi fréquemment de buée, je suis obligé à intervalles réguliers de le nettoyer en l'emplissant d'eau, puis de le vider en soufflant très fort par le nez. Je me contente au début de suivre le mouvement ... Lentement, la magie de la plongée opère malgré mes petits tracas. Le lagon s'assombrit progressivement, nous longeons le tombant.
Pascal nous fait signe avec sa torche, nous nous approchons d'une petite cavité. A l'intérieur deux yeux vigilants émergent du sable, nous scrutent sans rien perdre de nos mouvements. Il s'agit d'une raie pastenague à tâches bleues. Son corps en forme de disque et sa queue en fouet reposent à moitié enfouis dans le sable. Si un baigneur lui marche par inadvertance dessus, elle s'enfuit en donnant un coup de fouet avec sa queue munie d'aiguillons venimeux sur le pied ou la cheville du malheureux. J'ai scruté mes propres pieds et chevilles, je leur ai intimé l'ordre de se tenir loin du poisson. Alors qu'elles m'avaient désobéi sur le bateau, elles se sont tenues cette fois-ci au garde à vous ;-)
La nuit s'avance, la lumière du soleil devient de plus en plus lointaine, les lampes torches deviennent indispensables. Nous furetons le long des coraux et des roches, à la recherche de la merveille qui enchantera nos yeux, qui survivra dans le palais lumineux de notre mémoire. Les faisceaux de nos lampes se croisent, se décroisent, éclairent parfois le même endroit. Pascal nous fait une nouvelle fois signe, apparition d'un poisson porc-épic couché sur le sable. Son corps est recouvert d'aiguilles effilées. En cas de sentiment de menace, il avale de l'eau dans son abdomen et ses aiguilles dissuasives se dressent dans toutes les directions de l'espace. Mais les cinq paires d'yeux qui l'observaient n'avaient rien de menaçant, il est resté tranquillement sur le sable.
Souvenir le plus mémorable de la plongée, la vision douce et délicate des comatules posées sur les fonds marins. Lorsque Catherine attire mon attention sur celles-ci, je me dis qu'il s'agit de petites touffes de brindilles végétales de couleurs variées ondulant dans l'eau, mais je perçois un léger mouvement de l'un d'entre eux.

 Comatule en dentelle

Ce sont en réalité de minuscules animaux dont le corps est doté d'un petit cône dont jaillissent dix bras fragiles qui évoquent à la fois des tentacules ou des plumes finement striées. Elles ont une activité essentiellement nocturne et se révèlent très craintives ; dès que nous les éclairions, les bras des comatules se rétractaient en boule comme les pétales d'une fleur à l'approche d'une nuit. Elles se déplacent grâce à de minuscules appendices, les "cirres", qui tels des crampons leur permettent aussi de se maintenir fermement sur les coraux et les roches. A la fois fleurs, oiseaux, étoiles de mer, elles flottaient avec délicatesse et légèreté, déployant leurs dentelles dans l'ombre, se refermant dès qu'elles percevaient la lumière.
Je scrute le côté opposé au tombant, ma torche n'arrive pas à percer l'obscurité désormais complète et inquiétante des profondeurs. Je ne perds pas des yeux mes compagnons de plongée, la lumière de leur lampe est rassurante dans la noirceur du lagon. Le faisceau lumineux de la lampe de Pascal vibre encore, il nous prévient d'une nouvelle découverte. Un magnifique perroquet s'est engouffré par une ouverture située au dessus d'une cavité, nous éclairons celle-ci, la robe du poisson brille d'un éclat vert intense, profond et lumineux. Les quatre complices s'intercalent pour observer la scène, je suis situé au dessus d'eux, leurs bulles, échos de leur respiration m'assaillent, tourbillonnent autour de moi. J'éprouve tout à coup un sentiment de perte de repère dans l'espace, une sensation étrange d'étourdissement, de lévitation, je tournoie lentement. Impression de total vide, de flottement dans le néant en moi ... Combien de temps cela a-t-il duré, je suis incapable de le dire. Je me concentre sur la lumière des lampes, je me ressaisis, j'inspire, j'expire ... C'est la fin de la plongée, nous suivons Pascal qui nous emmène sereinement jusqu'au bateau. Quand nos corps surgissent hors de l'eau, nos yeux s'emplissent de la beauté et de la grâce qui débordent du ciel. Le soleil, tapi sous sa lointaine cavité, rayonnait d'une couleur de sang coagulé et sombre à l'ouest, tandis qu'une balise verte clignait régulièrement sur un îlot au milieu de ce spectacle rougeoyant. A l'est, le disque de la pleine lune trônait au milieu de l'horizon, entouré de quelques étoiles à l'éclat particulièrement vif.
A la sortie de l'eau, accueil royal : on nous a offert un punch avec des accras, petits beignets à base de poisson confectionnés spécialement par maître Stanley. Après m'être servi (et resservi...), je vais aller enfiler des vêtements secs sous le fale et je me rapproche du versant est de l'îlot. Le vaste miroir du lagon répercute la lumière de la lune, qui elle-même reflète le soleil qui vient de disparaître définitivement. Ondes et particules, les photons me frappent à leur tour, dans un bang étourdissant ils viennent mourir et se régénérer en moi. La couleur blanche de la lune se dilue sur la surface du lagon, qui scintille comme un immense linceul reposant dans la nuit apaisée de Wallis. 

