mercredi 19 décembre 2012

Wallis dans l'oeil du cyclone "Evan"


« Je dors, mais mon cœur veille »
Le Cantique des Cantiques

Bruissement de rumeurs inquiétantes sur l'île de Wallis : Deux semaines avant la date fatidique du samedi 15 décembre 2012, le cyclone tropical « Evan », annoncé comme potentiellement dévastateur, se déplace dans le Pacifique et selon les jours, voire les heures, sa trajectoire prévisionnelle sur les cartes météo, comme une ombre tourbillonnante, menaçante, passe par l'île de Wallis, puis dévie lentement, puis se rapproche à nouveau …
La saison actuelle à Wallis dans l'hémisphère sud est celle de l'été, mais il s'agit d'un été tropical chaud et humide. La différence de température n'est que de 2 degrés en moyenne par rapport à l'hiver du mois de juillet et août, mais les pluies sont particulièrement abondantes. Elles s'abattent sous forme d'orages violents, toutefois ces orages traditionnels peuvent parfois, très rarement heureusement, prendre une forme cyclonique. La saison des pluies est aussi celle des « cyclones » qui parcourent l'océan Pacifique, s'accompagnant de dégâts gigantesques dès lors qu'ils abordent des terres habitées. Le cyclone Tomas avait dévasté l'île de Futuna début 2010.

Vendredi 14 décembre, la menace se précise, à partir de 12h30, la préfecture lance une pré-alerte pour le cyclone « Evan ». Il avait ravagé les îles Samoa en y faisant deux victimes et se dirigeait clairement vers Wallis. Les principales consignes de sécurité sont les suivantes : rester à l'écoute des informations météorologiques, prévoir de renforcer les portes et fenêtres, faire des provisions de nourriture et d'eau, mettre à l'abri les embarcations …
J'avais déjà tout ce qu'il fallait : eau, bougies, piles pour la radio. J'ai fait l'achat de nourriture complémentaire le lendemain ; les magasins étaient bondés, mais il n'y avait pas d'affolement. L'alerte maximale de niveau 2 a été donnée samedi 15 décembre à 14h, avec interdiction de sortir de chez soi.

J'ai regardé un site Internet en fin d'après-midi, Météo Nlle Calédonie, qui annonçait que le cyclone allait passer très près de l'île de Wallis en début de nuit, avec des vents en moyenne de 120 km/h et des rafales de 205 km/h !!

A partir de 18h, le ciel s'est obscurci. Vers 19h, alors que les rafales devenaient de plus en plus vigoureuses, je suis allé vérifier avec la lampe torche que le scooter était bien en place sur la véranda, à l'abri du vent, ce qui était le cas. Depuis la rambarde, j'ai éclairé les alentours avec la lampe torche, elle illuminait un faible espace, plantes, arbres, ciel mais je distinguais difficilement les reliefs. Le ciel était chargé, une bande uniforme de nuages grisés se détachait du ciel assombri, fonçait du sud vers le nord. J'ai perçu une longue plainte, le hululement fabuleux du vent qui s'entrechoquait sur les obstacles. Je devinais vaguement les ombres des arbres et des plantes courbés par la force des rafales, fouettés par la pluie incessante. Toute la terre de Wallis s'inclinait devant la puissance cyclonique exceptionnelle. Je suis rentré à l'abri.

Peu après, alors que je lisais dans ma chambre à coucher, la lumière s'est éteinte brusquement, plus d'électricité, et la coupure de l'eau n'a pas tardé dans la foulée. Je n'étais pas inquiet jusque là mais après huit heures, les rafales de vent qui déferlaient depuis le sud ont commencé à atteindre une vitesse impressionnante. Ma chambre à coucher est exposée plein sud, je n'ai que des vitres sous forme de lamelles superposées, je les avais fermées au maximum, mais le vent arrivait à s'engouffrer entre les interstices, sifflait à travers les ouvertures de la pièce avant de se calmer, puis de reprendre encore plus violemment. Tout à coup, j'ai même senti de l'humidité qui fouettait ma peau, le vent crachotait de fines gouttelettes de pluie, les particules se pulvérisaient à travers la pièce. Je voyais que le verre se ployait, je me suis dit que les vitres pouvaient céder, exploser sous l'impact des rafales, qu'il me fallait me mettre à l'abri des éventuelles projections. J'avais une lampe torche près de moi, je suis allé à la recherche de deux bougies que j'ai disposé dans des verres inutilisés, je me suis assis dans le couloir, attendant patiemment l'accalmie.
Elles se consumaient lentement, j'avais le sentiment d'être un officiant perdu dans ses pensées, dans une prière muette, troublée par l'inquiétude et la peur, avec deux cierges en face de lui. Même au cœur de la maison, assis dans ce couloir, toutes les portes et les fenêtres étant calfeutrées, je voyais que le vent arrivait à s'engouffrer subrepticement, la flamme de ces deux bougies oscillait brusquement, s'amenuisait sous l'effet des courants d'air puis se redressait. C'est étrange, ma plus grande peur reste associé à la perception du vacillement épisodique de la flamme, au reflet tremblant de ces bourrasques gigantesques sur ces bougies, à la vibration ultime de ce souffle de dévastation qui venait mourir sur ces pâles lueurs. Dans le brouhaha général, j'ai entendu des craquements encore plus forts qui provenaient de la maison et des alentours, dont un qui m'a fait sursauter.
Les rafales diminuèrent en intensité après 21 h. J'ai été stupéfait par la vitesse à laquelle le vent s'est calmé, alors que le crescendo vers la puissance maximale du cyclone avait été très progressif. Il me semblait le cyclone s'éloignait, je suis allé me coucher. J'étais fatigué, j'avais peu dormi la veille, la tension nerveuse s'est relâchée, je me suis endormi très rapidement.

Par la suite, j'ai appris par des amis que le cyclone avait redoublé de plus belle après cette accalmie. La disparition miraculeuse des vents s'expliquait simplement par le fait que Wallis se trouvait sur l'exacte trajectoire de « Evan » et que nous nous sommes retrouvés dans le centre cyclonique. Le cœur, l'œil d'un cyclone est constitué de vents très calmes, voire nuls. Les rafales ont repris après ce calme éphémère, et aux dires des amis, elles furent encore plus furieuses dans la deuxième moitié de la nuit. Les bulletins météorologiques sont venus confirmer cette impression, puisque les vents du début de la nuit ont atteint les 150 km/h tandis que l'on a enregistré des pointes supérieures à 200 km/h après minuit ...
Je n'ai rien perçu de cette deuxième vague, les vents avaient tourné et frappaient depuis le nord. Je me suis endormi dans l'œil du cyclone, je me suis réveillé à deux reprises, j'ai perçu que les vents étaient forts mais l'intensité me semblait moindre. La salle à manger, située plein nord, ainsi qu'une autre pièce intercalée ont fait tampon, j'ai pensé qu'il s'agissait d'un ciel de traîne qui sévissait encore. Les violentes bourrasques qui enveloppaient la maison n'ont fait que me bercer, aucune angoisse à déplorer ... Mon cœur pacifié qui captait les pulsations puissantes des vents venus de l'Océan veillait sur moi ...

Je me suis réveillé dimanche matin vers 7h. Je sors pour apprécier les dégâts, ce qui me frappe immédiatement, c'est à la fois l'agrandissement du champ de vision et la dévastation du paysage, de la végétation. Mon jardin est clôturé par une haie de bosquets qui limitaient la vue, la plupart d'entre eux sont à terre, voire ont disparu. L'immense manguier qui trônait à gauche de la véranda s'est effondré. Les racines d'un citronnier qui donnait deux fois par an de magnifiques citrons sont à moitié arrachées du sol.


Manguier décapité

Citronnier en pleurs

J'ai inspecté l'intérieur et l'extérieur de la maison, aucune casse à déplorer. J'ai essayé dans la matinée de nettoyer le petit sentier que j'emprunte avec le scooter et la voiture qui était jonché de branches de pin arrachés aux arbres qui bornent mon jardin. A chaque fois une pluie intempestive est tombé en abondance, j'étais obligé de me réfugier à l'intérieur. J'ai dû m'y reprendre à quatre fois avant de parvenir au résultat souhaité. J'ai également passé un coup de balai, seule une petite flaque séchée sous la porte du salon et quelques brindilles témoignaient à l'intérieur de la maison de la violence passée du cyclone. L'eau est revenue dans les canalisations vers midi.
Au cours de l'après-midi, l'amélioration des conditions météorologiques était nette, je suis allé faire un petit tour de l'île pour voir l'étendue des dommages. Sur la route de Malae, un grand poteau électrique construit en béton penche dangereusement. Au fur et à mesure des jours, je l'ai vu s'incliner de plus en plus, je ralentis à chaque fois que je m'en approche, je me place du côté du sommet, j'accélère sur les derniers mètres pour l'éviter au cas où il s'effondrerait définitivement …

 Poteau électrique en berne

Partout, les cultures, la végétation ont été fortement endommagées. Les arbres à pin sont déracinés alors que les cocotiers beaucoup plus souples se dressent sur leur base. Peu de cultures vivrières ont survécu aux rafales. Les constructions les plus légères de type falé sont dévastées, mais parfois même les constructions en béton sont en mauvais état, avec des toits effondrés. Le bord de mer de Liku en particulier est ravagé, et il paraît que c'est aussi le cas de nombreux villages du sud.

