dimanche 29 janvier 2012

Strasbourg-Vienne à vélo : Passage au Munich de Bavière

"Je maintiens que la perfection de la forme et de la beauté
est contenue dans la somme de tous les hommes"
Albrecht Dürer, Traité des proportions du corps humain

Les nuits s'inclinent avec révérence devant les matins. Nous sommes aux portes de Munich, lorsque tout à coup émane un petit son sec du vélo de Rémy. Il descend, inspecte l'engin ; il s'avère qu'un rayon de la roue arrière vient de rendre l'âme (paix à celui-ci ...). Il remonte sur sa selle, nous roulons encore quelques kilomètres vers le sud de Munich où se trouve le camping sur lequel nous avons jeté notre dévolu, et d'autres rayons du vélo émettent le même son en souhaitant visiblement rejoindre leur frère dans l'au delà. Nous nous mettons en quête d'un réparateur, mais celui-ci est fermé pour la pause méridienne. Nous patientons un long moment avant que la boutique n'ouvre. Mais il s'avère que celui-ci ne peut réaliser immédiatement l'opération, il nous indique un autre réparateur qui se situe à coté du camping, nous nous dirigeons donc vers celui-ci. Sur l'itinéraire, nous croisons une quantité impressionnante de routes cyclables et de cyclistes. Nous le cherchons longtemps, il est localisé près d'une piscine et d'un zoo municipal, à l'intérieur d'un grand parc, Rémy est obligé de demander son chemin à plusieurs reprises. Nous finissons enfin par le trouver, on nous attribue une place dans une zone bien précise. Plusieurs tentes sont déjà dressées, nous choisissons un petit lopin situé près d'un buisson, nous passons devant l'abri de très jeunes Allemands, je remarque une petite poubelle dont émerge une quantité impressionnante de canettes de bière.
La fin de l'après-midi est consacrée à la toilette, indispensable pour se débarasser de la crasse accumulée après quelques jours de nuit sur les chemins, et au nettoyage de nos tenues respectives de cyclistes.

Visite du centre-ville

Le souvenir que je garderai de Munich est celui d'une ville d'une très grande opulence. Je n'ai jamais vu une telle concentration de berlines dans si peu d'espace, BMW, Mercedes, Porsche. Même en étant très peu intéressé par les voitures, je ne pouvais m'empêcher d'être impressionné par celles que je croisais. Sur un seul parking, j'ai dénombré au total sept Porsche, peut-être plus que je n'en avais vu durant toute ma vie ...
Au centre de la ville, la Marienplatz, point névralgique de la cité, nommée ainsi en l'honneur d'une colonne de la Vierge Marie qui s'élève au milieu de la place. Sur un croissant de lune, la statue dorée de la mère de l'enfant Jésus qu'elle tient de son bras gauche. La Bavière reste fortement marquée par le catholicisme, et le pape actuel Benoît XVI est d'origine bavaroise.
Colonne de la Vierge

En bas de cette colonne, quatre putti guerriers terrassent des animaux mythiques. L'un d'entre eux domine le Basilic, animal mythique à tête de coq et à queue de serpent.

Putto et Basilic

La renommée de cette place était venue jusqu'à moi. C'est sur celle-ci que les Munichois se rassemblent pour célébrer les nombreuses victoires du Munich de Bavière, les trophées sont brandies depuis le balcon de la Rathaus qui borde la place.

Rémy et moi souhaitions vivement visiter la pinacothèque de Munich. Nous savions qu'elle abritait une importante collection de peinture "classique".

