jeudi 28 juillet 2011

Explorations sous-marines : J'ai mangé un clown

Noddi brun et paysages de coraux

L'un des premiers endroits que j'ai explorés avec quelques compagnons a été le tombant des Lépreux, près de l'îlot du même nom. Les explorations en plongée sont la récompense ultime. Au rythme lent de la flânerie, vous déambulez le long des récifs coralliens en contemplant les fonds sous-marins. Alors que nous nous rendions vers le site, un oiseau, un noddi brun, nous a escortés à notre gauche une grande partie du voyage. Il battait vivement des ailes dans l'air, suspendait quelques instants son mouvement, planait comme une immense feuille volante, remontait parfois pour entamer une descente vers le lagon, puis reprenait son balancement vif et vigoureux. Il a entamé subitement un virage brusque pour se rendre vers l'îlot, je l'ai perdu de vue.

Dernière technique apprise lors du niveau 1 de plongée, celle de la bascule arrière. Vous vous asseyez sur le rebord du bateau vêtu de la tenue complète du plongeur, vous veillez à ce que vos pieds munis de palmes soient libres de tout obstacle, vous retenez votre masque de la main gauche, vous plaquez soigneusement le détendeur sur votre bouche de la main droite. Vous lancez un dernier regard vers l'azur et les nuages, et pirouette arrière dans l'océan...
... Plongée lente et progressive dans le tombant, toujours en compagnie d'un congénère de l'espèce poisson à grosses bulles. Pascal NICOMETTE organise les groupes par paire : le plus expérimenté avec le novice complet, le deuxième plus qualifié avec le débutant, etc... Étant parmi les débutants, je suis souvent mon compagnon  plus expérimenté en restant un peu plus haut que lui, comme ce qui est préconisé. Parfois je contemple le paysage, je m'attache à tel ou tel détail du récif, je poursuis quelques instants du regard un banc de poissons, je baisse les yeux, mon compagnon n'est plus là. Je le cherche des yeux, droite, gauche, en haut, je finis toujours par le retrouver.

Au tombant des Lépreux, les fonds sous marins sont constitués de coraux d'une grande variété. Lors de la descente, apparition d'un très beau corail à bulles, constitué de grappes de vésicules gonflées, de couleur blanche. Les coraux s'étagent lors de la descente, se présentent sous la forme de grandes vasques de couleur principalement brune avec quelques touches de bleu et de vert. Toutefois, cette couleur brune est trompeuse car la perception des couleurs change au fur et à mesure de la profondeur. La couleur rouge est la première couleur absorbée et elle disparaît après cinq mètres de profondeur. Ainsi, ces coraux sont en réalité rouges d'après le moniteur, il faut une torche pour s'en rendre compte, mais je n'ai pas encore eu l'occasion d'en utiliser.
Lors de la remontée, nous aboutissons à un espace en légère pente, tapissé de très nombreuses espèces de coraux mous, qui sont dénommés ainsi par opposition au corail dur, et ne possèdent pas de squelette calcaire participant à la formation des récifs. Ces coraux mous déposés le long de la pente s'en détachaient comme de grandes feuilles mortes, tombées d'un immense arbre invisible. Le paysage automnal au fond de l'eau s'éclairait au fur et à mesure de notre remontée. Les bulles s'échappaient de nous, montaient lentement pour éclater en surface. J'ai scruté les coraux-feuilles, lentement ils ont repris vie sous mes yeux, se sont transformés en coraux-alvéoles, et le poumon a respiré de concert avec nous. Nous inspirions, il expirait, puis le processus s'inversait, dans une  symbiose totale ...

Duel de titans au fond du lagon

La principale attraction dans ce tombant est  le couple étonnant formé par l'anémone avec son poisson-clown. Au retour nous faisons à chaque fois une petite pause, à une courte distance d'une anémone qui abrite deux poissons clowns. Ceux-ci sont des poissons- demoiselles qui vivent en association avec des anémones. L'anémone appartient à l'embranchement des cnidaires et possède des cellules urticantes. Le poisson-clown est recouvert de mucus qui le protège des cellules venimeuses. Plongé dans son anémone protectrice, le poisson-clown ne craint pas les prédateurs. S'il s'en éloigne, je vous laisse découvrir "Le Monde de Némo" et les péripéties qui peuvent en découler. Dans le lagon, l'espèce commune est l'Amphiprion chrysopterus.

Poisson-clown : Surtout, ne riez pas ...

Nous allions repartir, j'ai jeté un dernier coup d’œil derrière moi. L'un des poissons-clowns m'a toisé du regard, dans une attitude de défi. Et moi, extraordinaire compétiteur, grand matamore devant l’Éternel, je suis revenu et j'ai immédiatement relevé le gant. Un duel de clowns se profilait à l'horizon ...
Mon rival était visiblement un grand champion. En une fraction de seconde, la nouvelle du futur combat avait fait le tour du lagon : poissons-anges, raies, requins, mulets, rascasses, une immense foule est accourue et s'est disposée autour de l'anémone pour admirer le combat du champion clown sortant et de son challenger poisson à grosses bulles. Le poisson-clown a immédiatement tenté de pousser son avantage, avant même le début du combat, en faisant des grimaces, en prenant des  attitudes de poisson demoiselle efféminée pour me faire sourire. Cet émule de Molière enchaînait également les bons mots, les poissons autour de nous gloussaient et se tordaient de rire. Je suis resté froid, imperturbable, la rumeur de ma victoire tonitruante sur le gallinacé ne s'était visiblement pas propagé vers les fonds marins. Il ne pouvait que me sous-estimer.
Sous l'arbitrage d'un poisson-ange, qui se situe toujours au dessus de la mêlée, l'affrontement allait débuter. La lumière émiettée qui nous parvenait de la surface éclairait la scène du duel. Je lui ai glissé un poil de mon menton sur la nageoire dorsale, je lui ai tenu la nageoire ventrale, nous avons fredonné le chant du combat des clowns : " Je te tiens, tu me tiens par la barbichette, le premier qui rira aura une tapette ". Cette fois-ci, je dégainais en premier, j'ai sorti un nez rouge et je lui ai chatouillé les nageoires. Je m'étais renseigné au préalable auprès de l'arbitre, ces deux techniques n'étaient pas interdites.
Ma victoire fut immédiate, complète et sans équivoque. Le poisson-clown explosa de rire, sa chair s'éparpilla et s'envola en éclats, flotta quelques instants au dessus de l'anémone. J'ai recueilli les bribes de la chair du poisson dans mes mains, j'ai enlevé le détendeur de ma bouche, et j'ai avalé l'ancien champion en miettes. Hélas, il manquait une petite pointe de citron pour relever le goût.