Ballade de nuit


Vient l'heure du repas. Au menu grillades et salades de riz. La veillée autour du feu s'organise, les groupes se constituent, bavardent, tandis que les enfants s'amusent en attisant régulièrement le feu avec des palmes desséchées, qui s'enflamment subitement en émettant un petit craquèlement. Jésus me propose alors de faire un petit tour du côté du platier, la marée descendante permettant de récolter des mollusques et des crustacés. Je l'accompagne dans l'idée de réaliser un petite promenade digestive. Nous nous munissons de lampes, nous longeons la plage pour nous diriger vers la frange extrême de l'îlot. Nous commençons à avancer sur le platier, nos pieds barbotent dans l'eau. Éclaboussures à chacun de nos pas. Les murènes qui veillent s'enfuient à notre approche.
J'ai contemplé ma première murène lors d'une précédente exploration. C'est un poisson en forme de serpent, dépourvu de nageoires pectorales et ventrales, à la peau lisse et sans écailles. Elle a sorti sa tête hors du trou dans lequel elle reposait et n'a cessé de nous guetter. Sa bouche est garnie de dents acérées, sa morsure est venimeuse et douloureuse ... Elle nous a guettés tout au long de notre passage au dessus de son repaire, elle était effectivement inquiétante et effrayante. J'avais découvert l'existence de ce poisson à travers la lecture d'un poème de Guillaume Apollinaire, "La Chanson du Mal-aimé", je voyais la vision magique de la murène se matérialiser sous mes yeux, un mot aux consonances étranges et mystérieuses qui surgit devant soi. J'étais enchanté par cette apparition, et même après que nous nous sommes éloignés, je n'ai cessé de détourner la tête pour continuer à la contempler. Elle aussi continuait à m'observer ...
Le nom des murènes provient du romain Licinius Muraena qui élevait ces poissons dans de grands bassins à l'époque antique. Il les avait apprivoisées et les nourrissait à la main devant ses convives. Selon une légende tenace, et sans doute fausse, certains riches propriétaires les élevaient aussi et lançaient des esclaves en pâture aux murènes, pour le divertissement de leurs convives. En réalité, les murènes sont fort craintives et n'attaquent que si elles se sentent menacées. Lors de la ballade, Jésus et moi entendions de temps en temps un bruit vif, nous éclairions l'endroit d'où s'élevait le clapotis, nous voyions les murènes s'extraire des roches, fulgurantes, propulsant des gerbes d'eau, se faufilant entre les obstacles des roches, parfois même bondissant hors de l'eau pour s'éclipser encore plus vite. Dans leur fuite, elles ont projeté des éclats de vers d'Apollinaire vers ma face ...

samedi 13 août 2011

50ème anniversaire du statut de Wallis-et-Futuna : Célébrations sous la pluie et le soleil

