vendredi 7 octobre 2011

Histoires être-anges des arbres de Wallis : L'arbre du fruit à pain et le pin des Caraïbes

J'ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de
fenêtre à fenêtre ; des chaînes d'or d'étoile à étoile, et je danse.
Les Illuminations, Arthur Rimbaud

Il existe quantité d'arbres à Wallis, mais certains aux propriétés uniques attirent plus l'attention que d'autres ...

Arbre du fruit à pain : Source de l'opium des Wallisiens

L'arbre à pain est originaire d'Océanie, il est largement cultivé sous les tropiques car il affectionne le climat chaud et humide. Il est de taille moyenne, il peut atteindre 20 m de hauteur. Les feuilles de l'arbre, munies de 7 à 11 lobes marqués, de couleur vert foncé, brillantes, s'étendent avec nonchalance le long des chemins de Wallis.
L'arbre est cultivé pour son fruit comestible, le fruit à pain, dénommé "foi mei" en wallisien. Il se forme à partir d'une fleur femelle.

Fruit à pain au milieu des feuilles

Le fruit à pain à maturité est de couleur verdâtre, il est de forme ronde ou ovoïde, pouvant peser près de 2 kg. J'ai été intrigué dès mon arrivée par ce fruit, car je ne savais pas que les pains pouvaient pousser dans les arbres ... Il est cuit dans le umu, ou boulli à l'eau après avoir été pelé, et il peut être également frit. La pulpe du fruit est de couleur crème, il se révèle riche en glucide et son goût évoque effectivement celui d'un féculent.
Ce fruit a la réputation être-ange d'être une nourriture magique lorsqu'il est mangé cru, de révéler les propriétés euphorisantes qu'il possède. Il imprègne depuis des temps immémoriaux la vie coutumière de l'île, il est considéré comme une substance nourrissante aux effets plus redoutables, plus puissants que l'opium. Fasciné par les vertus prêtés à ce fruit, j'ai décidé un jour de tenter l'expérience. Je suis allé au pied d'un arbre à pain qui jouxte mon jardin, j'ai tendu la paume vers un fruit suspendu, je l'ai recueilli entre mes deux mains. Je l'ai pelé soigneusement, je me suis assis au pied de l'arbre, j'ai goûté la texture laiteuse. Rien ... J'ai goûté une deuxième fois, j'ai fermé les yeux en me concentrant sur le goût âcre et cru qui s'est répandu dans mon palais, ma gorge et lorsque j'ai rouvert les yeux ...

Tout s'était évaporé autour de moi, je reposais au pied de l'arbre suspendu dans le vide. Tout à coup une guirlande de plantes vertes, de fleurs a surgi de l'arbre, et s'est élancé comme un arc-en-ciel vers le ciel azuré resplendissant formant une passerelle vers l'inconnu. J'ai ressenti une voix en moi qui m'intimait l'ordre de l'emprunter, j'ai posé avec frayeur le pas droit sur le pont qui a supporté mon poids. Enhardi par cette réussite, j'ai posé précautionneusement l'autre pied et j'ai commencé à marcher sur le chemin impromptu. Je me demandais où menait celui-ci, j'ai accéléré ma marche pour découvrir le but indiqué.
Autour de moi, tout s'était dissous,  je voyais le vide vertigineux autour de cette mince bande végétale.   La passerelle redescendait vers un autre arbre à pain, et une magnifique guirlande de plantes, de fleurs tressées invitait à poursuivre le chemin. J'ai cueilli au passage le fruit à pain de couleur verte et j'ai poursuivi la route. J'ai compris alors que tous les arbres à pain de l'île étaient liés entre eux, qu'une mystérieuse puissance semblait les souder. J'ai continué à moissonner un autre fruit, puis un autre, et tel un jongleur, ma poitrine soulevé par l'insoutenable légèreté de l'être, je les ai lancé  vers le ciel démesurément bleu, je les ai rattrapé, relancé, rattrapé, relancé. Ils s'élançaient vers les nuées, semblaient se suspendre quelques instants puis finissaient par délicatement retomber entre mes mains avant de rebondir. J'ai multiplié les fruits l'un après l'autre, jusqu'au douzième, et toujours en jonglant avec eux, j'ai commencé à accélérer, à courir, mon souffle s'élevant en accord avec le jet vers le ciel de chacun de ces fruits verts somptueux. Nord, est, sud, ouest, j'ai parcouru le tapis floral, les vents alizés m'ont fait vaciller, tournoyer puis danser. Obsédé par l'idée d'aller toujours plus loin, j'ai ramassé un treizième fruit pour le faire voltiger et là Patatras ...
 