J'ai inspiré profondément, j'ai émergé hors de l'eau et me suis écrié : J'ai mangé un clown, j'ai mangé un clown ;-)

mercredi 27 juillet 2011

50ème anniversaire du statut de Wallis-et-Futuna : Tauasu, Kava et Danses

Les festivités du 50ème anniversaire se déroulent à de nombreux endroits sur le territoire : compétitions sportives, expositions, soirées, etc... Parfois quelques changements de programme impromptus qu'il est difficile de suivre (changements de salle, d'horaires). La communication sur les modifications est tardive, voire inexistante, seul le bouche à oreille permet de les connaître. Une petite confusion est également parfois de mise car il existe deux comités d'organisation, l'un qui est officiel et l'autre lié aux "rénovateurs" du nord. Cette double programmation est liée aux séquelles d'évènements datant de 2005, dont vous pouvez avoir une idée en lisant la fiche Wikipédia de Wallis. L'île s'était divisé alors en partisans loyaux au roi et un camp, qui a été présenté comme "rénovateurs", qui souhaitait une évolution des coutumes et introniser un autre roi.

Je suis allé lundi 25 février à une soirée organisée par "les rénovateurs" qui se tenait au Nord à Vaitupu, juste à côté de l'église Saint-Pierre et Paul. Le préfet du Territoire était l'invité d'honneur. Il s'agissait d'un tauasu, qui est une coutume locale consistant en une veillée pendant laquelle on déguste le kava et où l'on évoque la vie du village. Compte tenu de l'anniversaire du statut, le kauasu avait été élargi et le thème du débat était justement l'évolution du statut. La petite place avait été décorée d'immenses guirlandes tendues aux couleurs du drapeau français. Une large banderole au balcon de la maison paroissiale accueillait tous les invités.


Joyeux Anniversaire, Wallis ...

Le représentant des rénovateurs a prononcé un discours dans lequel il a tenu à rappeler le profond attachement de l'île à la République française, il a émis le souhait de voir le statut évoluer et il a mis l'accent sur la future modernisation nécessaire de l'île, et notamment de ses infrastructures. Il a exprimé également le voeu que l'Etat investisse davantage dans l'éducation. Le préfet a tenu à remercier ceux qui l'avaient invité, et dans son discours il a surtout insisté sur le sens de sa visite. Elle n'était pas destinée à prendre parti pour l'un ou l'autre des camps, mais à entendre toutes les revendications qui s'expriment sur le territoire. Il a insisté sur la nécessité de la réconciliation, il a rappelé la devise républicaine en mettant l'accent sur la fraternité indispensable pour la cohérence d'une société.
Ces discours étaient à chaque ponctués par la cérémonie du kava et des danses. Le kava est une boisson présente dans toutes les îles du Pacifique, qui joue un très grand rôle dans la vie culturelle et religieuse. C'est une boisson euphorisante, anesthésiante et qui aurait également des effets diurétiques. Elle est tirée d'une plante nommée kawa. Cette boisson imprègne depuis des temps très anciens la vie culturelle et religieuse des îles. Elle a la réputation d'améliorer la sociabilité, de permettre une discussion pacifique entre les membres d'une communauté. Lors du tauasu, à intervalles réguliers, une voix retentissait et quelques hommes et femmes se levaient pour offrir cette boisson à l'ensemble des invités, y compris les papalanis. Ils se penchaient vers de grands récipients, y puisaient le breuvage puis venaient gentiment nous tendre les petits bols en bois remplis de kava. J'y ai donc goûté, et en toute sincérité ... je n'ai pas aimé. Je trouve à la boisson un goût poivré, très inhabituel et surprenant.


Distribution de kava

Pour résumer la soirée, il y eut un peu de tauasu, un peu de kava mais surtout beaucoup de danses ... Ce sont les danses qui ont été la principale attraction de la soirée. Dans une atmosphère bon enfant et festive, les danses se sont multipliées. Elles se faisaient dans une totale improvisation, en mélangeant la tradition et la modernité. J'ai eu déjà l'occasion de voir quelques danses traditionnelles wallisiennes. L'attitude caractéristique du danseur est d'avoir les deux jambes écartées, les genoux fléchis et d'exécuter des mouvements de bras amples et  parfois répétitifs, sous la direction d'une personne qui donne le tempo. Les gestes sont gracieux et élégants pour les jeunes filles, tandis qu'il y a plus de mouvements, de déplacements, de gestes énergiques et saccadés chez les hommes. J'avais déjà assisté à une fête de village, où j'avais trouvé les danses un peu monotones, car elles pouvaient durer très longtemps. Lors de ce tauasu, elles étaient beaucoup plus rythmées et entraînantes. Sur la piste se sont succédés les femmes puis les hommes, puis de temps en temps, hommes et femmes se faisaient face et dansaient ensemble. A un moment donné, un vieil homme avec un manu vert, le visage rieur et rayonnant, légèrement voûté, s'est levé et a entraîné de nombreux adolescents dans une petite marche cadencée et rythmée vers le milieu de la piste

En avant la jeunesse ...

D'autres musiques plus modernes retentissaient, tels que le tube de Boney M. "Rivers of Babylon". Vieux et jeunes enfants dansaient aussi sur la piste, mélange générationnel que j'ai rarement vu en métropole, si ce n'est lors des mariages.

mardi 26 juillet 2011

50ème anniversaire du statut de Wallis-et-Futuna : histoire du passage au statut de 1961

Cet article est une courte synthèse d'une conférence sur le passage du statut de protectorat à celui de Territoire d'outre-mer pour Wallis-et-Futuna, donnée  par une doctorante en histoire originaire de Futuna, Allison LOTTI, dans le cadre du cinquantenaire de ce statut.

La question d'un nouveau statut s'opère vers la fin des années 1950. Le protectorat du Maroc a pris fin en 1956, les anciennes colonies sont en train de devenir des départements  ou des territoires d'outre-mer tandis que la guerre d'Algérie se profile à l'horizon. Le résident Pierre Fauché joue un rôle majeur à partir de 1958 pour le passage au nouveau statut. Il a reçu une formation administrative et  la mission de négocier un nouveau statut pour les îles. En 1958, la reine Aloisia qui règne sur Wallis voit petit à petit son autorité faiblir. Elle est opposée au statut de territoire d'outre-mer car elle craint que cela ne s'accompagne d'un transfert de souveraineté vers la république française. L'île se divise entre partisans et opposants au changement de statut et la reine Aloisia doit démissionner. Les habitants se rallient progressivement au futur roi de l'île en 1959, Tomasi KULIMOETOKE, qui est favorable à un statut de territoire pour Wallis.