Les restes du restaurant « Les Terrasses de Liku »

Certaines familles ont dû abandonner leur logement, se réfugier chez les proches, la solidarité familiale joue son rôle protecteur, central dans la société wallisienne. Les réseaux électriques et téléphoniques sont le plus souvent hors d'usage, d'innombrables poteaux gisent sur le sol, à l'instar de nombreux fils. Les habitants commencent à rassembler les végétaux qui barrent la route, qui jonchent les jardins, à les brûler ; d'innombrables fumées blanches s'élèvent depuis la terre de Wallis comme des feux de détresse, mais cela se fait dans l'indifférence générale médiatique de la métropole. Quelques articles de journaux en France ont relaté le passage du cyclone durant la journée du dimanche mais depuis, silence radio sur les ondes, hormis Wallis 1ère qui relate ici en continu les évènements …
Les secours ont commencé à arriver de la Nlle Calédonie, la distribution de l'eau est désormais assuré sur la quasi totalité de l'île, mais l'électricité tarde toujours. Résultat, il faut se coucher très tôt, le linge sale commence à s'accumuler ... La préfecture a commencé à organiser les secours d'urgence, le ministre des Outre-mer Victorin Lurel se déplace à compter d'aujourd'hui à Wallis.

J'ai terminé les derniers travaux de déblaiement du sentier mardi. Les broussailles tombées sur le chemin griffaient à chaque fois la carosserie de la voiture. Pour réaliser une telle opération, je suis allé acheter un coupe-coupe, celui que je me suis procuré tenant davantage même du sabre. J'ai commencé à débroussailler, à couper les branches avec la lame aiguisée, j'étais réellement impressionné par la qualité du tranchant. Par deux fois, patatras, alors que je porte un coup vif, le coupe-coupe m'échappe de la main droite (qui est en réalité une main très très gauche …). Je me suis fait une légère entaille juste à côté du tibia qu'un simple petit sparadrap a étanché, mais si la lame avait glissé cinq centimètres plus loin, j'aurais pu, par la grâce de ma maladresse, devenir la première victime collatérale sérieuse du cyclone trois jours après son passage ... Je me suis promis de ne plus toucher au sabre coupe-coupe sauf nécessité absolue de service. Pensée qui m'a traversé l'esprit : si les ravages matériels avaient été plus importants dans la maison, avec mon sens pratique catastrophique, ma gaucherie manuelle congénitale, Erhan se serait retrouvé bien démuni face à « Evan » ...
J'ai parlé avec mes collègues de travail de leur expérience liée au cyclone. C'est le cyclone le plus impressionnant sur l'île depuis trente ou quarante ans. Certains ont leurs maisons en très mauvais état, d'autres ont dû écoper toute la nuit en raison des infiltrations d'eau. Je considère, encore une fois, que j'ai eu beaucoup de chance quand je vois l'étendue des désastres sur l'île, une bonne âme veille sur moi. Désormais, j'attends, comme beaucoup d'autres, le rétablissement de l'électricité, le retour de la lumière.

jeudi 31 mai 2012

Strasbourg-Vienne à vélo : Paysages enchanteurs et Magie du Baroque

Les lacs-miroirs

Salzbourg n'est déjà plus qu'un souvenir… Nous avons décidé de quitter le camping vers 15h00, profitant d'une petite accalmie dans le ciel autrichien. Immédiatement, à la sortie de la ville, montée abrupte d'une côte. Mais l'effort est plus aisé avec l'entraînement accumulé depuis le début du voyage, les muscles se sont lentement habitués, se sont durcis avec les kilomètres avalés depuis Strasbourg. J'étais fasciné par les effets de la musculation naturelle du pédalage sur mes jambes : j'avais remarqué en particulier au camping le gonflement des muscles situés à l'arrière de mon mollet, je ne pouvais m'empêcher de palper, de provoquer le galbe en tendant le pied pour toucher la petite boule volumineuse musculaire, comme un culturiste fasciné par sa silhouette, guettant en permanence les effets de ses exercices incessants sur son corps …

A partir de Salzbourg, transformation complète des paysages et début de la féerie. Jusqu'à présent, je n'avais pas été dépaysé par les panoramas rencontrés, qui me rappelaient l'Alsace, les champs de blé, de maïs et les vignes composaient une mosaïque qu'il me semblait avoir traversé au cours de ballades à vélo à proximité de mon domicile. Tout à coup, à l'Est de Salzbourg, nous allions aborder le Salzkammergut, région des pré-alpes autrichiennes, qui doit son nom aux mines de sel de la région qui fit sa fortune autrefois. La majeure partie des revenus est désormais liée au tourisme, en raison de la beauté des paysages. Au loin s'échelonnaient de belles montagnes dont les arêtes tranchantes étaient par endroit encore recouvertes du blanc immaculé des neiges. Quelques chalets délicatement posés au milieu de gigantesques alpages scandaient le parcours tandis qu'au fond de vallées verdoyantes, blottis contre les lacs qui réfléchissaient les couleurs sereines ou sombres du ciel, les villages accueillants semblaient rayonner d'une douce joie de vivre.

Première étape au Salzkammergut, le village de St Gilgen, où l'ombre de Mozart nous frôla encore, puisque sa mère y naquit et que sa sœur Nannerl y vécut. Après quelques instants passés au bord du lac St Wolfgang et la dégustation d'une glace, nous avons admiré et photographié le très beau clocher de l'église en forme de double bulbe avant de remonter sur nos vélos.
L'église de St Gilgen

Nous avons longé le lac. Juste avant de le quitter, petit détour sur une rive enchanteresse à l'initiative de Rémy, au milieu d'un champ où s'extirpaient comme une rêverie quelques herbes sauvages. Ici, la nature avait gardé un aspect sombre, indompté, il émanait de ces lieux un magnétisme doux, apaisé. Les sapins qui s'étageaient tout le long des flancs des montagnes avoisinantes se réfléchissaient sur la surface du lac, la couleur verte profonde et légèrement tremblante sous l'effet d'un vent délicat se mariait au reflet des nuages blancs vaporeux et du ciel bleu immense. Toute la beauté du monde semblait s'être miraculeusement déposé dans ce miroir de la nature, et tandis que nous admirions ce spectacle, que les couleurs prenaient une teinte de plus en plus sombre lorsque la fin de l'après-midi tendait vers le soir, assis l'un à côté de l'autre, le reflet de cette harmonie s'est déversé en nous, nous nous sommes progressivement mis au diapason du monde, toutes les particules de nos corps se sont unis pour proclamer notre appartenance éternelle à la magie des arbres, à la magnificence des cieux, à la sérénité du lac-miroir.

Il a fallu repartir, à regret. J'ai le souvenir de deux montagnes traversées successivement grâce à des tunnels sur une piste cyclable creusée dans la roche, parallèle à la route dévolue aux voitures. Dans le deuxième tunnel, un petit chemin menait vers l'extérieur et de la balustrade on pouvait contempler la vue d'un autre lac alors que la nuit commençait à y refléter ses ombres tout en y allumant le reflet des astres lointains, de la lune et des lumières d'une ville qu'on distinguait sur le rivage opposé. Nous décidâmes de passer la nuit sur ce balcon.

Phosphorescences dans la nuit

Repas avant de s'endormir sur la grande bâche. Rémy s'agite et n'arrive pas à trouver le sommeil. Il me disait qu'il ne supportait pas l'idée de dormir avec la vision des barreaux de la balustrade qui lui donnait le sentiment d'être emprisonné. Il se lève, découpe la bâche en deux, escalade la barrière avec son sac de couchage pour tenter de trouver le sommeil de l'autre côté. Il s'enveloppe dans son duvet mais peine perdue, le sol est très inégal, il n'arrive pas à trouver une position confortable ; de surcroît, depuis la falaise tombent continuellement quelques gouttes d'humidité qui l'opportunent. Retour obligé dans l'autre sens ... et enfin dodo réparateur.