Petit florilège d’œuvres de la pinacothèque de Munich

Dürer - Autoportrait au manteau de fourrure

Albrecht Dürer est l'un des premiers artistes à se mesurer à l'exercice de la représentation de soi. A gauche de son visage le monogramme distinctif en lettres dorées de son oeuvre, avec le "D" qui se blottit entre les deux extrémités du "A", ainsi que l'année de composition, soit 1500 . En miroir, de l'autre côté du portrait l'inscription suivante en latin "Moi, Albrecht Dürer de Nuremberg, je me suis peint en couleurs impérissables à l'âge de  28 ans".
De ce visage du peintre irradie une grande force ; un immense orgueil est perceptible dans le regard grave de l'artiste. Il se dépeint dans un manteau au col de fourrure luxueux, dont il rend presque perceptible le toucher soyeux à travers le geste qui étreint le bas du col. Même délicatesse et minutie dans le rendu soigné de ses lèvres charnues, des poils de la barbe et des cheveux bouclés qui encadrent son visage concentré. Les tons bruns prédominent dans le tableau mais en contrepoint vertical la couleur chair de la main, de la gorge et du visage illuminent la composition.  Celle-ci est saisissante également par la ressemblance avec les représentations traditionnelles de l'iconographie du Christ, jusque dans les doigts qui semblent esquisser le geste de la bénédiction christique.
Le peintre est alors considéré comme un simple artisan, Dürer proclame au monde entier qu'il est un artiste à part entière, par sa tenue, par son attitude. Il peint à l'époque de la Renaissance, au moment où les consciences individuelles se libèrent des jougs moyenâgeux, où le sentiment de liberté commence à s'affirmer. On connaît de lui deux autres autoportraits à des âges différents de la vie,  il est l'initiateur de ce mouvement qui aboutira à l'oeuvre emblématique de Rembrandt et de Van Gogh qui ne cesseront de se peindre tout au long de leur carrière artistique, avec la lente montée de l'angoisse qui accompagnera l'introspection de soi. L'orgueil initial va faire place au doute, creusement de l'orbite, obscurcissement du regard vont se détacher des pinceaux des maîtres.  La liberté ne mène pas toujours au bonheur, l'interrogation haletante aboutit à la solitude et à la découverte de sa propre misère. Pourtant la liberté est toujours première, l'aboutissement inéluctable du développement des sociétés modernes. Il est le premier à se poser des questions sur sa propre identité avec, déjà, une gravité insondable et, capturé par ce regard intense, vous regardez le portrait-miroir tandis qu'une question s'élève en vous "Et moi, qui suis-je ?"


Rubens - La chasse aux lions

Ce musée abrite de magnifiques tableaux de Rubens. Celui qui saisit ces chasseurs en pleine action, au milieu d'un combat qui les oppose à un lion et une lionne, est d'une qualité remarquable. Il est entièrement exécuté de la main de l'artiste, qui avait parfois recours à son atelier pour certaines compositions. La lutte est organisé autour d'une diagonale qui traverse le tableau. Au centre de la toile, un cavalier en tunique blanche est désarçonné de son cheval qui s'est cabré avec furie. Il est attaqué par le lion qui a planté ses crocs sur lui, il va sans doute mourir, à l'instar du chasseur qui gît déjà par terre à droite, sa dague toujours en main. Toutefois, trois autres cavaliers tentent de le sauver avec leurs lances dirigés vers le fauve. A gauche, la lionne se livre à un duel sans merci avec un autre chasseur qui lui plante son épée dans la gueule. Les quelques touches de couleur illuminent les tenues et éclairent avec intensité le tableau, ils forment contraste avec l'éclat blanc au milieu de la composition, ainsi que le ciel assombri en arrière plan. Le mouvement est suggéré par les lignes courbes des corps des animaux et des êtres humains qui s'emmêlent dans cette oeuvre, dans une union inextricable.
Ronde éternelle de la lutte acharnée de l'homme avec les fauves, avec la Nature, avec la peur qui le tenaille à chaque fois qu'il pressent une force, une puissance qui s'oppose à la sienne. Goût de l'être humain pour le combat, qui lui donne le sentiment d'une vie intense dans le présent, qui fait retentir chaque seconde comme une éternité, même au péril de sa propre existence.

Quelques années plus tard, j'avais acheté cette toile en reproduction et elle ornait mon salon. Je ne pouvais m'empêcher de la regarder et de contempler à chaque fois des détails et des sens nouveaux à chaque fois que je regardais cette toile :

Le musée abrite de fabuleuses toiles de Rubens. Celui qui saisit ces chasseurs en pleine action, au milieu d'un combat qui les oppose à un lion et une lionne, est d'une qualité remarquable. Le tableau de « La Chasse au Lions », scène de chasse exotique et imaginaire, composé par P.R. Rubens en 1621 soit à l'âge de 44 ans offre une combinaison des plus belles qualités baroques du peintre. Il est l'expression d'un artiste parvenu à maturité complète, au sommet de son art qui maîtrise toutes les facettes de son expression artistique.