Le passage au nouveau statut se réalise dans un contexte international qui détermine l'avenir politique des îles. Le général de Gaulle accède au pouvoir en 1959. Favorable  à l'indépendance de l'Algérie, il recherche de nouveaux sites pour la politique nucléaire de la France en remplacement du Sahara algérien. C'est la Polynésie Française qui hébergera les futurs essais nucléaires, mais il souhaite étendre l'influence de la France à l'ensemble du Pacifique. Le maintien de l'influence française à Wallis-et-Futuna revêt donc une grande importance dans ce cadre. Le roi demande par écrit le passage au nouveau statut et négocie pour que celui-ci intègre les coutumes de Wallis-et-Futuna, ce qui lui est confirmé par les autorités françaises. Cet engagement sera  souligné plus tard par le Haut-Commissiaire de France dans le Pacifique, qui précisera l'engagement de la France à respecter les institutions coutumières et déclarera : "Si la coutume change un jour, c'est de vous que cela viendra". En décembre 1959  est organisé un référendum sur l'entrée de Wallis-et-Futuna dans la république française. La question suivante est posée à tous les Walisiens et Futuniens "Désirez-vous que les Iles Wallis et Futuna fassent partie intégrante de la République Frnçaise sous la forme d'un Territoire d'Outre-Mer". Le oui l'emporte à une écrasante majorité, en particulier à Wallis où ne s'exprime aucune opposition.

L'année 1960 se passe et le protectorat se prolonge. La métropole est accaparée par la question de l'indépendance algérienne. Le 8 janvier 1961, le référendum sur l'autodétermination de l'Algérie scelle le futur destin des Algériens. Pierre Fauché, qui a grandement contribué à négocier le futur statut des îles, quitte ses fonctions. Il ne sera pas remplacé par un résident mais par un administrateur en octobre 1961, M Jean PERIE, puisque la loi du 29 juillet 1961 accorde le statut de territoire aux îles. Le débat dans les deux assemblées en France aura été relativement bref. L'année 1962 est celle de la mise en place définitive du nouveau statut avec l'organisation d'élections. L'administrateur chargé de favoriser le candidat du général de Gaulle aux élections législatives refuse d'obtempérer, il veille à une stricte neutralité de l'administration en période électorale, il est démis de ses fonctions. Ce n'est pas le candidat le plus favorable au général de Gaulle qui s'impose mais son concurrent Hervé LHOSTE. Les oppositions politico-coutumières s'exprimeront désormais largement via le processus électoral. 

Ainsi les îles Wallis-et-Futuna, avec leurs trois rois (un à Wallis et deux à Futuna pour les royaumes d'Alo et de Sigave) et leurs coutumes vont rejoindre la république française, plus d'un siècle après l'abdication du dernier roi des Français Louis Philippe 1er, à qui la demande de protection avait été adressée en 1842 ... 

lundi 25 juillet 2011

50ème anniversaire du statut de Wallis-et-Futuna : Histoire de Wallis

Dans le cadre des festivités du cinquantenaire de la loi du 29 juillet 2001 qui a permis le passage de Wallis-et-Futuna au statut de Territoire d'outre-mer, deux conférences m'ont permis de mieux appréhender l'histoire de Wallis-et-Futuna. J'avais fait des recherches avant mon départ pour l'île, mais je n'avais absolument rien trouvé dans les librairies de la métropole. Je vais faire une petite synthèse d'une conférence donnée par l'universitaire Frédéric ANGLEVIEL, historien basé à Nouméa et je m'appuie également sur une exposition qui se tient près du palais royal. Résidant à Wallis, j'évoquerai essentiellement cette île et je mentionnerai seulement quelques éléments pour Futuna. Ces deux archipels francophones, distants d'environ 250 km, ont un destin lié bien que les relations internes  soient assez limitées. C'est la tradition religieuse qui cimentera leur avenir conjoint.

La période des premiers peuplements ( -1400 avant J.C à 1616)

La période des premiers peuplements est très difficile à dater, il existe quelques traces archéologiques, et les traditions orales ont été recueillies par les premiers religieux. Les premiers habitants de l'ile, qui sont en réalité les véritables découvreurs de ces archipels, sont les austronésiens, population insulaire de l'Asie du Sud-Est. Le peuplement se fait par vagues successives. Pour Wallis-Uvea, on distingue une première période "Utuleve" de - 1400 à + 1000 après J.C avec un peuplement océanien dont on retrouve les traces grâce à la forme spécifique de poterie (les lapitas), puis une deuxième période "Atuvalu" qu'on date de + 1000 à 1400 ans après J.C, avec un nouveau peuplement austronésien, dont l'empreinte est décelée dans huit tombes pré-tongiennes trouvées dans un fort à Wallis. Dernière période, "le temps des forts" de + 1400 à 1616 après J.C, avec un peuplement originaire des îles Tonga qui prennent possession de l'île d'Uvéa. La généalogie royale devient alors plus riche et détaillée. Les Tongiens cherchent à prendre possession de Futuna, dont le peuplement est originaire des îles Samoa, mais subiront des échecs répétés.

Le temps des royaumes (1616-1887)

Les îles vont être successivement découvertes (bien que le terme exact devrait être "repérées" puisqu'elles ont  déjà été découvertes par les austronésiens...) par les Européens, cartographiées puis liées de plus en plus à l'économie-monde. C'est l'île de Futuna qui est découverte en première en 1616 par les navigateurs hollandais Le Maire et Schouten. Le navigateur français Bougainville atteint l'ile de Futuna le 11 mai 1768 et la dénomme poétiquement "L'enfant perdu du Pacifique". L'île d'Uvéa est découverte en 1767 par le navigateur anglais Samuel Wallis qui lui attachera donc son nom, mais les Wallisiens continuent de dénommer l'ile par sonnom autochtone d'Uvéa. Dans un premier temps, c'est le pouvoir économique qui va lentement lier le destin de ces îles au reste du monde. Les baleiniers, qui écument le Pacifique font de courts séjours sur les îles de Wallis et de Futuna, pour se ravitailler en vivres. Certains aventuriers  s'intègrent à la société des îles et s'opère un premier mouvement de métissage. Quelques commerçants sur ces îles s'enrichissent via le négoce du coprah, matière première séchée issue de la noix de coco, qui peut être utilisée dans la fabrication de savon et de cosmétiques.
Au cours du 19ème siècle débute un phénomène qui marquera durablement les îles, c'est celui de l'évangélisation. Celui-ci s'opère avec les catholiques de la congrégation des frères maristes à laquelle appartient le contemplatif Pierre Chanel mais aussi le missionnaire "batailleur" Bataillon, qui évangélise Wallis. Ces religieux vont profondément modifier le destin des îles, ils seront à l'origine du destin commun avec la France. Bataillon prend pied sur l'île en qualité de linguiste en 1837, son dictionnaire de la langue wallisienne fait toujours autorité. Toutefois, il commence également à gagner les cœurs en offrant des cadeaux aux indigènes et il évangélise l'ile, secrètement dans un premier temps puis de plus en plus ouvertement. Une guerre de religion menace même entre les partisans de Bataillon et les troupes fidèles à l'ancienne religion menées par le frère du roi. Bataillon interdit à ses fidèles d'attaquer et il s'avance en priant, seul face à ses adversaires. Ceux-ci sont frappés de stupeur et s'arrêtent nets. Bataillon fait à la suite de cet acte de bravoure le tour de l'île et tous les villages l'accueillent. Le roi, le lavelua Vaimua, est baptisé en 1842 et Uvéa se convertit lentement à la nouvelle religion. Les deux religions, les deux cosmogonies ancestrale et chrétienne coexistent pendant un certain temps. Entre 1850 et 1860 les derniers adeptes de la religion coutumière de l'île disparaissent. 