La visite du Salzkammergut continue le lendemain le lac du Traun (Traunsee) jusqu'à la petite bourgade de Traunkirchen. La chapelle du Johannesburg se distinguait déjà de loin sur une petite avancée rocheuse qui surplombe le village et le lac. Nous la visitons après avoir pris un verre sur une terrasse.

La chapelle du Johannesburg à Traunkirchen

Nous remontons sur nos vélos, direction Gmunden, qui s'étale à quelques encablures de Traunkirchen. La ville est animée au moment où nous la traversons en début d'après-midi. Le château d'Ort, emblème de la ville, se trouve sur un îlot isolé. Nous avons cadenassé nos vélos, puis franchi la longue passerelle en bois qui relie la ville au château pour nous promener dans son enceinte.

Le château d'Ort

L'archiduc qui possédait ce château à la fin du 19ème siècle fut banni et déchu de sa nationalité par l'empereur François-Joseph parce qu'il désira vivre avec sa maîtresse de basse extraction. O tempora o mores ... Dans la cour intérieure, sur un mur entre deux portes on peut voir les années des inondations avec la marque de la hauteur maximale atteinte par les eaux. Record à battre : l'année 1899.

En fin d'après-midi, nous avons laissé la région du Salzkammergut pour commencer à nous diriger vers le Danube. De nouveau, paysage de plaines et de champs cultivés. Mais voilà que la pluie se remet de la partie. Le voyage en Allemagne s'était déroulé sous la canicule, nous évitions systématiquement de rouler entre midi et quinze heures. Désormais, c'est l'inverse, il faut essayer de passer entre les gouttes. Et la route devient dangereuse, je ne peux plus bénéficier de l'aspiration du vélo de Rémy car lorsque je m'approche trop près de la roue arrière de son vélo, je reçois des giclées d'eau projetées par celle-ci qui m'aveuglent. Nous attendons parfois à l'abri que l'averse passe mais lorsque le ciel est uniformément gris, que nul espoir d'éclaircie ne se profile, nous enfilons rapidement un pantalon imperméable et une grande cape de pluie et vaille que vaille, nous continuons le chemin. Je sens une légère crainte qui m'envahit à l'idée de la chute, qui serre mes entrailles, je dois rester concentré et vigilant, tout en fournissant plus d'effort physique. Le soir, nous dormons sous un abri bus.

Lors de la matinée suivante, sous l'effet de la pluie et de la fatigue accumulée, je sens Rémy qui s'essouffle devant moi, je m'inquiète. Tout à coup un panneau providentiel devant nous « Distributeur de produits laitiers ». Nous dévions vers la gauche et effectivement, dans une ferme isolée et déserte à l'heure où nous arrivons, un distributeur automatique délivre du fromage, des packs de lait, des yaourts fermiers. Rémy consomme un ou deux litres de lait par jour, quelle aubaine ! Rémy ragaillardi, reverdi, le poil désormais vigoureux grâce à la potion magique peut se remettre en selle. Je le suis.

Un produit laitier et ça repart ...

En début d'après-midi, nous rallions le Danube au niveau de la ville d'Ybss an der Donau. A nouveau, un violent orage éclate, nous nous réfugions dans une pâtisserie. Nous prenons un café et mangeons une petite pâtisserie en attendant que la pluie se calme. Elle semble s'apaiser, nous ressortons, mais les gouttes s'intensifient brusquement, nous allons nous réfugier dans une autre pâtisserie non loin de la première. Rémy reprend encore une part de tarte, je lui demande si c'est bien raisonnable : « One moment on the lips, a lifetime on the hips ». Il ne m'écoute pas …

Le baroque étincelant

La pluie diminue en intensité, les nuages s'éclaircissent, nous pouvons repartir. La route devient plus sûre, une piste cyclable le long du Danube nous mènera jusqu'à Vienne. Quelques dizaines de kilomètres plus loin nous attend une très belle surprise du voyage, nous faisons une halte dans la ville de Melk pour y visiter l'abbaye. Ses deux tours élégantes coiffées d'un bulbe ainsi que la coupole verte de l'église  surplombent la butte rocheuse sur laquelle l'édifice se dresse. Sa couleur jaune soleil attire le regard, ses contours se dévoilent lentement au fur et à mesure que l'on monte un grand escalier sur la façade sud.

L'abbaye baroque de Melk

L'abbaye médiévale fut un grand centre spirituel et intellectuel. Dans le roman d'Umberto Eco « Le Nom de la Rose », le narrateur est originaire de celle-ci et y écrit le récit de ses aventures des années après. Toutefois l'architecture actuelle ne date pas du Moyen Âge mais du début du 18 ème siècle sous l'impulsion d'un abbé dynamique et de l'architecte Jakob Prandtauer, qui édifie un monument à la gloire du baroque triomphant.

A l'intérieur, la visite commence par la visite des appartements impériaux transformés en musée qui abrite des autels portatifs et des statues recouvertes d'or de personnages saints dans de grandes pièces tapissées d'immenses miroirs. En mon for intérieur, je trouve ces statues relativement laides, grandiloquentes, saisies dans des positions peu naturelles, maniérées.
Statue du musée de l'abbaye

Nous passons par la terrasse qui se situe à l'extrême bord de la falaise, qui offre une vue magnifique sur le Danube voisin et la façade de l'édifice. Nous plongeons dans le bâtiment qui abrite la bibliothèque, c'est le début de l'émerveillement. La bibliothèque est riche d'environ 85 000 volumes dont certains inestimables qui sont magnifiquement mis en valeur par les boiseries sombres et les dorures qui ornent les murs de la salle alors qu'une très belle fresque au plafond donne un sentiment d'espace à l'ensemble. Nous descendons un escalier en colimaçon qui tourbillonne vers l'église. Nous entrons, c'est l'apothéose. Le lieu de prière est d'une décoration somptueuse, les tons rouges, bruns, orangés et l'or à profusion se marient parfaitement dans une harmonie colorée chaude et pleine de grâce. Une fresque au plafond de couleur pastel emplie de mouvements, d'anges, de saints donne une perspective vertigineuse aux yeux. Le maître-autel est orné de statues dorées de personnages saints, d'évangélistes.

L'intérieur de l'église

Et alors que ces statues isolées semblaient sans grâce dans le musée, voici que posées l'une à côté de l'autre elles s'animent d'une grandeur insoupçonné, leurs gestes trop expressifs et exagérés trouvent un équilibre solennel, inspirent le respect, le recueillement, un mouvement savant d'ensemble régit secrètement les contrastes de leurs attitudes et l'or qui surchargeait la statue individuelle illumine l'entière composition.

Après cela, promenade dans de très beaux jardins, qui offrent le spectacle de parfaits espaces ordonnés et de recoins plus sauvages, décorés de sculptures fantaisistes ou naïves.


Singes amoureux

Le beau Danube

Nous voilà en selle le long d'un chemin qui serpente le long du Danube. Une petite averse pointe le bout de son museau, le ciel crachote de fines gouttelettes mais nous continuons à avancer. Le paysage se métamorphose, la féerie opère à nouveau. Le Danube au delà de Melk se rétrécit, il prend une tonalité sombre sous l'effet des nuages qui surchargent le ciel, il s'encaisse dans une vallée étroite ornée de monts sur lesquels trônent les ruines de châteaux médiévaux. Le courant vigoureux accélère les flots tandis que le chemin cyclable s'égare dans les hauteurs des vignes à flanc de coteaux, redescend pour se promener le long de ruelles pittoresques recouvertes de pavés inégaux, s'éloigne des eaux du fleuve pour retourner tôt ou tard vers celui-ci.