Une ligne de symétrie en légère diagonale parcourt le tableau, elle est constituée par la lance de l'un des chasseurs à cheval qui vient d'être désarçonné par l’attaque d'un lion et l'épieu est désormais à l'envers, s'élançant vers le ciel, le chasseur s'agrippe de toutes ses forces à cette arme devenue inutile tandis que son visage exprime son effroi, son désarroi. Tout en haut de cette ligne de symétrie, au centre supérieur du tableau, s'incarne la figure du noble, du maître pour le profit duquel s'ordonne cette parade funèbre de la chasse. Il est le seul à être hautement protégé par une armure sombre ainsi qu'un casque à l'antique avec une crinière de poils qui jaillit hors de celui-ci, qui semble se confondre avec les nuages proches projetées sur la toile. Il est l'ordonnateur de ce spectacle, cette scène exalte sa puissance, la chasse aux prédateurs marque la puissance de la richesse, du bon vouloir et du bon plaisir des seigneurs ; l'achat de ce tableau est destiné à la noblesse. Toutefois le peintre, comme tout grand artiste est avant tout en quête du vrai et s'il place ce noble en figure centrale, celui qui happe d'emblée les regards est le cavalier désarçonné, qui semble une figure d'un Christ en déposition de la Croix avec son corps qui commence à se désarticuler sous l'effet du lion qui plante ses crocs et ses griffes en lui. P. R. Rubens dépeint les conséquences inévitables de la chasse et le sacrifice humain qu'elle impose aux hommes avec les lions qui sont engagés dans ce combat féroce.

Un autre axe parcourt aussi secrètement le tableau pour y composer sans cesse un hymne à la répétition, à l'accord de tous les protagonistes, paysage, animaux, hommes, c'est celui qui sépare à l'horizontale la partie supérieure de la partie inférieure. En bas du tableau se déploie avec quatre chasseurs le spectacle d'une lente progression de la mort à la vie de la droite à l'extrême gauche. A droite gît le corps d'un chasseur à pied mort, qui serre encore une dague devenue inutile à la main droite tandis que des marques de sang, traces du combat antérieur, parsèment ses cheveux. Seule sa face droite est visible, l'autre est contre terre, il est isolé par rapport à la scène, sa tunique d'un vert très sombre se confond avec la terre et accentue sa solitude. Le cavalier à l'envers participe à la fois du plan inférieur des chasseurs à pied et supérieur des chasseurs à cheval, le drapé très étudié de sa tunique blanche, qui évoque déjà le linceul, prolonge la robe claire de sa monture, son attitude suggère le mouvement, la vie mais il commence dans le même temps à sentir la mort monter en lui, il vient d'être touché par le lion, son teint est livide et quasi cadavéreux, ses yeux expriment une intensité, une détresse infinie et ses mains semblent commencer à lâcher prise sur son arme. Un deuxième chasseur à gauche est assis, le coude gauche au sol mais le coude droit témoigne encore de sa force vive, il brandit une épée qu'il dirige vers la gueule de la lionne. A moitié dévêtu, il est encore alerte, il peut encore s'en tirer d'autant plus qu'un dernier chasseur à pied vient l'épauler dans le combat. Celui-ci est à moitié découpé par le tableau ce qui contribue à rendre encore plus vivant ce tableau en tant que surgissement spontané de l'instant. Il dirige son épée à son tour vers la lionne et contribuera certainement à sauver son compagnon de chasse.

Les deux autres chasseurs à cheval qui épaulent le noble se partagent le plan supérieur le long de la ligne de symétrie identifiée. Ces deux cavaliers ainsi que celui désarçonné avec leurs turbans sont de type maure, arabe, contrairement aux chasseurs du plan inférieur et au noble qui sont de type européen, ce qui pourrait permettre de placer cette scène imaginaire dans une Espagne où se côtoyaient ces types au moment de la Reconquista . Celui qui attire d'emblée les regards est le cavalier à gauche dont la tunique rouge flotte comme un étendard sur le ciel nuageux impassible. Tel un Parthe, il lutte à cheval et à l'envers. Légèrement tourné vers nous, armé d'un bouclier au bras gauche il vient de lancer un coup d'épieu de sa droite vers le lion.Un arc reposant sur le cheval jaillit tandis qu'un carquois orné de flèches somptueuses, d'une incroyable précision, d'une finesse exquise dans le dessin ornent l'arrière de sa monture. L'autre cavalier à gauche est une répétition sombre du premier, il tient sa lance des deux mains et touche également avec celle-ci le lion, sa tunique rouge se laisse à peine deviner tandis qu'on voit aussi à grand peine un arc noir émerger de la robe sombre du cheval. Un lien palpable lie, par la savante combinaison de la grâce du peintre, l'isolement du chasseur à cheval dans le coin supérieur gauche à l’isolement du chasseur à pied dans le coin inférieur droit, il en forme un contraire flamboyant, il dompte la vie et son cheval, il est en plein exercice de ses facultés guerrières. Détaché dans la terre, la mort ; détaché vers le ciel, la vie.