La lente montée du pouvoir du protectorat (1888 - 1961)

Le protectorat officiel de 1888 est précédé d'une période de protectorat officieux datant de 1842. Là encore, l'influence de Bataillon est prépondérante puisque c'est lui qui rédige le courrier qui place l'île sous la protection de la France, mais il n'y a pas encore de traité réciproque, car celle-ci pour des raisons stratégiques d'alliance avec l'Angleterre, ne souhaite pas officialiser ce traité.  Le lavelua demande la protection au roi Louis Philippe 1er  en raison de "la communauté de religion". Le protectorat est formellement établi avec la reine Amélia de Wallis et institué par décision du ministre des colonies le 5 mars 1888.
Les résidents, représentants de la France sur l'île, jouent un rôle important dans son développement et doivent souvent se battre pour obtenir de l'argent pour la moderniser. La vente de timbres pour Wallis-et-Futuna est une source de recettes importante et permet la construction du port de l'île. Ces premiers résidents sont souvent des médecins, des militaires ou des prêtres. Alain Gerbault, navigateur célèbre restera trois mois sur le Territoire, il marquera la petite histoire de Wallis et  popularisera le football. Le résident David, médecin d'origine, s'illustrera de 1933 à 1938 en faisant construire une route qui rallie le sud au nord ainsi qu'un hôpital. Il gagne de surnom de "roi David" à travers son rôle moteur dans le développement de l'île. Entre 1942 et 1946, les Américains débarquent sur l'île pour contrer l'offensive japonaise dans le Pacifique. Les Wallisiens et Futuniens participent également à l'aventure de la France Libre, la circonscription jouera un rôle majeur dans l'histoire de Wallis-et-Futuna car de nombreux habitants s'engagent dans l'armée française. Vers la fin des années 1950 se pose la question du passage de Wallis-et-Futuna vers un nouveau statut.

dimanche 24 juillet 2011

50ème anniversaire du statut de Wallis-et-Futuna : petite histoire du drapeau

Les îles de Wallis-et-Futuna fêtent actuellement le cinquantième anniversaire du rattachement du Territoire à la République Française. Le statut de protectorat a pris fin le 29 juillet 1961 par une loi adoptée par l'Assemblée Nationale et le Sénat, qui reconnaît la qualité de citoyens français à tous les habitants des îles. Les festivités ont commencé officiellement depuis le 14 juillet, et le point d'orgue se situera du mercredi 27 au vendredi 29 juillet, avec la venue de la Ministre chargée de l'Outre-Mer Marie-Luce PENCHARD. J'inaugure une petite série d'articles consacrés à ce cinquantenaire.
La République est une, indivisible et laïque, mais à toute règle il existe au moins une exception. L'histoire du drapeau wallisien est fortement marquée par le symbolisme religieux. Je me base pour cette petite histoire du drapeau sur une exposition effectuée par des collégiens de Malae.

Le Premier Drapeau (1842) : Le culte de Marie

Celui-ci est adopté le 3 novembre 1842. Il date de la période qui précède le protectorat, puisque celui-ci débute officiellement en 1887.


Premier drapeau de Wallis

Ce texte accompagne l'adoption : "Nous, Roi de Wallis et les chefs réunis au Conseil, avons adopté pour la couleur du drapeau blanc, sur le côté duquel seront disposées quatre croix, deux bleues, deux rouges, disposées diagonalement et au centre M. W. (entrelacés)" _mais il faut lire A. M (Ave Maria)_

La symbolique religieuse est triomphante sur ce drapeau, à travers ces quatre croix et cet Ave Maria au centre. L'influence de la congrégation des frères maristes avec le père Bataillon sur l'île de Wallis (et à laquelle appartenait aussi le père Chanel mort sur l'île de Futuna) est évidente, il y a même fort à parier qu'il a été dessiné par les religieux. Le devise de Pierre Chanel était "Aimer Marie et la faire aimer", le culte marial, particulièrement développé chez les catholiques, est au centre de l'emblème wallisien.

Le deuxième drapeau : Conflit entre le résident et le roi

Le deuxième drapeau français est le drapeau français sur lequel les autorités coutumières rajoutent en haut à gauche une petite croix de Malte. La présence de ce symbole religieux déplaît au résident Brochard, représentant de la France dans le cadre du protectorat. Il le fait savoir par courrier au roi en 1912, le lavelua Patita LAVUIA, et lui demande de rectifier le pavillon national. Selon G. PILIOKO, chef du service d'action culturelle de Wallis-et-Futuna en 2001, le drapeau wallisien actuel serait né suite à cette "affaire Brochard"
L'actuel drapeau : Union de la croix de Malte et de la France

Petit détail, le drapeau officiel de Wallis reste le drapeau français. Toutefois, lors des cérémonies officielles, deux levers de drapeau s'opèrent simultanément, celui de la France et celui des autorités coutumières.


Le drapeau wallisien


Autre version du drapeau

Celui-ci existe en plusieurs versions. Le drapeau qui se trouve à l'aéroport et celui qui est hissé lors des cérémonies officielles sont différents. Les invariants pour toutes les versions sont la couleur rouge, la croix de Malte (plus ou moins stylisée) et le drapeau français en haut à gauche (de taille plus ou moins grande). Le symbole de la croix de Malte rappelle l'attachement très fort de l'île à la foi chrétienne.