Les festivités du 29 juillet débutaient par une messe, on m'avait dit qu'une chorale spéciale était programmée ce jour-là. J'avais donc prévu d'assister à la cérémonie religieuse et donné rendez-vous à la cathédrale à des amis, mais Dieu ou la Nature se sont mis de la partie pour m'empêcher d'y aller... Lorsque je sors de la maison à 6h30 du matin pour me mettre sur le scooter, une très violente averse s'abat sur l'île. Je rebrousse prudemment chemin, en attendant que cela se calme un peu. Entrevoyant l'accalmie tant attendue une vingtaine de minutes plus tard, je me remets en selle. A peine le temps d'effectuer quelques dizaines de mètres, la pluie reprend de plus belle, redouble d'intensité. La pluie a été déclarée vainqueur par KO après le deuxième round, j'ai patienté à la maison...
Un peu avant huit heures, je scrute le ciel, l'éclaircie semble cette fois réelle. J'enfourche le scooter pour rejoindre les festivités. A peine arrivé sur le parking, les nuages m'ayant enfin repéré, la pluie recommence son manège. Je me réfugie à l'intérieur de la cathédrale, légèrement trempé, et j'assiste à la fin de la messe. En raison de la très grande affluence, de nombreuses personnes se tiennent debout, j'ai du mal à distinguer la cérémonie religieuse. J'observe à ma droite un jeune enfant qui tient d'une main la corde reliée à la cloche et qui attend visiblement avec impatience de pouvoir actionner celle-ci. La messe se termine, le voici agrippé à sa corde, montant et descendant pour faire retentir la cloche. L'assemblée sort par la grande porte en procession, en tête de file les anciens combattants suivis de la ministre Marie-Luce PENCHARD et du préfet.
Quatre poteaux avaient été dressés à l'extrémité de la place Sagato Soane (Saint Jean en wallisien), sur lesquels des tiges avaient été fixées. Les étoffes de manu, cousues deux par deux, se balançaient comme des palmes longues et effilées sous les rafales de vent violentes qui provenaient de l'océan. Entre les deux poteaux centraux était tendue une corde à partir de laquelle trois bandes de tissus retenues par des pinces à linge, aux couleurs du drapeau français, étaient liées entre elles par le chiffre "50".

Étoffes et drapeaux sous le vent

Les nuages et le soleil n'ont cessé de jouer au chat et à la souris durant toute la matinée. La cérémonie a débuté par un très long discours en wallisien du porte-parole du roi. Ce discours a consisté en une très longue litanie de remerciements envers les invités prestigieux de la cérémonie. Comme ils étaient nombreux et qu'il les a tous cités, le discours est devenu fleuve ... On m'a rapporté que d'après la traduction qui en a été faite à la télévision, il s'est déclaré très opposé à toute évolution du statut. La parole a été ensuite donnée à deux orateurs wallisiens, dont le président de l'assemblée territoriale.


Le moment des discours des officiels wallisiens

Je n'ai pas pu bien écouter les discours car, à intervalles réguliers, des bourrasques de pluie ont soudain cinglé et nous allions nous réfugier à l'abri sous le porche d'un bâtiment. La ministre a clos cette série de discours et là encore, la pluie et le vent se sont déchaînés pour rendre ce discours inaudible. D'après les éléments que j'ai perçu des discours, de ce que j'ai pu entendre des amis ou lire sur Internet, il m'a semblé que le débat porte actuellement sur l'interprétation de l'article 3 du statut du 29 juillet. La rédaction entière de celui-ci est la suivante : " Art. 3 - La République garantit aux populations du territoire des îles Wallis et Futuna le libre exercice de leur religion, ainsi que le respect de leurs croyances et de leurs coutumes en tant qu’elles ne sont pas contraires aux principes généraux du droit et aux dispositions de la présente loi " . Le premier orateur avait un discours très conservateur par rapport au statut, à la nécessité de la préservation de la spécificité wallisienne, tandis que la ministre de l'Outre-Mer a rappelé la primauté du droit. Il existe une contradiction interne, latente dans cet article. Celle-ci a éclaté au grand jour lors des événements de 2005 ou du conflit lié à l'électricité.