Les animaux composent bien entendu le thème central de la scène. Le lion et la lionne, boules d'énergie apeurées, rageuses, dévorantes, mâle et femelle au lien indéfectible dans la lutte inégale qui s'engagent luttent de manière féroce et dégagent une force abrupte qui convulse le tableau entier. Ils sont deux mais à deux contre sept, dans cette lutte âpre, ils se sont battus patte à pied et il y aura au minimum sans doute deux morts humains à l'issue de la bataille. La lutte aura coûté chair aux hommes. Les chevaux dans cette lutte entre l'animal et l'homme sont les alliés des humains mais chacun des chevaux est en situation de danger provoqué par l'homme et ils ont une attitude de résistance au combat, entraînés malgré eux dans celui-ci. Les deux chevaux au centre se cabrent tandis que ceux aux extrémités effectuent une ruade arrière dans un principe symétrique. Dans le rectangle supérieur droit formé par deux épieux s'ornent les deux têtes admirables de cheval, qui se détachent de la tunique rouge et de la bride de même couleur, avec des regards animaux puissants, exaltés dirigés vers nous tandis que le chasseur en turban contemple la force phénoménale du lion en action.

Masse fauve légèrement décalée à la gauche de la diagonale, P.R Rubens dans « La Chasse aux Lions » dessine aussi un tableau dans le tableau avec les deux fauves qui transpercent les chairs humaines chacun de leur côté et le postérieur du cheval à la robe clair. Le long de cette diagonale, c'est un véritable festival baroque avec une exagération des mouvements et leur stylisation qui permet la dramatisation du récit. Tableau de chair vive, de lions, de cheval, d'humain, traversée de lignes courbes, gracieuses, de corps animaux et humains qui s’emmêlent dans une union inextricable et que les éclairs du fer du sabot et de l'épée viennent illuminer.

La Nature joue le rôle muet du lieu où prend place le combat. Le ciel est assombri par des nuages dans le quart nord-ouest du tableau, on devine aussi la ligne d'horizon du ciel à droite, entre le chasseur tué et les pattes d'un cheval, dans lequel vient s'intercaler aussi la masse verte horizontale lointaine d'une forêt. P. R. Rubens ne se contente pas d’apposer les protagonistes les uns sur les autres, par petites touches discrètes, il instille l'idée en nous qu'il existe des concordances entre tous les éléments du tableau, il tisse un réseau de correspondance entre la nature, les animaux, les hommes : il accorde une importance capitale aux regards, une même vie hante tous ceux de la toile avec une mention particulière à la peur irraisonnée qui émerge des yeux de l'homme qui s'apprête à mourir qui renvoient aux regards dévorants des chevaux ; la couleur fauve des lions évoque la couleur chair des êtres humains ; la chair fauve des lions avec leur griffe s'enfonce dans la chair sœur de l'homme, dans la peau frère du cheval ; tous les chasseurs portent la barbe et cette pilosité évoque celle du pelage des animaux, de celles de leurs crinières, de leurs queues ; la crinière des lions s'emmêle aux poils de la queue des chevaux tandis que la crinière de ceux-ci se mêle aux nuages. L'homme n'est pas un empire dans un empire : nature, animaux, hommes, nous sommes faits de la même chair, nous sommes habillés du même tissu de la vie, une même entité d'atomes, de particules rôde en nous.

Nous sommes hantés par les fauves et les carnassiers car nous sommes fauves et carnassiers, et de la pire espèce car nous sommes capables de chasser contrairement aux lions sans nul souci de protection de notre famille ou de besoin de se nourrir, pour le simple plaisir de sentir une peur provisoire nous tenailler, pour le plaisir de s'opposer à une puissance, à une force de la nature qui nous est étrangère, pour ressentir le sentiment du pouvoir de la briser, de la capter. Nous avons un goût extrême pour le combat, celui-ci nous donne le sentiment d'une vie intense au présent, nous permet de vivre chaque seconde comme une éternité. Dans ce combat, nous ne prenons plus de risques mais les temps ont bien changé et en quelques années, avec la force d'Internet, les chasseurs sont de plus en plus vilipendés, chose encore impensable il y a quelques années. Avec la montée de la conscience environnementale, à intervalles réguliers, les stupides chasseurs qui exhibent leurs trophées de chasse sur les réseaux sont désormais conspués. P. R Rubens nous indiquait déjà que nos manières d’interagir avec la nature étaient inadéquates car l'image de la détresse l'emporte dans ce tableau sur celle de la joie inappropriée, cruelle du maître. Nous devons réajuster nos liaisons avec le monde animal et la Nature.