Les deux drapeaux lors du 14 juillet 2011

C'est l'article 3 de la loi du 29 juillet 1961 qui permet cette coexistence des deux drapeaux. En effet, il stipule que "La République garantit aux populations du territoire des îles Wallis et Futuna le libre exercice de leur religion, ainsi que le respect de leurs croyances et coutumes..."

mercredi 20 juillet 2011

Nourritures terrestres et spirituelles de Wallis

"La connaissance de l'union mentale avec toute la Nature.
C'est donc la fin à laquelle je tends, à savoir acquérir une telle
 nature et faire effort pour que beaucoup l'acquièrent avec moi"
Spinoza, Traité de la Réforme de l'Entendement


Lors des sorties pirogue à l'île Nukuteatea, j'ai pu observer attentivement la manière de cuisiner typiquement wallisienne. La cuisson des mets traditionnels reste profondément naturelle, la quasi totalité des ingrédients étant issue de la terre de Wallis. L'environnement est sollicité en permanence pour composer les ingrédients des repas dans une sorte de symbiose entre le végétal, l'animal et le minéral.
Préparation des repas : tressage des feuilles de cocotiers

Les palmes des cocotiers sont utilisées pour confectionner des plats, des paniers ou des nappes. La nervure centrale de la palme est découpée selon la taille souhaitée. Chacune des folioles qui compose la feuille est croisée soigneusement avec la précédente puis, selon le principe de la maille à l'endroit et à l'envers, est tressée avec les autres. A la fin, les extrémités des folioles sont nouées entre elles.


Tressage des feuilles de cocotier


Nappes de cocotiers

"Les Foi Magisi"

Ce terme est un nom générique en wallisien qui désigne les produits vivriers qui sont consommés sur l'ile, riches en fibres alimentaires. Le fruit de l'arbre à pain fait partie de cette catégorie. L'arbre à pain est un arbre des zones tropicales chaudes et humides, caractéristique de l'Océanie. Le fruit à pain à maturité est de couleur verdâtre, il est dénommé "foi mei" en wallisien. Pelé soigneusement avant consommation, il peut être préparé de plusieurs manières possibles : cuit à l'eau bouillante, dans de l'huile pour être mangé sous forme de frites ou à l'étouffée dans le four traditionnel wallisien. La texture est ferme en bouche et le goût évoque celui du pain et de la pomme de terre.


Fruits à pain


Préparation des fruits à pain en frites

Le manioc (foi manioka en wallisien) et l'igname (foi ufi) sont des plantes très présentes dans la culture alimentaire locale.
Le taro (foi talo) est un tubercule de forme souvent ovoïde . Sa chair est d'un blanc nacré. Une autre variété de taro est consommée sous le nom de kape.


Racines de taro

Fruits de Wallis

Parmi les fruits les plus consommés, on trouve la papaye, l'ananas et la banane. La papaye (foi leosi) à maturité est vert jaunâtre. Sa chair juteuse est savoureuse, en particulier lorsqu'elle est relevée d'un filet de citron.


Panier de papayes

Il existe une grande variété de bananes, les variétés typiquement wallisiennes sont de taille réduite. Chacune des variétés porte un nom : la petite banane (foi sotuma), la banane à cuire (foi pukaka), la banane à dessert (foi siaina) et la grande banane (foi hopa).
La variété d'ananas consommée à Wallis (foi napolo) est petite et très sucrée. Autre fruit consommé sur l'ile : la mangue (foi mago).

L'importance de la noix de coco dans la cuisine

Une place spéciale doit être consacrée au fruit le plus consommé de l'île, à savoir la noix de coco. Celle-ci est particulièrement appréciée une fois transformée en lait de coco, qui sert de base aux différentes préparations et accompagne de nombreux plats. Il ne faut pas confondre l'eau de coco, eau douce sucrée produite naturellement à l'intérieur de la noix, avec le lait. Celui-ci est extrait de la pulpe râpée du fruit. Insérée dans les fibres de la noix qui sont tordues puissamment, cette pulpe rend un lait savoureux recueilli par des mains expertes dans un très grand plat.


Extraction du jus à partir de la pulpe

Ce lait sert de base à un excellent dessert que j'ai découvert sur l'ile, le loifusi. Il est mélangé à des bananes et à de la farine de manioc. La texture ainsi obtenue est enrubannée dans une feuille de bananier, puis recouverte d'une feuille de l'arbre à pain. Le tout est lié par des fibres tirées de la nervure centrale du cocotier, puis ce paquet est mis à cuire dans le four traditionnel wallisien. Le loifusi lors des sorties pirogue est servi en entrée avec un apéritif.


Préparation du loifusi : mélange de banane et de jus de coco



Le loifusi : à déguster chaud

Les vermicelles chinois : préparation du bami

Le bami est une spécialité indonésienne désormais très répandue dans les îles de l'Océanie, très appréciée sur l'île de Wallis. Il s'agit de pâtes chinoises sous forme de vermicelles transparents qui, assaisonnées de sauce soja, sont mélangées à des légumes et à des lambeaux de poulet. Le goût des vermicelles est à mon sens un peu fade, mais le plat peut se révéler excellent s'il est associé à des légumes savoureux et à une viande tendre.


Plat de bami

L'animal symbole de l'île : le cochon

La grande majorité des Wallisiens ont un élevage de cochons, cet animal joue un très grand rôle dans la culture populaire. La cérémonie des cochons, appelée "Katoaga", que j'évoquerai dans le blog, est une coutume centrale lors des fêtes traditionnelles.

Âmes sensibles, abstenez-vous dans le passage suivant. L'animal est préparé de la façon suivante : il est dépecé, vidé, et incisé au niveau du ventre. On y introduit des feuilles de bananiers, puis des pierres brûlantes issues du four traditionnel à l'aide d'un tison. L'animal exhale alors de grandes fumées blanchâtres, il est pris par les pattes et vivement secoué. Une fois ces opérations terminées, il est disposé dans le four. 


Pierre brûlante dans les entrailles du porc

La cuisson traditionnelle wallisienne, le "umu" : union du minéral, du végétal et de l'animal

La cuisson au four traditionnel, dit "umu" en wallisien, est une tradition largement répandue dans les îles d'Océanie du Pacifique. Un trou est creusé dans la terre, puis un grand feu est amorcé avec du bois et de la fibre de coco qui brûle extrêmement bien. On ajoute dans ce feu des pierres de lave qui ont pour fonction de capter la chaleur. Ce sont ces pierres qui sont introduites dans le ventre du cochon. Lorsque le bois s'est consumé, que le feu s'est apaisé et que ne restent que les braises, on dispose sur les pierres des tiges découpées à partir des feuilles de cocotiers, ce qui permet de tapisser le four de manière régulière. Sur ce tapis de tiges sont déposés tous les ingrédients qui vont être cuits au four : les fruits à pain découpés en deux, les taros, kapés, ignames, les papilottes de loifusi, de riz, de poisson enrubannés dans les feuilles de bananiers et d'arbre à pain, et une place de choix est réservée au cochon.


Disposition des mets dans le "umu"

Ces mets sont ensuite recouverts de feuilles de bananier, puis ensevelis sous des mottes de terre. Le four devient un petit monticule d'où s'échappent parfois des petites fumées blanches. Il s'agit en somme d'une cuisson à l'étouffée, sous le sable, des  aliments à partir de la chaleur retenue dans les pierres. Au bout de deux heures environ, le sable ainsi que les feuilles de bananier sont enlevés, et les aliments sont prêts à être savourés. Le four donne un léger goût de fumé aux aliments.