La pluie s'estompe. Immédiatement, quelques dizaines puis centaines de limaces se pressent devant les roues de nos vélos, traversant intempestivement le chemin que l'on emprunte. Je vois Rémy éviter adroitement la plupart des insectes rampants grâce à de très légers slaloms, mais je suis plus maladroit, moins agile pour tournoyer entre eux, c'est très vite l'hécatombe … Mais pourquoi ne respectent-ils pas le code de la route ? Je réfléchis, je comprends rapidement que c'est lié à l'absence d'un véritable programme de sensibilisation aux dangers de la route et d'éducation aux règles élémentaires de prudence. Je suis convaincu que Rémy, professeur d'éducation physique et sportive pourrait superviser une campagne d'enseignement pour ces insectes. Il a une expérience solide en la matière, je l'ai entendu souvent dire « Quelle énergie j'ai dû déployer aujourd'hui ; mes élèves, de vrais limaces ... ».
Le soir s'impose. Toujours sous la menace d'un ciel chargé, nous préférons encore une fois dormir sous un abri.
Dernier matin avant l'arrivée à la destination finale, nous nous précipitons direction soleil levant. Les couleurs translucides d'un ciel où les nuages ont disparu se déversent avec effusion sur les vignes, effleurent les toitures des églises et maisons, caressent la surface du fleuve pour se fondre définitivement dans les profondeurs des eaux. Nous passons tour à tour de chaque côté du Danube qui s'élargit au fur et à mesure de son avancée et de l'approche de la capitale. D'autres cyclistes se joignent à nous pendant quelques kilomètres, une compétition muette se joue entre nous. Rémy accélère, je tente de le suivre, la grande torpille bleue fuse, fonce à travers monts et vaux suivie de près par une petite ombre verte vers Vienne.

vendredi 11 mai 2012

Strasbourg-Vienne à vélo : Salzbourg, une petite musique de Mozart

« M'aimez-vous bien ? »
Mozart, enfant, phrase prononcée à tout venant


L'arrivée à Salzbourg

Autriche, terre promise des deux voyageurs, se dévoile enfin à nos yeux. Le passage de l'Allemagne à la terre autrichienne se déroule sous les roues de nos vélos sur une passerelle étroite qui offre un bref instant le spectacle d'une symphonie de tons verts.


A gauche, l'Allemagne ; à droite l'Autriche


Salzbourg, ville quasi frontalière, était une étape fixée d'avance sur notre carnet de route. Première vision marquante de la ville, sur un contrefort se dresse les remparts de la forteresse de Hohensalzbourg, point de repère idéal qui permet à chaque moment de s'orienter dans la ville.


La forteresse des princes-archevêques


Une fois arrivés à Salzbourg, nous nous enquérons du chemin du camping, mais une fois encore le vélo de Rémy émet des signes de fatigue, quelques rayons explosent à nouveau, nous voilà sur la pelouse d'un parc à devoir le réparer (euh, le voilà qui répare tandis que je l'assiste, que je l'admire …). Il est absorbé par sa tâche, concentré à l'extrême, lorsqu'un grand bruit résonne à ma droite, suivis par l'explosion des pleurs d'un enfant. Une jeune femme vient de faire une chute à vélo à quelques pas de nous, elle tractait une remorque dans laquelle reposait ses deux garçons, celle-ci est renversée et le plus petit pleure à chaudes larmes. Nous aidons la femme sous le choc, visiblement tendue et stressée, nous consolons les enfants, plus de peur que de mal heureusement. Rémy tente de réparer mais c'est impossible, l'attache de la remorque est tordue. Le père de la jeune mère appelé à la rescousse embarque ses petits enfants ainsi que la remorque tandis que la femme repart vaillamment sur son vélo.
Nous atteignons le camping en fin d'après-midi, celui-ci est à l'écart de la ville, au pied de collines verdoyantes. C'est une belle surprise, le camping est vaste, bien entretenu et d'une grande propreté.



A la poursuite de Mozart


Rémy avait commandé plusieurs rayons pour son vélo à Munich mais il s'avère qu'ils n'avaient pas été coupés à la bonne taille. Le lendemain de notre arrivée, nous recherchons en fin de matinée un réparateur avant de prendre le déjeuner ensemble. J'entame un petit tour de la ville dans l'après-midi.

La fortune de la cité est liée à celle des princes-archevêques. Le plus célèbre d'entre eux, Colloredo, ne doit la plus grande part de gloire qu'à l'ombre ternie qu'il porta sur l'immense célébrité de Mozart. Traité sans cesse avec mépris, considéré comme un simple domestique, humilié, celui-ci s'en va, bien aidé, paraît-il, par un vigoureux coup de pied au derrière du secrétaire de Colloredo. Coup de pied particulièrement efficace puisqu'il propulsa Mozart et sa musique vers l'éternité, que celle-ci résonne lors d'un festival qui se tient chaque été à Salzbourg alors que le musicien détestait cordialement sa ville natale, trop provinciale à son goût, manifestant peu d'intérêt pour la musique et l'art en général. Le nom du Mozart sert aussi désormais à vendre du chocolat, des liqueurs ; son génie musical ne se contente plus de faire vibrer nos oreilles, le son s'est diffusé, s'est métamorphosé pour se savourer directement dans nos palais jusqu'à l'ivresse ;-)


Juste à côté de l'office du tourisme, sur la place Mozart, ô divine surprise, une statue de … Mozart


Au dessus d'un ange


J'avance vers la Residenzplatz, au milieu de laquelle une fontaine, ornée de chevaux, de tritons et d'atlantes aux corps ployés, séparées par des roches et de vastes coupes, projette vers le ciel une gerbe magnifique d'eau blanche écumeuse, qui vient s'unir brièvement à ses frères-nuages pour replonger avec frénésie vers la source.



Fontaine ardente


Je me dirige vers la cathédrale de style baroque. Les sculptures des portes ont pour thème la Foi, l'Espérance et la Charité. Au centre du vaste dôme resplendit une discrète colombe blanche au milieu de grands éclats de couleur or.


Le Saint Esprit


En sortant, je me dirige vers la place de la cathédrale, sur laquelle se dresse une colonne de la Vierge, avec dans ses mains l'enfant Jésus, futur crucifié. Le parvis est encombrée d'une scène, ainsi que de rangées de sièges pour les spectateurs. Tandis que je marche, une musique tombe des cieux, comme une pluie qui s'accentue au fur et à mesure de mon avancée. Je tends l'oreille, depuis les nuages s'épanche un orchestre invisible dont les notes souveraines envahissent l'espace. Je reconnais le morceau, c'est la symphonie 40 en sol mineur, mouvement Allegro Assai, qui s'abat comme une immense tourmente autour de moi. Je marche, tandis que les bouffées de violence, de colère s'abattent en cascades tumultueuses. Les contrastes musicaux marqués, exacerbés par les violons tendus à l'unisson délivrent la tonalité sombre du passage. Deux brèves accalmies interviennent, dans lesquelles plane une tension interne, mais à chaque fois, les vibratos frénétiques des violons reprennent  la course poursuite vers les abîmes. La pluie diluvienne de notes éclate autour de moi, le tumulte intérieur en quête de soulagement gronde, le sentiment de colère du monde contre l'injustice plane. Lorsque les instruments se sont tus, je ressens autour de moi le souvenir d'une furie qui a explosé dans les cœurs, comme un feu d'artifice de colère, un bouillonnement de sang vif.

J'entre dans le cimetière Saint Pierre, dans lequel des grilles de fer forgé délimitent les caveaux dans lesquels reposent les morts. S'élève alors des tombes la messe de Requiem en ré mineur. Les bassons puis les cors de basset de l'Introitus commencent à donner la tonalité sombre, ténébreuse de l'ensemble. Puis la prédominance du chant s'affirme, le chœur entonne sa prière en latin :


« Seigneur, donnez leur le repos éternel,
Et faites luire sur eux la lumière sans fin »


En contrepoint, le chant soprano monte, les accents tragiques, tourmentés s'imposent. Dans le Kyrie, les voix graves et aiguës, masculines et féminines, s'entrelacent, se fiancent, s'épousent dans une fugue éperdue, un halètement, un grand cri de pitié, une supplication vive se projette vers les cieux.
Une lumière douce dont je ne percevais ni le début ni la fin, semblait sourdre des tombes, se répandre dans l'air. Aucune peur ne m'agite devant ce chant d'angoisse devant la mort, dont la beauté exalte la borne nécessaire de l'homme, nous incitant simplement à nous souvenir de l'amour que nous avons voué à nos chers disparus. Lueur éternelle, apaisée des morts sur nous, resplendissement du passé. Nulle résurrection des corps, mais communion éternelle, immanente dans le présent à travers le souvenir qu'ils ont déposé en notre âme. Leurs actes, leurs pensées, leurs choix, leurs aspirations vibrent au fond de nous, à travers les années et les siècles. Leur souffle spirituel nous anime, une chaîne invisible, impalpable, inexorable est tendue vers nous, nous liant pour l'éternité.

Je continue mon chemin, visitant l'abbatiale Saint Pierre, attenante au cimetière ainsi que l'église des Franciscains. Au cours de cet après-midi, vision de la très belle statue d'un faune


Un Faune dans l'après-midi

Je m'engage dans la Getreidegasse, très belle artère du centre de Salzbourg. La rue piétonne est étroite, bordée de maisons aux belles enseignes de fer forgé, très animée. Au n°9, la maison natale de Mozart.