Discours de la ministre sous la pluie

Après ces discours, un petit déjeuner convivial était offert en face de la mer auquel nous avons pris part. Il s'agissait plutôt d'un repas complet puisque plats cuisinés à base de viande, de poissons, de bami étaient au menu.  A la fin du repas, Anthony et moi avons pris place à l' extrémité d'une scène sur laquelle les groupes musicaux s'étaient succédés au cours des festivités, pour assister au kava royal et au "Katoaga", ce terme désignant un grand rassemblement coutumier au cours duquel un échange cérémoniel a lieu. Élément le plus impressionnant de la cérémonie, la présence d'une quarantaine de cochons cuits dans un "umu". Ils avaient été éviscérés et disposés sur des paniers tressés en palmes de cocotiers regorgeant d'ignames. A travers deux fentes incisées au niveau de la gorge et du ventre percent des morceaux de tronc de bananier de couleur verte. Les quatre pattes en l'air, la peau grillée au feu pour brûler les poils, les cochons peuvent rester des heures sous le soleil et la pluie, gorge et ventre déployés face au ciel. Parfois, l'un des cochons repose sur deux autres, ce trio est alors recouvert d'une natte.


Trois cochons sacrifiés pour le Katoaga

Tout au long de la journée, à chaque fois que les Wallisiens passaient devant le roi, ils s'inclinaient respectueusement devant sa personne. La cérémonie du kava royal, très protocolaire, s'est déroulée avant la distribution du cochon. Pendant celle-ci, il est interdit de rester debout, de parler, de fumer. Quelques gardes revêtus d'une tenue guerrière, armés d'une lance en bois, délimitent les espaces infranchissables. Un  plaisantin s'est glissé parmi eux avant le début de la cérémonie...

Trouvez l'intrus parmi ces trois guerriers wallisiens ;-)

La racine de kava est un don symbolisant la paix et l'union. Le rituel du kava royal est réglé par un maître de cérémonie, qui dicte par la parole le passage aux différentes phases. Les Wallisiens, habillés en tenue traditionnelle, arrivent en transportant par groupe de quatre le "tanoa", récipient en bois à quatre pieds qui servira à la préparation du mélange. Ils s'installent devant le tanoa, l'un d'entre eux presse les racines tandis que son voisin verse l'eau. Ils accomplissent selon une chorégraphie bien coordonnée et stricte les gestes du rituel, au rythme du maître de cérémonie qui invoque la bénédiction sur les hommes et la nature. Le mélange est ensuite filtré avec des fibres de bourao, pour en extraire les copeaux de kava surnageant en surface.

Composition du kava royal

La boisson obtenue a été offerte ensuite selon le rang de chacun. Le roi de Wallis, le Lavelua, a été servi en premier tandis que l'invitée la plus prestigieuse, en l'occurrence la ministre, a bu le kava en dernier. Compte tenu du nombre très important des invités, la délégation de Nouvelle-Calédonie étant particulièrement imposante, la cérémonie de distribution a traîné en longueur. A la fin du kava royal, les cochons ont été distribués aux différents invités. Les Wallisiens s'approchent des cochons et désignent la personne à qui il est destiné. Si les invités "officiels" acceptent l'offrande, en réalité ils redistribuent "officieusement" cette nourriture à certains villageois. Compte tenu de la durée d'exposition en plein jour, il paraît que certains cochons peuvent aussi terminer à la déchetterie.
Par deux fois, la pluie a refait une courte apparition au cours de ces rituels. Je me suis abrité sous l'espace couvert de la scène la première fois. La deuxième fois, je me suis souvenu de ce roman de la comtesse de Ségur que j'avais apprécié étant enfant "Après la pluie, le beau temps". Je suis resté stoïque sous les gouttes de pluie, la comtesse avait raison : la pluie fine s'est déversée quelques minutes sur mon visage, les nuages gris ont fait un petit tour de piste puis ils se sont inclinés avec révérence devant le soleil.