Les produits de la mer : poissons et poulpe

Le lagon regorge de poissons et c'est, bien entendu, une nourriture  de base sur l'île. La pêche reste de type essentiellement artisanal, les pêcheurs pratiquent cette activité à la ligne, au filet ou au fusil sous-marin. La totalité de la production est auto-consommée. Il existe une grande variété de poissons, il m'est impossible de les énumérer tous : la carangue (lupo), le barracuda (saosao), la loche (ulutuki), le perroquet (homo). La chair la plus tendre et la plus appréciée est celle du poisson-perroquet... La chair la plus tendre et la plus appréciée est celle du poisson-perroquet ;-) Son goût doit sans doute se répéter, se répercuter dans toutes les parties du palais, de l'estomac ... Plusieurs façons de manger le poisson, soit très simplement cru avec un filet de citron, soit bouilli, soit grillé,  soit cuisiné au lait de coco.
Autre habitant du lagon très apprécié des papilles wallisiennes, le poulpe aux huit tentacules. Je savais déjà que cet animal était capable de prédire parfaitement les résultats de la coupe du monde, mais en faisant des recherches sur Internet, j'ai appris que c'était le plus intelligent des invertébrés, qu'il était capable d'utiliser des outils pour s'en servir de carapace, qu'il possède une grande mémoire stockée dans des neurones dont une grande partie se trouve au niveau des tentacules. Pour le cuisiner, il faut tout d'abord découper la bouche et les parties dans lesquelles est stockée l'encre, qu'il projette lorsqu'il se sent en danger. Il est nécessaire de le faire bouillir de longues heures, le premier bouillon doit impérativement être jeté car il est impropre à la consommation.


Préparation finale du poulpe

Le poulpe est découpé en fines tranches, puis il est cuit une dernière fois au lait de coco. J'ai beaucoup apprécié sa chair, très légèrement élastique, ferme et savoureuse.

Résurrection du poulpe

Après ces festins de chair végétale et animale, je m'endors. Je m'éveille vers  minuit, dans la chaleur moite de Wallis. Subitement, j'entrevois ma peau qui se lacère en de multiples endroits d'où jaillissent des centaines, des milliers de tentacules luminescentes qui dansent, avec légèreté, ardeur et grâce. L'écran allumé, phosphorescent de l'ordinateur capte, engloutit en son sein ces tentacules, je les vois s'éloigner inexorablement. Ils s'enfouissent sous la terre, la sillonnent, hésitent puis s'élancent dans l'immense espace de l'internet. Parfois ils empruntent les chemins de l'air, rebondissent vers les serveurs parcourus de courants électromagnétiques. Parfois ils parcourent les chemins sous-marins, et plus vite que le dauphin, plus rapides que le requin franchissent les continents. Comme une immense vibration traversant le monde, ils s'unissent à la matière pour s'extraire à nouveau de la terre. Tout à coup, ils éclatent sur votre écran, s'étalent sous la forme de lettres, de mots, de phrases. Ils frappent la rétine de vos yeux, naviguent le long du nerf optique puis se fondent enfin dans votre esprit.

A travers l'immense édifice du temps, entre le moment où je compose ces lignes, dans mon présent, et le moment où vous les lisez, dans le futur de mon présent, nous sommes en étroite symbiose, dans une union inextricable. A cette seconde précise, vos yeux sont exactement là et c-h-a-c-u-n de mes mots se détache, s'imprime en vous. Je suis désormais en vous, dans vos pensées, nous sommes indissolublement liés. Lien parfois fugitif, si vous êtes venu(e) au hasard d'internet, et que vous ne souhaitez pas vous attarder, lien plus fort si vous souhaitez approfondir votre connaissance de mon esprit, lire ou relire des articles. Mes tentacules respectent votre volonté souveraine. Quelques brèves palpitations du cœur ponctuent votre lecture, comme elles m'ont accompagné tout au long de le rédaction de ce texte. Immanence du temps, immanence de l'esprit, immanence du cœur ...
Je m'éveille, il est midi, mes tentacules ont disparu. Seul le rêve persiste en moi, et peut-être en vous.

jeudi 14 juillet 2011

Apprentissage de la plongée : Matériel, Arcs-en-Ciel et Techniques

 Après le baptême de plongée, j'ai profité de deux semaines de congés fin juin-début juillet pour obtenir les compétences de niveau 1 en plongée. A côté de la structure associative de Wallis, le centre de plongée de Pascal Nicomette "Évasion Bleue" permet de réaliser cette activité de manière plus régulière.





Évadez-vous vers le grand bleu

La connaissance s'acquiert par paliers, le niveau 1 de la plongée est celui qui vous permet d'accéder au Graal des plongeurs, les explorations. Le moniteur vous apprend quelques compétences techniques, s'assure que vous êtes capable d'une autonomie minimale en matière de gestion du matériel et vous enseigne les principes élémentaires de la gestion de la plongée, ainsi que les gestes de sécurité.Pour préparer le matériel, il faut d'abord aller récupérer sa bouteille de plongée, qui a été remplie avec de l'air comprimé à 200 - 230 bars. Celle-ci, en acier ou en aluminium, pèse au minimum 15 kilos. Le gilet stabilisateur de plongée est fixé à cette bouteille. A son extrémité se dégagent des robinets avec des attaches vissées, sur lesquelles les tentacules du poupe peuvent être attachés.

Bouteille, gilet et tentacules

Premier tentacule : Lors de la plongée, de la droite surgit le premier tentacule, le plus vital, le plus essentiel, celui du détendeur principal. Le détendeur est un organe mécanique permettant la détente d'un gaz, en l'occurrence l'air. Au niveau de la robinetterie du bloc de plongée, un premier détendeur permet de détendre l'air de la haute pression à une pression intermédiaire, puis le deuxième étage en bouche détend l'air à la pression ambiante.
Deuxième tentacule : A la droite du plongeur également, un manomètre indique en permanence la pression de la bouteille, repère fondamental pour connaître le temps disponible pour rester sous l'eau.
Troisième tentacule : Un tuyau est directement relié au premier étage du détendeur sur la bouteille. En actionnant un bouton, il est possible de gonfler le gilet et de le dégonfler pour se stabiliser dans l'eau, ou tenter de se stabiliser quand on est débutant ...
Quatrième tentacule : c'est un détendeur de secours appelé Octopus, rarement utilisé lors des explorations, mais qui peut être un complément utile s'il se produit un problème sur le matériel ou sur celui des compagnons de plongée.