Getreidegasse


Je croise d'innombrables passants, touristes comme moi ou habitants de la ville, hommes, femmes, enfants, je les frôle, Bang Bang il me semble percevoir leurs battements de cœur frénétiques, désordonnés, ne sachant quel sens donner à leur vie. Le chaos s'organise, devient une marche cadencée, accélérée, les palpitations qui se succèdent à allure vive donnent la cadence de la sonate pour piano n°11 en la majeur, 3ème mouvement Rondo alla Turca. Les battements de cœur des passants et les miens s'enchâssent dans le mouvement joyeux de la sonate, les doigts d'un musicien invisible percutent chacun d'entre nous à un rythme effréné. Comme des percussions de tambourins délicats, des tintements de clochette allègres, les notes enjouées résonnent depuis nos poitrines dans l'espace. Pas de pesanteur militaire dans cette marche, un esprit moqueur, taquin déploie la grâce d'une musique aux accents toniques ; une pulsion de vie dynamique, légère, fantaisiste s'exhale miraculeusement du choeur que je forme avec les passants pour danser puis s'évaporer dans les cieux.
Par de petites ruelles, je me rends vers le couvent Nonnberg qui se situe dans les hauteurs, juste à côté du château qui domine la ville. Je redescends, je vais sur l'autre rive de la Salzach, cours d'eau qui traverse  la ville, pour me rendre vers la colline opposée dénommée Kapuzinerberg. Alors que je monte les escaliers, voilà que retentit en moi les accents du concerto pour piano n°21, mouvement Andante. Mon coeur résonne comme les accords du piano, chacun de ses frissons est empreint d'une gravité suave, d'une tristesse contenue, noble, majestueuse. Les cordes, les instruments à vent invisibles viennent entamer un dialogue délicat, esquissent de légers frôlements d'angoisse vers moi mais mon coeur-piano s'interpose, maîtrise les éléments pour imposer avec douceur ses vibrations sereines, célestes.



Vue de Salzbourg depuis la montagne des Capucins



La trépanation secrète


Je laissais la visite du château pour le lendemain. Mauvaise idée, dès le réveil, une pluie incessante a commencé à barrer l'horizon. Toute la journée, les nuages gris-noirs succédèrent aux nuages gris-noirs, pas une seconde d'accalmie, sinon que la pluie baissait parfois en intensité mais pour reprendre de plus belle sa mitraille continue, vive et drue depuis les cieux. Rémy et moi prîmes notre mal en patience, passant le plus clair de notre temps dans le restaurant, désoeuvrés, parlant comme peuvent le faire deux amis de très longue date de tout et de rien, échanges intellectuels et affectifs. Je lisais un livre qu'il m'avait conseillé de lire. Il parcourait  la presse populaire autrichienne, il m'apprit que la scène sur la parvis de la cathédrale était dressée pour la représentation de la pièce « Jedermann » de Hugo Von Hoffmannstahl, qu'on peut traduire par « Tout un Chacun », « N'Importe Qui », qui se tient chaque année lors du festival de Sazbourg depuis 1920. Les journaux rappelaient toutes les versions successives les plus célèbres et marquantes de la pièce, s'interrogeant sur celle qui allait être représentée. Le personnage principal appelé Jedermann se retrouve soudain face à la Mort qui veut le confronter à son Créateur. Il a besoin d’un témoin de sa bonté mais ni sa famille, ni son meilleur ami ne veut l’accompagner ; seules ses Bonnes œuvres et la Foi le réconfortent, acceptent de l'accompagner le sauvant ainsi des griffes du Diable. La pièce m'a semblé d'un symbolisme chrétien très chargé mais elle est très populaire, c'est un grand honneur que d'être désigné acteur de "Jedermann". J'étais un peu navré par la morale de la pièce : à titre personnel, j'aurais témoigné pour Rémy ...
Le ciel, immense manteau épais, étouffant, menaçant, continua à délivrer les trombes d'eau. La colère du ciel semblait démesurée, sans fin. Depuis le début du voyage, je voyais que mon ami était préoccupé, tourmenté, ce qui m'attristait ; passé, présent et futur s'emmêlaient en lui sans qu'il puisse en dénouer les fils. Ce soir là, il fut pour la première fois du voyage obligé de dormir sous la tente en raison de la pluie. J'acceptais de dormir à la belle étoile lors des étapes intermédiaires, mais dès que nous étions dans les campings, je préférais m'endormir sous la barrière protectrice de la tente de couleur bleue tandis qu'il continuait à vouloir trouver le sommeil dehors, à la clarté lointaine de la Voie Lactée. Je suis fasciné par la trépanation que dut subir Guillaume Apollinaire pour soulager ses maux de tête interminables après une blesssure de guerre, je décidais que pour allèger les peines de mon ami, il me fallait pratiquer cette opération, qui consiste à pratiquer une ouverture perforatrice dans la boîte cranienne pour soulager l'hypertension.


J'ai attendu qu'il s'endorme profondément. J'ai sorti de mes affaires un petit burin ainsi qu'un marteau achetés la veille, je me suis approché de sa tête, j'ai éclairé avec ma lampe frontale et j'ai commencé à entailler l'os, à marteler sur le sommet de son crâne rasé comme le mien, en pratiquant une découpe circulaire. J'avançais avec beaucoup de précaution, quelques minuscules fragments s'envolaient comme des copeaux de bois, je les mettais de côté pour les remettre ultérieurement à leur place. L'opération manuelle nécessite une minutie d'orfèvre, un doigté extrême. A un moment donné, Rémy a esquissé un mouvement, je pensais qu'il allait se réveiller, je cessais de respirer, angoissé à l'idée d'être interrompu mais j'ai l'avantage qu'il a un sommeil de plomb, il a simplement adopté une position plus confortable.
L'opération était terminée, le cercle était d'une perfection miraculeuse, je me suis servi du burin comme d'un levier, j'ai soulevé l'os crânien. La tente était plongée dans une pénombre à peine troublée par la lueur qui émanait de mon front. Agenouillé, j'ai contemplé le lobe pariétal qui scintillait, les neurones dessinaient des entrelacs somptueux, énigmatiques, pareils à des constellations d'un reflet doré, pâle et délicat alors que le pluie soudainement plus apaisée résonnait par arpèges, pianotait en sourdine sur la mince toile bleue tendue au dessus de nous qui battait comme une aile d'ange parcourue par les frissons du vent. Je retenais mon souffle par instant, j'entendais les vagues bruits de la nuit au dehors tandis que sa respiration se mêlait à cette rumeur, s'écoulait en cadence, soulevant avec légèreté sa poitrine. Je voyais s'échapper depuis les synapses ses pensées, ses rêves, comme des bulles impalpables, diaphanes qui tournoyaient miraculeusement dans l'air. Chat griffu, j'ai essayé de les attraper mais en vain, elles éclataient en mille autres morceaux plus petits qui revenaient avec douceur reprendre place dans sa tête. Dans l'une de ces bulles, j'ai vu le reflet de trois gorgones aux longs cheveux noirs ondulants, au regard de fièvre, insatisfait, je soufflais sur elles, elles disparurent comme de la poussière d'étoiles. Rémy continuait à dormir du sommeil du juste.
Il me fallut lentement remettre en place la partie de l'os que j'avais enlevé, raccommoder avec précaution chacun des fragments qui s'étaient détachés. Je voyais les bords du cercle cicatriser en rougeoyant. L'opération fut-elle un succès ? Il fut plus détendu, beaucoup plus apaisé pendant la deuxième partie du voyage, mais peut-être s'était-il simplement habitué à moi … En garda-t-il une trace ? Je ne saurais vous le dire, Rémy me domine en taille de 24 cms, je n'arrive jamais à voir le sommet de son crâne ;-)


Sérénade pour vous endormir


Avant que ne vous tombiez dans les bras de Morphée, je vous souhaite à tous une bonne nuit et vous offre cette petite musique avant de vous endormir. Petit éclat musical léger, aérien, intense édifié patiemment note après note par l'arrière petit-fils d'un maçon qui résida dans la cité sociale de la Fuggerei à Augsbourg.