Le fruit a explosé sur ma tête, je me réveillais au pied de l'arbre qui jouxte mon jardin, le crâne  en sang, la caboche douloureuse . L'insondable gravité de la terre m'avait rattrapé, j'ai senti une bosse au sommet de mon crâne qui commençait à me donner la migraine. Je me suis dit que j'aurais préféré une petite pomme sur la caboche plutôt que ce gros fruit à pain, mais j'étais dans l'hémisphère sud, pas assez scientifique, trop rêveur  ... J'ai contemplé la scène autour de moi, douze autres fruits à pain gisaient sur le sol ... 

Le pin : L'arbre de la fraternité

J'ai été surpris de découvrir l'espèce du pin à Wallis.  J'étais familier du pin sylvestre des forêts d'Alsace, du pin parasol qui parsèment les rives de la Méditerranée, mais je ne pensais pas qu'un tel arbre pouvait s'acclimater au climat chaud et humide. En fait, il ne s'agit pas d'une espèce d'origine, cet arbre a fait l'objet d'un programme de développement à compter de 1972 par le service de l'Agriculture, de la Pêche et de la Forêt. C'est le pin des Caraïbes, originaire d'Amérique Centrale et des Caraïbes, qui peuple largement la Polynésie Française qui a été choisi pour reboiser l'île. C'est désormais un arbre très fréquemment rencontré sur l'île.

Sentier au milieu de la pinède
Non loin de ma maison, alors que j'effectue un petit jogging,  je traverse une forêt de pins, les cimes qui semblent se rejoindre forment un dôme très rafraîchissant au milieu du parcours. Alors que je courais un dimanche matin, je vois un feu s'élever au pied de ces pins. J'ai rencontré deux pompiers qui tentaient de circonvenir l'incendie, avec qui j'ai discuté quelques instants, qui veillaient à ce que les coupe-feux soient efficaces pour éviter la propagation de l'incendie. J'ai continué mon chemin, j'ai observé les fougères qui se consumaient lentement. Je me suis rapproché des pins, je voyais les grandes aiguilles vertes balancées par le vent qui jaillissaient de l'arbre pour griffer, lacérer le ciel. Je me demandais où ces racines pouvaient mener, jusqu'où pouvaient-elles plonger? Être-ange coïncidence, j'ai contemplé un fruit à pain qui avait roulé depuis la colline du mont Loka jusqu'au pied des arbres. Mais comment avoir la réponse à la question, devais-je creuser pour déterrer les organes souterrains des arbres ?
Alors que je réfléchissais sereinement à la question, je fermais légèrement les yeux, mes deux paumes, droite, gauche, étaient tendus vers la terre, et tout à coup j'ai senti un léger tremblement au moi. Comment était-ce possible, je me sentais lentement, délicatement vriller dans la terre, m'enfoncer au sein de celle-ci, en tournant légèrement sur moi. De manière très progressive, mes genoux, mes hanches, ma poitrine, ma bouche, mes yeux se sont immergés dans le sol. Et je descendais, je descendais ... Je voyais distinctement les racines noueuses qui transperçaient la terre comme des sabres, les insectes qui rampaient, et au loin j'ai distingué les crânes inhabités des morts. Pourtant aucune frayeur en moi, je comprenais que peu importe la chair décomposée, l'esprit des êtres qui nous sont chers, que nous avons aimés est en nous. Et je descendais, je descendais en empruntant une voie royale, une route de sultans, les racines incroyablement profondes poursuivaient leur inexorable chemin vers les profondeurs. Certaines racines se nouaient entre elles de manière inextricable puis miraculeusement se dénouaient. Le sol s'est endurci, les racines continuaient leur chemin, mais les attaches terrestres avaient disparu pour prendre une forme immatérielle que je distinguais pourtant avec netteté. Il me fallait rattraper ces liens qui liaient l'arbre aux abysses, je me suis décomposé pour conquérir ce nouvel univers, je suis devenu souffle pur, gaz invisible pour creuser encore plus loin  vers la vérité. Les liens se poursuivaient encore très loin, je suis devenu simple particule, de masse impondérable, franchissant les roches les plus impénétrables pour m'immerger vers les chemins les plus ardus, les plus rudes.
Tout à coup un noyau ardent devant moi, un bloc rayonnant de lumière, d'une densité et d'une chaleur fabuleuse. Je ne pouvais m'aventurer plus loin, je voyais toutes les racines des pins sylvestres d'Alsace, des pins parasols de Méditerranée, des pins des Caraïbes de Wallis puiser dans cette source vive. Et une voix douce m'a alors murmuré : tous les pins sont des frères.
Je dédie ce texte à mes quatre frères d'Alsace ...

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