mardi 2 août 2011

Déménagement et inauguration de la nouvelle paierie de Wallis-et-Futuna

Déménagement : Nos amis les rats, opération propreté et archives en feu

Quand je suis rentré pour la première fois dans les locaux de l'ancienne paierie, j'ai été abasourdi par la vétusté des lieux. De vastes cloques de peinture se détachaient des murs et du plafond, et compte tenu de l'exiguïté des espaces et de la présence insuffisante d'armoires, les dossiers, les journaux de la comptabilité s'entassaient sur les commodes et débordaient également des bureaux, donnant l'impression d'un véritable capharnaüm. Un matin, en passant par le couloir, je vois une ombre grise filer vivement le long d'une étagère. J'en parle à mes collègues qui me confirment qu'il ne peut s'agir que d'un rat...Quelques jours plus tard, j'en vois deux autres plus distinctement dans la paierie, près de la remise. Encore quelques semaines après ces charmantes visions, une odeur nauséabonde se répand dans les locaux. Nous arrivons à identifier la provenance de ces relents pestilentiels, nous ouvrons la commode coupable. A l'intérieur deux cadavres de rats ...
L'ancienne paierie avait été construite en 1969, elle avait fait l'objet de rénovations et d'agrandissements, mais elle était visiblement en fin de course puisqu'elle avait été déclarée insalubre en 1999. Après plusieurs études et projets avortés, les travaux pour la nouvelle paierie avaient débuté au mois d'août 2009, avec une durée prévisionnelle d'un an environ. Mais ce type de chantier prend souvent du retard à Wallis (retard dans la livraison des matériaux par bateau, manque de main d’œuvre qualifiée, problème de coordination des travaux,...). Ce n'est que vers la fin mars 2011 que le chantier est livré. Les finitions n'étaient pas complètes mais le Payeur a pris l'initiative d'occuper les nouveaux locaux, quitte à terminer les derniers travaux par la suite.
Nous étions impatients d'emménager dans ces nouveaux locaux, le déménagement s'est opéré dans la bonne humeur le jeudi 31 mars et 1er avril, sans que nous rencontrions de poissons sur le chemin. L'opération de transfert de nos affaires et de nos dossiers a été rapide, nous n'avons emmené dans un premier temps que l'essentiel et le trajet était très court, la nouvelle paierie étant accolée à l'ancienne. C'est essentiellement l'opération propreté qui nous a mobilisés pendant deux jours. Celle-ci avait  pourtant été réalisée par l'entreprise chargée de nettoyer les lieux quelques jours auparavant, mais l'opération avait été mal exécutée et comme il était impossible de différer le déménagement, nous nous sommes tous retrouvés à quatre pattes à récurer le carrelage avec des éponges abrasives, du produit de nettoyage, puis à laver le sol avec une serpillière.

Le sol avant notre passage

Après l'opération propreté

L'expérience m'a profondément amusé. Je dis souvent que la particularité de mon travail à Wallis est qu'il faut être polyvalent, je n'imaginais pas que cette polyvalence allait un jour me mener à frotter énergiquement le sol de mon lieu de travail... Quelques mois plus tard, le déménagement s'est terminé par une opération de délestage des archives. On nous avait annoncé que la circonscription devait occuper les locaux de l'ancienne paierie, nous en avons profité pour faire le tri et ramener les archives qui nous étaient encore nécessaires au regard de la réglementation. Sur deux demi-journées, nous avons entièrement vidé l'ancienne paierie en déplaçant les vieux meubles pour les mettre dans deux pick-ups, et nous avons surtout nettoyé l'ancienne remise où étaient entassées d'anciennes archives obsolètes. Il a fallu environ une dizaine de voyages par pick-up pour jeter tout cela à la déchetterie. Les chauffeurs nous ont dit avoir mis le feu aux archives dont nous venions de nous débarrasser, et tout le travail de mes anciens collègues s'est envolé en poussière dans le vent, en attendant que notre propre travail administratif s'éparpille à son tour vers les airs ...

Préparation de l'inauguration de la paierie

Comme tout bâtiment officiel, celui-ci devait être inauguré et la question suivante s'est posée : quelle était la date la plus adéquate pour cette inauguration ? La venue de la Ministre de l'Outre-Mer sur le Territoire Marie-Luce PENCHARD en raison des festivités constituait l'occasion idéale pour inaugurer ce bâtiment. Une semaine avant sa venue, le Préfet nous a confirmé qu'elle viendrait à la pairie. La plaque  pour l'inauguration a été livrée deux jours avant la cérémonie. L'effervescence a été de mise la veille du jour J, mercredi 27 juillet. Ce sont principalement les Wallisiens du poste qui ont été mis à contribution pour la décoration des lieux. Ils l'ont fait avec enthousiasme et entrain, avec des matériaux naturels venus directement de la campagne aux alentours. Les colonnes à l'entrée ont été recouvertes de feuilles de cocotiers.

Technique de tressage


La palme est déployée  sur toute la longueur de la colonne, ils agrippent les folioles deux par deux à l'opposé de la nervure centrale de la feuille, puis croisent et décroisent celles-ci à la manière de nattes de cheveux. Par la suite, à l'intérieur du réseau tissé des folioles, ils insèrent des fleurs ou des tiges de bambou. A l'entrée, tout le long des balustrades, ils ont déployé des guirlandes de plantes vertes et de feuillages.