Petite dédicace à un fils de plâtrier, de la part d'un fils de peintre en bâtiment ;-)
Et joyeux anniversaire

Petite musique de nuit du grand Mozart

lundi 7 mai 2012

lundi 23 avril 2012

La Nouvelle Zélande sous le signe du volcan (3)

Jogging, Kiwi, Geysers et Concerto de mouettes

Mardi matin, j'avais pris la décision de courir. Je me suis réveillé plus tôt, je suis allé en direction d'une forêt à la lisière de Rotorua « Redwoods ». J'ai couru le long de vastes routes vers ma destination à une allure modérée. Arrivé devant la lisière, j'ai marqué un temps d'arrêt, j'ai pénétré par un sentier étroit mais je n'osais pas m'aventurer trop loin, de peur de m'y perdre. Compte tenu de mon sens de l'orientation, je suis capable de commencer ma course en Nouvelle-Zélande et de me retrouver à la fin de celle-ci sur le GR 20 en Corse ;-) J' entrais dans les bois par un chemin de traverse, je trouvais rapidement un chemin parallèle à la grande route par laquelle j'étais venu, j'en sortais pour entrer à nouveau. Souvenir d'une futaie de très hauts arbres, ici les fougères verdoyantes rivalisent de hauteur, dépassant largement leur taille traditionnelle, j'avais un sentiment d'écrasement sous le dôme verdoyant immense, vertigineux qui se déployait au dessus de moi. Sur le chemin retour, je tentais quelques accélérations mais je sentais que je n'étais pas réellement en forme, je manquais de souffle.

Pendant que Katrine et Martine vaquaient à d'autres occupations, je suis allé visiter un dernier parc, le « Te Puia » situé au sud de Rotorua. Au delà des fumerolles, des mares de boue, des cratères auxquels j'étais désormais habitué, j'ai pu admirer le symbole, avec la feuille de fougère, de la Nouvelle Zélande, à savoir l'oiseau « kiwi » dont le nom est emprunté au terme maori « kivi-kivi ».


Kivi-kivi

Rubrique le saviez-vous

"Le kiwi est-il un oiseau ou un mammifère ?"

Étrange animal que voici, classé dans l'espèce des oiseaux alors qu'il partage un grand nombre de similitudes avec les mammifères. Son plumage ressemble plus à une touffe de poils qu'à des plumes traditionnelles, ses ailes sont inexistantes et relèvent davantage de moignons de bras, ce qui l'empêche de voler. Sa température moyenne de corps de 38 ° est bien plus proche de celle des mammifères que de celle des oiseaux, qui est en règle générale plus élevée. Il a un odorat développé, comme la plupart des mammifères. Pourquoi demeure-t-il un oiseau ? C'est essentiellement lié à son bec extrêmement long qui lui permet de fouiller le sol à la recherche d'insectes, de fruits, de grenouilles, et à son mode de reproduction, puisque la femelle pond des œufs que le mâle couve pendant deux à trois mois. Vous connaissez ces célèbres œufs de consistance verte, vous les avez forcément goûtés au cours de votre vie …

Œufs de kiwi à maturité ;-)

Celui du parc « Te Puia » se trouve dans une maison maorie plongée dans l'obscurité, puisqu'il vit essentiellement la nuit. Il se tenait près d'une large vitre dans un espace naturel recomposé, une lumière violette éclairait la pièce, je l'ai vu enfouir son bec dans la terre, fureter un long moment dans le sol. Il a levé les yeux un bref moment, regardant dans ma direction à travers la glace, mais il ne percevait sans doute pas ma présence.

Je continuais mon chemin, je me dirigeais vers une passerelle en bois tandis qu'à gauche, je distinguais un grand poudroiement blanc, vaporeux qui planait au dessus d'un paysage rocheux. Cette fumée est le signe de l'activité permanente de deux geysers, « Plumes du Prince de Galles » mais surtout celui du « Pohutu », plus grand geyser en activité de la Nouvelle Zélande, qui signifie explosion en maori. Au moment précis où je m'engage sur la pont, le « Pohutu » bien nommé explose, jaillit avec une force redoutable à une vingtaine de mètres, diffusant dans l'air nuageux de la matinée une vapeur encore plus épaisse ainsi que des milliers de gouttelettes, dont certaines retombent inexorablement vers moi pour effleurer ma chair, me rafraîchir.

Explosion du Pohutu

Je suis allé sur un promontoire situé à une petite distance des geysers pour admirer ce phénomène géothermique une deuxième fois. Au moment de l'éruption, le vent a soufflé jusqu'à moi pour déverser sur mon visage une infime humidité vivifiante, vestige du grand tumulte, de l'immense bouillonnement intérieur de la terre volcanique.

Dans l'après-midi, petite visite de Rotorua. Après une longue déambulation dans les rues du centre-ville, je me suis dirigé vers le lac, avec pour intention de prendre en photo les nombreux cygnes noirs qui peuplent les rives. J'avais emporté avec moi deux morceaux de pain pour les attirer. Ils flottaient, ondulaient sur les flots légèrement agités par le vent, le duvet noir de leurs grands flancs se détachant nettement sur la surface de l'eau assombrie par les nuages. Au moment où je distribuais le pain, l'un d'entre eux est sorti de l'eau, se dandinant sur ses palmes, il a déployé ses ailes dans toute leur envergure, j'ai observé que sous le plumage noir et lisse, les plumes cachées situées à l'intérieur des flancs étaient blanches. J'avais encore un morceau de pain, je remarquais que non loin de là reposaient sur l'herbe un nombre impressionnant de mouettes. J'ai marché vers eux ainsi que vers le plus beau souvenir de mon séjour.

Je lançais une bribe de pain qu'une mouette s'empressa d'attraper en plein vol. Comme par enchantement, une nuée de trente, quarante mouettes se dressa devant moi, je me retrouvais médusé face à un mur volant, chanteur qui s'égosillait, psalmodiait, palpitait en réclamant avec énergie la nourriture que j'avais entre les mains. Je voyais distinctement le bout de leurs ailes frétiller à une vitesse incroyable pour rester suspendues à mi-hauteur. Certaines d'entre elles se sont approchées à une distance tellement courte que j'ai pris peur avant de réaliser que je ne risquais rien. Je leur jetais la mie de pain en variant les trajectoires, tir tendu, en cloche, passe courte ou longue, à chaque fois l'une des mouettes l'attrapait avant qu'elle ne touche le sol puis s'en allait plus loin. Voletant à deux mètres pour les plus proches, je percevais dans leurs minuscules yeux noirs l'attente folle de mon don, du jet de l'aliment dans l'espace ; l'appétit féroce pour la nourriture, le désir intense de vie brûlaient leurs prunelles. Je choisissais souvent au hasard, mais lorsqu'il m'arrivait parfois de capter un regard encore plus intense, plus vibrant que les autres, je lançais le pain dans sa direction. Au fur et à mesure, je découpais des morceaux de la miche de plus en plus petits pour faire durer le plaisir.

Notes volantes dans le ciel

Les oiseaux devenaient des notes sur des lignes de musique aériennes, ondulantes, elles s'animaient pour faire résonner un hymne enchanteur à la gloire de la volupté de la faim, je me transformais en musicien soliste face à un orchestre, donnant l'impulsion, l'inflexion décisive à des violonistes célébrant l'ardeur de l'existence ...

Soudain, plus de pain, instantanément les mouettes sont retournées se reposer sur l'herbe, me dévisageant simplement du regard pour voir sans doute si je n'allais pas ressortir une autre miche de mes poches, mais elles étaient vides. Je m'en allais.

Patrick nous a invité le dernier soir au restaurant, repas très sympathique, festif, rempli de fous rires. Nous avons terminé la soirée chez un de ses amis néo calédonien qui habitait comme lui à Rotorua.


Passez la commande de l'amitié, svp

Face au mur

Le lendemain, Katrine et moi sommes partis à Auckland en taxi. Nous avons laissé Martine à Rotorua, qui est encore restée dans cette ville quelques jours de plus. Nous repartions un jour après en Nouvelle Calédonie, et nous voulions également voir le concert de Roger Waters. Le trajet fut plus long qu'à l'aller car le chauffeur récupéra d'autres voyageurs sur le parcours, il se retrouva englué dans le trafic à l'approche de la grande ville et il eut du mal à trouver l'hôtel dans lequel nous allions demeurer une seule nuit.

Terry nous rejoignit en fin d'après-midi, nous nous sommes mis en quête d'un restaurant. Au cours du repas, j'évoquais la scène de la veille avec les oiseaux avec Terry. Cela lui remémora une scène de son enfance, il nous raconta qu'il s'amusait avec son cousin à attacher deux morceaux de nourriture par un fil de pêche très fin, quasi invisible, et à les lancer simultanément à deux mouettes pour les voir attraper chacune une extrémité, tirer à hue et à dia, observer leurs vols complètement désordonnés, leurs mines totalement déconfites ne comprenant pas ce qui se passait … Un sourire malicieux illuminait son visage, une lueur espiègle dansait dans ses yeux de vieil homme à l'évocation de ce souvenir de farce enfantine.