Rituel immuable, nous embarquons le matériel sur le bateau de Pascal, équipé d'un moteur de 130 cv. Une fois le wharf dépassé, Pascal enclenche la vitesse supérieure. Le bateau puissant heurte les vagues de plein fouet, de fines gouttelettes d'écume explosent, se dispersent dans la lumière un bref instant puis retombent parfois et nous giflent le visage. Pendant l'un des voyages, alors que je suis assis à la gauche du bateau, j'aperçois un arc-en-ciel à travers les gouttelettes, qui semble serti sur l'eau et les vagues. Les couleurs rouge, orange, verte, bleue se déploient avec netteté dans la petite arche d'environ un quart de cercle, pure émanation de la lumière du soleil qui resplendit dans notre dos. A trois reprises, j'entrevois de manière fugitive une arche secondaire plus large, mais moins nette qui accompagne la première et la surplombe.

Au retour des plongées, fatigué, je m'installe à l'arrière du bateau, j'en profite pour contempler l'océan. De la coque du bateau, à droite et à gauche, se détachent deux larges bandes d'écume. Le moteur à hélice placé à l'arrière laisse une large et profonde traînée blanche sous l'eau. De l'hélice se déploie également une dernière marque de notre passage, un immense "V" qui grandit au fur et à mesure, et quelques flocons d'écume bouillonnante, d'une blancheur laiteuse, s'échappent parfois du sillon, dansent fugitivement dans l'air, se déforment et retombent dans l'eau. Une centaine de mètres plus loin, les extrémités du "V" se dispersent dans le lagon, le clapotis infini et imperturbable de l'océan règne à nouveau sur la surface de l'eau. J'ai entr'aperçu furtivement lors d'un voyage de retour un arc-en-ciel fragile, évanescent, dont les couleurs très pâles étaient à peine perceptibles. En transparence, je discernais les branches du "V" qui s'estompaient, ainsi que l'ilot Saint-Christophe qui s'amenuisait à l'horizon.

Les exercices se déroulent toujours à l'îlot Saint-Christophe, lieu très pratique car le tombant, relativement profond, est situé à une petite distance de la plage. La profondeur maximale de plongée est de 20 mètres pour le niveau 1, le moniteur s'assure que vous êtes capable de supporter la pression qui s'exerce à cette profondeur sous l'eau. Le passage le plus difficile pour l'équilibre interne des oreilles se situe en réalité dans les dix premiers mètres, puisque la pression absolue double en passant de 1 à 2 bars. Si une petite douleur se manifeste, la méthode la plus simple pour la faire disparaître est celle de Valsalva, qui consiste à se pincer le nez et à souffler légèrement dans celui-ci. Les différentes techniques de palmage (dorsal, ventral) sont mises en application lors des exercices. Vous apprenez la manière d'évacuer l'eau en cas de remplissage inopiné du masque, en soufflant très fort par le nez. Le moniteur vous enseigne également les gestes les plus importants pour communiquer sous l'eau. Vous devez indiquer à votre guide lors des explorations le moment où vous arrivez à la moitié de la consommation, à 100 bars, en réalisant un T avec les 2 mains, et vous devez également indiquer lorsque vous êtes sur la réserve, à 50 bars, en fermant le poing à coté du front. Geste le plus fréquent, le signe pour demander si tout va bien ...


Ça va, lecteur ?

La technique la plus importante enseignée est à mon sens celle du poumon-ballast. L'apprentissage nécessite une maîtrise de la gestion de la respiration. Les variations du volume d'air présent dans les poumons permettent de faire varier la flottabilité. Pour descendre, il faut expirer l'air des poumons, votre volume diminue ainsi que votre flottabilité et vous vous enfoncez. A l'inverse, pour remonter, il faut inspirer l'air, ce qui a pour effet d'améliorer la flottabilité et d'augmenter le volume sans faire varier le poids. Ainsi, à la fin des plongées, j'inspire profondément. Poussé par mon compagnon de plongée qui se prénomme Archimède, je m'extrais hors de l'eau en m'écriant "Eurêka" ;-)

lundi 4 juillet 2011

Tristesse, lumière et danse sur le scooter

Le désir qui provient de la joie est plus fort,
 toutes choses égales par ailleurs,
 que le désir qui provient de la tristesse"
Spinoza, Ethique, E4P18


Petites frayeurs sur le scooter, j'ai déjà été éjecté à deux reprises de la selle de mon destrier. Ces chutes se sont produites à très petite vitesse (voire sur place...), elles ont donc été sans gravité. La première fois, c'était simplement au démarrage, j'ai voulu braquer trop brusquement le guidon et patatras, me voilà les quatre fers en l'air ... Quelques jours après cette mésaventure, je m'approche en douceur de la poubelle située à l'extérieur, je tiens un sac poubelle en plastique noir entre les jambes que je m'apprête à jeter, je ralentis, je quitte la route goudronnée pour un léger contrebas en terre battue, la roue glisse, me voilà à nouveau au sol ... Que faire ? Le ridicule ne m'a pas tué, j'évalue les dégâts, minimes, fort heureusement, je me remets en selle, et j'avance, j'avance ...
Frayeur plus grande, celle de l'agression. Je n'arrivais pas à dormir, j'étais préoccupé, passé, présent et futur fondaient sur moi sans que je parvienne à démêler les fils, je faisais une ballade de nuit. J'étais au sud de l'ile, je roulais vite, les pensées me traversaient comme des éclairs, puis disparaissaient. Tout à coup, très tardivement, je vois une personne torse nu, marchant à reculons, se diriger vers moi. C'est l'accident, me dis-je, quasi imminent. J'appuie des deux mains sur les freins, mes doigts se crispent sous l'effort, elle continue à s'avancer vers moi, mes roues dérapent sous la violence du freinage. Je m'arrête à quelques centimètres de lui, la personne se retourne, pose fermement ses mains sur le guidon, plante ses yeux légèrement injectés de sang dans les miens et me réclame de l'argent : "Vite, donne-moi de l'argent, je dois m'acheter une bouteille". Ce jeune adolescent de 16-17 ans est déjà victime du fléau de l'alcoolisme. Il est visiblement ivre, son haleine empeste, je le sens lorsqu'il approche son visage du mien, menaçant. Il répète invariablement : "Donne-moi de l'argent vite", je lui répète à chaque fois que je n'ai rien sur moi. Plus tard, une fois rentré à la maison, je me suis rendu compte que j'avais 1500 F au fond d'une poche, je l'ignorais au moment de l'agression. J'aurais peut-être cédé sous l'effet de la peur si je l'avais su, et cela l'aurait sans nul doute incité à recommencer ... Il se poste du côté droit du scooter, tout en continuant à empoigner le guidon d'une seule main, je descends alors prudemment du côté gauche. Je le jauge, il est à peine plus grand que moi mais visiblement plus costaud, les muscles bien dessinés et marqués sur le torse, je n'ai aucune chance en cas de réelle agression physique. Je sens mon cœur palpiter à toute vitesse, je m'efforce de masquer mon inquiétude, je lui réitère calmement ma réponse "Désolé, je n'ai pas d'argent sur moi". Subitement surgit à sa droite un autre adolescent, sans doute du même âge, mais beaucoup plus grand. Il a les traits durs, m'observe un instant mais ne m'adresse pas la parole. Il parle en wallisien avec mon agresseur, qui lâche son emprise sur le guidon du scooter. Je perçois que je peux enfin repartir, ce que je fais. Sur le chemin du retour, je me dis que lui aussi a échappé à un grand danger. Perdu dans mes pensées, je l'ai aperçu très tard, à quelques secondes près, j'aurais pu le percuter très violemment.