 
Décoration à l'entrée de la paierie

Toutes les pièces et les couloirs ont été décorés de bouquets composés de fleurs cueillies dans leurs jardins.



Sapo et son bouquet de fleurs

Le garage à l'arrière dans le jardin a été réquisitionné pour la réception. Toutes les colonnes ont été ornées et des palmes ont été clouées sur les poutres du plafond. Tout à coup ce lieu impersonnel, banal et sans grâce s'est transfiguré par la magie des cocotiers, des fleurs, des tiges de bambou en un très bel espace accueillant pour les invités.

Le coin du cocktail

Le jour de l'inauguration

La paierie étant fermée à cette occasion, nous sommes allés chercher les tables de réception pour le cocktail. Nous y sommes allés à trois, je me suis assis à l'arrière du véhicule pour soutenir les tables en équilibre précaire. A un moment donné, Pascal aborde un peu trop vite un ralentisseur, l'ensemble des tables s'envole légèrement en l'air, ainsi que mon postérieur posé sur le rebord du pick-up. Souvenirs, souvenirs ...
La plaque destinée à être inaugurée n'avait pu être rivée au mur car elle avait été livrée trop tard. Elle a été simplement collée avec un scotch double-face. La veille, lors d'un essai, elle s'était décollée du mur au bout de quelques heures. La plaque a été scotchée seulement une heure avant l'arrivée de la Ministre, et nous avons croisé les doigts, y compris les doigts de pied ;-) pour qu'elle ne se décolle pas au cours de la cérémonie. De la même manière, l'improvisation a été de mise pour le drapeau recouvrant la plaque. Une corde a été agrafée au drapeau, qui a été plaqué au mur grâce à des sparadraps double-face. Une demi-heure avant l'heure d'arrivée prévue, nous avons pris la photo de toute l'équipe de la paierie, y compris ceux qui étaient désormais à la retraite et qui avaient été invités pour cette occasion.


L'équipe de la paierie

L'attente de la venue de la Ministre a commencé. Elle était venue sur l'île le matin même par avion, son programme était très chargé. Un peu après l'heure de midi, branle-bas de combat, arrivée des voitures du cortège ministériel. Marie-Luce PENCHARD a découpé le ruban à l'entrée de la paierie. C'était en réalité un magnifique tapa, étoffe purement végétale issue de la sous-écorce d'un arbuste. De très beaux motifs avaient été dessinés à l'encre sur la bande végétale, ainsi que l'inscription suivante "27 juillet 2011 - Paierie de Wallis et Futuna". Le tapa était tellement somptueux que nous avons tous regretté qu'il soit découpé...



Inauguration du bâtiment de la pairie

La ministre s'est dirigée à l'intérieur du bâtiment et a également dévoilé la plaque en tirant sur le drapeau. Ouf nous pouvions souffler, la plaque ne s'était pas détachée, entrainée par l'élan, mais nous l'avons guetté du coin des yeux pendant le temps des discours : le Payeur a rappelé l'histoire de la paierie, il a énuméré les nombreuses spécificités du poste et a rappelé le contexte social de l'île, marqué toujours par la pauvreté de certaines couches de la population. La ministre a assuré le Payeur du soutien de l’État, bien qu'il s'exerce désormais dans un contexte budgétaire contraint. Elle a visité par la suite l'ensemble des services, la plaque ne s'étant toujours pas décollée, nous avons pu discrètement décroiser nos doigts de pied;-)
Elle a posé de nombreuses questions, notamment sur le budget territorial. Elle s'est ensuite dirigée vers le buffet à l'extérieur et a discuté quelques instants avec les invités avant de donner une interview à Wallis 1ère. Le départ a sonné pour elle, nous sommes restés à l'extérieur, à continuer à prendre quelques photos de l'évènement... 
Je vous livre ma préférée : Anthony, adjoint comme moi, vient de se procurer un scooter. C'est un rebelle, un authentique aventurier doté d'un cœur fier et farouche. Il ne pouvait décemment opter que pour un seul choix professionnel : devenir inspecteur des finances publiques ;-)



Deux baroudeurs sur les routes de Wallis