Le soir, Katrine et moi sommes allés au concert de Roger Waters, membre fondateur du groupe Pink Floyd, principal compositeur-interprète du groupe mythique. Le concert était ancré sur la reprise du succès phénoménal de l'album « The Wall » de 1979.

Juste avant le concert

L'idée d'assister à ce concert était venue de Katrine, excellente idée car le spectacle fut magnifique, d'une grande qualité visuelle et sonore. Je n'ai jamais vu une scénographie aussi imposante. Au début, un avion accroché au plafond de la salle vient s'écraser dans un grand fracas sur la scène, le reste fut tout aussi spectaculaire. Lentement, pendant la première partie, les techniciens édifient un mur, brique par brique, derrière lequel les musiciens disparaissent. D'immenses marionnettes gonflables, représentant les personnages du film « The Wall » se déploient lentement, s'animent grâce à une technique d'une infime précision, puis se replient et disparaissent. S'élèvent les notes de deux chansons marquantes de l'album, « Another Brick in the Wall » chantée par Roger Waters avec un choeur d'enfants qui vient défier la marionnette géante, ainsi que « Goddbye Blue Sky » avec les images d' avions vrombissants qui éjectent des bombes. Le mur qui se construit sert d'écran à des images de guerre, de regards intenses qui fixent la salle ou de visages qui se décomposent.

Tristesse et Désolation
Le concert est un manifeste anti-guerre, mais il ne cesse d'employer les images des guerres d'Irak et d'Afghanistan. Roger Waters fait le lien entre ces dernières et le décès de son père qui mourut lors de combats pendant la deuxième guerre mondiale, image qui l'a marqué à tout jamais. Le visage du chanteur apparaît derrière le mur dans une dernière chanson avant que l'ultime brique ne se pose et que l'entracte ne retentisse. Dans la deuxième partie du concert, le spectacle devient plus intimiste, il chante en solo devant ce mur où se déploient des images sombres, grises ou rouge-sang. A un moment donné, il s'approche du mur, l'effleure, celui-ci explose en myriade de couleurs, qui me rappellent toutes celles des paysages captées pendant le séjour.

Jaillissement de couleurs sur scène

Le célèbre cochon cochon noir des concerts de Pink Floyd, maculée de symboles capitalistes et communistes, plane dans la salle. Les images du film par séquences complètes défilent sur le mur. J'avais vu le film d'Alan Parker, je ne l'avais pas tant apprécié que cela, mais les mêmes images dans le cadre du spectacle projetées sur un mur géant prenaient une toute autre dimension.

La scène très connue des marteaux marcheurs

A la fin, le mur s'effondre sous une constellation de confettis et d'applaudissements …

De la Nouvelle Zélande vers la Nouvelle Calédonie

Le lendemain matin, avant le départ dans l'après-midi, pendant que Katrine faisait ses emplettes, j'ai visité brièvement Auckland. L'hôtel était situé en face des docks, le centre historique était peuplé de petits gratte-ciels, l'hôtel lui même en était un puisqu'il comportait plus d'une quarantaine d'étages. La chambre offrait une vue panoramique plongeante et superbe sur la baie.

Quelques heures plus tard, l'avion d'Air Calin, immense cygne majestueux, a décollé, nous transportant d'une terre nouvelle à une autre, notre esprit désormais illuminé par le souvenir des couleurs des paysages, de la féerie du concert et des heures passées à célébrer l'amitié.

dimanche 22 avril 2012

Information de la plus haute importance

J'ai accompli mon devoir d'électeur, ce matin à 9 h 53, avec 10 heures d'avance par rapport à la métropole ...

dimanche 8 avril 2012

La Nouvelle Zélande sous le signe du volcan (2)

Le lendemain, fidèle à la messe puis au rendez-vous de l'amitié, Patrick, notre pilote et guide est venu nous emmener au Wai-o-tapu, dans sa berline BMW 525 i de couleur bordeaux. Il était toujours en livrée impeccable de chauffeur, c'est à dire en jogging ;-)






Patrick et sa berline : la classe, what else ? …

Wai-o-tapu : L'oeuvre colorée d'un artiste

La merveille thermale de Wai-o-tapu est encastrée dans une grande réserve naturelle au sein de la région volcanique de Taupo. Ici comme ailleurs, fumerolles, cratères, piscines d'eau et de boue chaudes et froides, mais dans un délire de couleurs. La très grande variété de couleurs est due aux composants chimiques naturels : jaune - soufre, orange - antimoine, blanc - silice, vert - arsenic, rouge-brun – oxyde de fer, noir – soufre et carbone, violet - manganèse.
Avant d'aborder le panorama coloré, nous passons devant « les encriers du diable », série de cratères dans lesquels les morceaux de graphite noir et de pétrole liquide remontent à la surface. S'y dessinent d'étranges et belles lignes, arabesques mouvantes, ondulantes, fugitives et constamment renouvelées, s'unissant momentanément aux autres, se brisant, se décomposant pour renaître à nouveau. Moralité : Le diable est séduisant ;-)
La beauté du diable

Tout à coup, vision d'un espace dénommé « La palette de l'artiste », immense terrasse où les couleurs ont une variété de teintes incroyables, où les couleurs changent en fonction de la température, du niveau d'eau de la piscine qui jouxte cette zone, de la direction du vent … Ici la Nature, infatigable artiste, puise dans cet infini éventail de couleurs pour composer chaque jour une nouvelle œuvre dans le monde, s'en va au gré du vent déposer avec son pinceau le vert sur les plantes, les arbres, se condenser dans l'émeraude, projeter le jaune sur les citrons mûrissants, s'allier au soleil radieux, danser sur les ailes des papillons, propulser l'orange sur les fruits, chatouiller les poissons clowns et s'évaporer dans les flammes.



La palette de l'artiste : « La beauté de l'ange »

Nous traversons la terrasse sur une mince plateforme en bois, tandis que s'étagent à notre gauche des terrasses en silice, qui sont des répliques miniatures des Terrasses roses et blanches détruites. Nous descendons un chemin pierreux qui serpente le long de petites falaises, avec des cratères emplis de sédiments qui jalonnent le chemin. Un mince filet d'eau nous accompagne, qui grandit au cours de la descente pour se déverser en petite cascade ruisselante et sonore dans les eaux d'un vert amande du lac de Ngakoro. Quelques montagnes esquissent leur profil au lointain, composant un doux panorama.
Nous remontons vers les terrasses lorsque Katrine aperçoit une cigale reposant sur une terrasse de silice, mal en point mais frétillante encore de vie. Cette cigale semblait s'être littéralement baignée dans une cuve de couleurs de Wai-o-tapu, d'étranges motifs jaunes et verts ornaient son corps, avec un immense M arrondi qui trônait en évidence sur son thorax. Les composants chimiques des terrasses l'avaient sans doute étourdie, nous l'avons laissée sur un petit bosquet, peut-être s'est-elle abandonnée à la mort, fatiguée, résignée ou a-t-elle lentement repris vie, prête à se gorger, à se draper à nouveau dans les couleurs chatoyantes des jours ...

Cigale aux couleurs de Wai-o-tapu

Les sentiers forestiers mènent vers de magnifiques plantations d'arbres à haute voûte et qui recueillent dans leurs ramures les habitats de nombreux oiseaux tels que les étourneaux et méliphages, leurs chants guillerets scintillaient dans la douce langueur de la fin de la matinée.
Vers la fin de la visite, passage au bord de la piscine de Champagne, source d'eau circulaire de 60 mètres de profondeur, avec de fines bulles dues au dioxyde de carbone qui explosaient en surface et une épaisse fumée qui ondoyait en surface pour s'éclipser vers les cieux.

Champagne et bulles pour Martine et moi

Dernière vision avant la sortie, le cratère du « Bain du diable » aux contours déchiquetés dans lequel rayonne une eau naturelle d'une couleur somptueuse, d'un vert anis ce jour là. Plus l'eau est verte, plus il y a d'arsenic et donc plus le diable reluit d'espérance ...