Vision d'infinie tristesse, celle des animaux écrasés sur la route. Wallis est à dominante rurale, les animaux s'y promènent en toute liberté, et advient de temps en temps l'inéluctable ... J'ai déjà vu le cadavre d'un chat, d'une poule et de quatre chiens, et ce en l'espace de cinq mois à peine. Les chiens errants sont particulièrement dangereux, ils se jettent de manière inconséquente sur les véhicules, et pour peu que vous ne le voyiez pas, que vous calculiez mal votre trajectoire ... J'en ai évité de justesse quelques uns qui s'élançaient vers la roue avant de mon engin. L'une de ces visions m'a plus fortement impressionné. Je roulais en plein jour lorsque j'ai aperçu une tâche sombre en plein milieu de la route, j'ai ralenti puis je me suis arrêté. C'était la carcasse d'un chien au pelage noir, il avait l'épaule avant droite démontée, un mince filet de sang qui commençait déjà à coaguler s'écoulait de sa gueule entrouverte, sa peau était parcourue de tremblements frénétiques. J'ai pensé qu'il valait mieux l'écarter de la route, il pouvait provoquer un accident. J'ai trouvé un sac plastique transparent dans le petit coffre sous la selle du scooter, j'ai empoigné les deux pattes arrière du chien et je l'ai mis sur le bas-côté. Une traînée de sang a laissé sa marque sur la route. Je repars, je regarde une dernière fois en arrière. Demain la mort ... Où me percutera-t-elle, sur une route, dans un avion ou plus simplement dans un lit ? Au lever, au coucher du soleil, en pleine nuit ? Mais ces pensées sombres ne doivent avoir qu'un temps, il faut savoir les dompter, et toutes choses égales par ailleurs, la joie l'emporte sur la tristesse, il faut donc attendre que l'écume de la tristesse disparaisse, que les choses s'égalent ...

Pour échapper à ces idées funestes, j'accélère, ma perception du temps elle-même se métamorphose. Et plus je tourne la poignée de l'accélérateur, plus les palpitations de mon cœur se précipitent, je ressens avec intensité chaque seconde, chaque microseconde. Mais plongé au centre de cette jouissance frénétique de l'instant, mes mains se crispent, tout mon corps se tend, je perçois la crainte de l'accident qui rôde, le frôlement de la mort qui guette. Quelle solution, aller encore plus vite de l'avant ? Je préfère ralentir, je capte alors le paysage, les vastes tiges des cocotiers qui s'inclinent le long de la route, les oiseaux qui traversent le ciel immense, quelques bribes scintillantes du lagon. Je décélère encore, les couleurs du ciel couchant s'épanchent dans mon corps, le soir tombe ... 
Dans la nuit, je roule pleins feux. Lorsqu'au début, je croisais une voiture, le conducteur appliquait la loi du talion "Œil pour œil, dent pour dent, lumière pour lumière" et m'éblouissait à son tour avec ses feux de route. J'avais du mal dans les premiers temps à trouver l'interrupteur pour passer au feu de croisement, je le cherchais vainement dans l'obscurité sur le guidon avec le pouce de ma main gauche. Désormais, je trouve l'interrupteur très rapidement et les feux de nos véhicules se croisent en toute concorde, en toute cordialité.
Parfois, dans mon rétroviseur, je vois s'inscrire les phares d'un véhicule qui me suit. Les deux yeux inquisiteurs, à droite, à gauche, issus du présent de mon passé se rapprochent, j'accélère. Inévitablement, je suis rattrapé, les yeux s'enflent, disparaissent, le véhicule me dépasse, désormais c'est mon phare qui l'éblouit. Le faisceau lumineux de mon scooter s'inscrit dans son miroir, je suis handicapé, borgne, je suis un cyclope. Je le suis quelques instants, le véhicule et son conducteur s'éloignent vers le futur de mon présent, puis il disparaît. Seule, ma mémoire garde le souvenir de nos éblouissements et du présent.

Dans la nuit, les insectes m'assaillent à nouveau (Perceptions du temps II). Aspirés par la lumière, ils se précipitent vers moi, comme des pépites, des éclats de feu. Tel un ninja, je me contorsionne pour les éviter. Quelques uns me frôlent, me brûlent, mais ma peau envoûtée se cicatrise immédiatement. Je décide parfois de les affronter face à face, je deviens un colosse, ils viennent rebondir sur mon corps-tambour, meurent, s'affaissent sur le bas-côté des chemins, se régénèrent et reprennent leur envol.


Rayon de lumière dans la nuit de Wallis

Je m'engage sur la route de Malae, je suis à quelques centaines de mètres de la maison. Pour m'amuser, je donne de légers coups  de guidon à droite, à gauche, j'entame une danse avec la lumière. A l'unisson, corps à cœur, je tournoie dans la grâce la plus complète. C'est une valse lente, aux échos vertigineux. Je change de tempo, j'accélère, je ralentis, je m'arrête, je repars, et la valse devient tango. Surgissant comme par enchantement, les insectes réapparaissent, je les interpelle : "Vous m'avez agressé, je vous ai mangés, nous nous sommes tant combattus, mais faisons la paix", ils me répondent : "Nous t'avions déjà pardonné". Ils s'élancent dans la danse et m'accompagnent, au rythme de la milonga triste d'Hugo Diaz. Je ne les vois pas, je perçois la lente sourdine des moustiques, qui tourbillonnent au loin en  accord avec la musique qui se déverse des cieux. Plus près de moi, j' entr'aperçois les tâches sombres des mouches, bzzzz bzzzz, qui jouent leur partition et dansent en contrepoint de la lumière. Quelques abeilles, que je peux presque toucher, gorgées de l'odeur du miel recueilli en plein jour dans les corolles des fleurs, frémissent et palpitent voluptueusement. Enfin les papillons voltigent autour de mon visage, le caressent pour y déposer les senteurs de fleurs, battent des ailes et versent leurs couleurs chatoyantes, séraphiques dans mon âme. Sons, parfums et couleurs  s'entremêlent, se diffusent en moi.
Je tourne à gauche, je marque l'arrêt devant la maison, j'appuie sur l'interrupteur, la lumière s'éteint.