Le bain du diable : L'espoir des profondeurs

Nous sommes ressortis pour prendre un verre à la cafétéria et partager nos impressions. Nous allions repartir, lorsque Patrick, couché sur un banc en bois qui jouxtait la grande table hexagonale devant laquelle nous étions attablés, fut le témoin d'une vision extraordinaire qu'il partagea avec nous. Il regardait en direction du soleil qui dardait ses rayons en plein début d'après-midi, et grâce à la protection de ses lunettes noires, il avait perçu le spectacle des milliers de grains minuscules de pollen qui avaient envahi l'espace. Je me suis mis sous une poutrelle de bois pour éviter l'éclat du soleil et à travers le toit ouvert, ils étaient effectivement perceptibles, ils composaient un paysage extraordinaire se détachant nettement du ciel bleu azuré. Dentelle délicatement ciselée striant l'espace, infimes étoiles de jour mouvantes, les poussières de pollen volaient rêveusement au gré du vent. Fines, scintillantes, elles tourbillonnaient dans l'espace puis arrivés à un certain point, elles semblaient miraculeusement s'élever, aspirés vers le disque solaire, prêtes à aller se jeter, s'embraser et fusionner dans le feu du jour.
En suivant l'habitude prise dès la première journée, nous sommes allés l'après-midi nous baigner dans les piscines thermales de « Waikite Valley ». Les bassins utilisent les eaux naturellement bouillonnantes de sources chaudes, qui se déversent à partir de gouttières taillées dans la pierre. Nous y étions déjà venus la veille mais cette fois-ci, Patrick ne nous avait pas prévenus que nous allions nous rendre directement à la piscine après la visite, Katrine, Martine et moi avons été obligés de louer un maillot de bain. Le mien était en forme de short, constitué d'une partie centrale en tissu, et de larges pans bouffants. La première fois que je m'engouffrais dans l'eau, des poches d'air se formèrent qui éclatèrent en produisant des bulles d'air et … des bruits pour le moins incongrus et gênants ... Deux Néo Zélandais me regardèrent en souriant … Le ridicule ne m'ayant pas tué, je décidais de recommencer et je me suis amusé de temps en temps à entrer dans l'eau pour créer ces bulles riantes et sonores …
Nous nous sommes lancés dans de grandes discussions avec Patrick. Je le trouvais de plus en plus sympathique, un large sourire illuminait toujours son visage, il nous raconta quelques histoires amusantes avec une formule que je trouve inoubliable : « Je rêvais de le faire une fois, je l'ai donc fait plusieurs fois ». Sa ferveur religieuse m'intriguait, il était adepte des visions millénaristes qui prédisent des changements, des bouleversements exceptionnels pour l 'année 2012. Il nous a fait part de trois visions qu'il aurait eu selon laquelle l'euro allait connaître une grande crise puis disparaître, que ce serait la fin définitive de la pension qu'il recevait et que les armées russes alliées aux nations arabes allaient profiter de la désorganisation pour envahir l'Europe. Je suis athée, je crois que le futur ne s'établit pas en fonction des désirs d'un Dieu transcendant mais des probabilités contenus dans le présent, des choix que les individus réalisent au fur et à mesure. Je lui ai prédis que la fin de l'euro était possible mais non souhaitable, que les pensions allaient perdurer en cas de crise profonde même si leur niveau relatif pouvait baisser, que la vision d'une guerre mondiale opposant les Européens, les Russes et les Arabes appartenait à l'ordre du délire le plus complet. Je lui ai donné rendez-vous non pas dans dix ans ... mais dans un an pour vérifier si la réalité allait donner gain de cause au croyant, convaincu que celle-ci est influencée en permanence par une nécessité divine, ou à l'homme de raison, pensant que le monde s'infléchit en fonction de nos actions et d'un déterminisme simplement humain.

Les rives de Taupo : Chutes, Vol du Canard Affamé et Ecume

Excursion le lendemain vers les rives de Taupo, le plus grand lac de Nouvelle-Zélande. Terry, un ami de longue date de Katrine, est venu nous rejoindre, il nous a offert du poisson fumé excellent et des huitres que nous avons dégustés en fin de journée, accompagné d'un vin néo-zélandais d'une grande finesse. Il était retraité, occupait autrefois des fonctions plus ou moins équivalentes à celle de garde-forestier d'après ce que j'ai cru comprendre et il était un passionné de la chasse ; j'ai discuté avec lui durant tout le trajet mais j'avais souvent du mal à le comprendre en raison de son accent néo zélandais très prononcé, je me contentais d'acquiescer à ce qu'il disait et de temps en temps, j'intervenais lorsque je comprenais quelques mots …

Patrick et Katrine à gauche, Martine et Terry à droite

Nous sommes arrivés en fin de matinée pour faire un trajet en jet, mais il n'y avait plus de place, nous avons été obligés de réserver pour la fin de l'après-midi. Nous en avons profité pour aller admirer les chutes de Huka, « Huka Falls ». Depuis un petit belvédère, vue extraordinaire sur cette cascade, puissante déferlante d'eau d'une couleur bleue acier, d'un débit impressionnant, qui bondit, rebondit dans un grondement sourd le long d'un gouffre étroit en produisant une mousse d'écume jaillissante, qui vient bouillonner en surface ou se fracasser, se déchiqueter sur les falaises.

Huka Falls
Nous avons fait provision dans un magasin spécialisé de miel de manuka, le miel des Maoris, connu pour ses vertus médicales et ses propriétés antiseptiques. Après avoir pris un déjeuner léger, en attendant l'heure du jet, nous avons fait une petite croisière sur le lac Taupo, petit trajet au regard des dimensions du lac, long de 40 km et large de 30 km, affichant une surface de 625 km². Je scrutais la rive qui s'éloignait, tandis que les turbines dans les profondeurs invisibles actionnaient les deux hélices, qui tournoyaient en produisant deux sillages d'étoffe d'écume blanche, ondoyante et soyeuse qui se perdaient vers les lointains sous le soleil, semblables aux deux ailes délicates d'un ange.
Ce lac est réputée pour ses truites brunes et arc-en-ciel, des concours nationaux ou internationaux de pêche y ont lieu régulièrement. Le bateau nous a emmenés jusqu'à des falaises où on peut admirer quelques sculptures maories taillées dans la roche, représentant des animaux et le « Taniwha », protecteur du lac, images créées à partir des légendes locales.

Sculptures maories

Au retour, une hôtesse du bateau nous a gratifié d'un très beau spectacle. Elle a découpé un petit morceau de mie de pain, elle l'a tendu le long de sa main depuis la cabine avant du deuxième étage du navire. Rapidement est apparu un canard, qui volait avec énergie vers la nourriture, battant avec fureur des ailes pour capter le pain. Au moment où il s'approchait, il ralentissait, les battements d'aile devenaient moins violents, seules les extrémités vibraient frénétiquement, il planait, essayait de rester à hauteur, revenant parfois en arrière pour redoubler d'efforts, tendant désespérement son cou pour atteindre le quignon tant espéré, les yeux fixés sur sa proie, qu'il a fini par attraper dans un dernier effort.

Bientôt la récompense …

Il s'est posé dans les vagues ondoyantes laissées par le passage du bateau, dégustant le pain chèrement acquis. L'hôtesse nous a proposé de faire de même à notre tour, nous nous sommes mis sur le ponton arrière. Dès qu'il voyait notre main se tendre, l'oiseau s'élevait, battait des ailes avec énergie, il comblait rapidement les quelques centaines de mètres qui nous séparaient pour réclamer la nourriture, mais cette fois-ci il se contentait de voleter à quelques mètres, il savait instinctivement, habitué au flot de touristes, que nous n'aurions pas la patience de l'hôtesse et que nous lui lancerions tôt ou tard son trésor pour qu'il puisse s'en régaler.

La croisière terminée, nous nous sommes rendus au site de « Huka Jet ». Les responsables de la compagnie nous ont prêté une tenue imperméable, un gilet de sauvetage et de grandes lunettes, nous ont donné les consignes lors du tour en jet boat : « Interdiction de se lever, obligation de se tenir aux poignées ». Nous avons rapidement compris pourquoi, le jet une fois lancé atteignait une vitesse incroyable, passant à quelques centimètres d'obstacles artificiels, semblait parfois se diriger sur les branches d'arbres qui plongeait leurs extrémités dans la rivière pour les éviter au dernier moment. Le coeur se met à battre plus rapidement au rythme effréné de la course du pilote. Parfois, le bras tendu, il esquissait un petit cercle avec son index, signe qu'il allait effectuer un tour complet, le jet vrombissant tournoyait alors sur lui-même, l'eau éclaboussant nos lunettes.
Apothéose de la ballade, le jet se rend juste en contrebas des chutes de Huka, dont les flots écumants se déversent avec furie dans la rivière. Trois fois, il s'est lancé dans les flots déchainés, réalisant des tours complets au sein de ce tumulte, l'écume voletait autour de nous dans la grâce et la démence la plus complète, comme une fin de monde enchantée.