Rubens - La mort de Sénèque

Le philosophe Sénèque a, semble-t-il, perdu son combat, il vient d'être condamné à mourir par Néron. Les deux soldats au fond de la scène, dont l'un porte au dessus de son armure un habit rouge funeste,  viennent de transmettre l'ordre fatal de l'empereur. Sénèque obtempère et se tranche les veines avec l'aide d'un domestique. Son bras gauche est déjà entaillé, le sang commence à ruisseler.
Pourtant, son corps qui  émerge de la bassine empli d'eau est empli d'une lumière étrange, il semble vibrer intensément au milieu des couleurs qui se détachent à peine de l'arrière-plan plongé dans la pénombre. Rubens ne cache pas la vieillesse de l'homme, ses cheveux  blancs marquent son âge, les veines saillent des jambes, les plis de la chair sont nombreux, elle s'affaisse sous le poids des années. Le peintre dans cette toile délivre un hymne au corps fatigué, usé du philosophe stoïcien. Avant qu'il ne pourrisse, il resplendit d'un éclat ultime. La lividité de sa chair est déjà celle du cadavre, mais la lumière qui s'en dégage transcende la mort. Le corps reste triomphant par la beauté réelle qu'il dégage. Là encore, la comparaison avec les images du Christ s'impose, en particulier celles des crucifixions. Le regard du vieillard est tourné vers les cieux, il n'est pas marqué par la souffrance, il est déjà détaché de la scène. Par contre, un élève à sa droite recueillant les dernières paroles de l'auteur de "Sur la vie heureuse", "De la brièveté de la vie" est éploré, il semble aux bords des larmes. Cette figure évoque celle de Saint Jean au pied de la croix, accablé par la douleur mais prêt à recueillir la parole de Jésus, à la faire retentir pendant des siècles grâce à son Evangile. D'ailleurs, les livres de Sénèque jonchent le sol. Rubens proclame en réalité que le combat de Sénèque contre son bourreau impérial est gagné, son attitude courageuse devant la mort marquera les mémoires et son oeuvre lui survivra. Le corps va s'éteindre mais subsiste la lumière spirituelle qui est éternelle.

Camille Claudel - La Valse

Avant de mourir, il faut avoir vécu et aimé. J'ai été surpris de découvrir cette sculpture de Camille Claudel à la Neue Pinakothek. S'agit-il d'une valse ou d'une étreinte amoureuse ? Les corps penchent dangereusement, le visage de la femme est plongé dans le  cou du danseur, tandis que celui-ci semble murmurer des mots doux, voluptueux à son oreille. Son bras gauche enveloppe tendrement la taille de sa partenaire, tandis que sa main gauche semble simplement frôler la main de la danseuse.  Les corps sont nus, le bassin de la jeune femme est masqué par une simple étoffe tombante. Le drapé de celle-ci suggère le mouvement de tournoiement des danseurs, qui est sur le point de s'interrompre. Le socle de la sculpture semble s'attendrir sous le frottement délicat des pas des danseurs. Torsion des corps juste avant l'enlacement final.

Le Schloss Nymphenburg - A la poursuite des rois de Bavière

La journée suivante, nous l'avons passé au château de Nymphenbourg. Le chemin fut long depuis notre camping, mais il en valait la peine, pour sa résonance historique et la beauté de son parc. Il s'agit de la résidence d'été des rois de la famille Wittelsbach, qui régna sur la Bavière. La visite de l'intérieur est intéressante surtout pour la galerie des Beautés, une salle qui regroupe les portraits de toutes les belles femmes dont s'était entiché le roi Louis I de Bavière au début du 19 ème siècle. La plus célèbre d'entre elles est Lola Montès qui fut sa maîtresse alors qu'il avait 60 ans. Elle est danseuse, d'origine anglaise et se prétend d'ascendance espagnole.  Il se ruinera pour cette femme en la comblant de cadeaux somptueux. Je ne sais pas si l'histoire est vraie, mais j'ai lu que voyant le peuple indigné par ses extravagances et son influence délétère sur le roi  manifester sous ses fenêtres, Lola Montès rit et verse du champagne et du chocolat chaud sur les manifestants ... Cette femme entrainera  Louis I de Bavière dans une valse amoureuse qui lui fut néfaste puisque ses sujets  se révolteront contre les frasques de leur souverain, qui devra renoncer au trône et s'enfuir.
Le roi Louis II de Bavière naquit dans une chambre de ce château. Comme son grand-père, il sera un adepte de la beauté, mais non sous sa forme féminine, puisqu'il était homosexuel. Il passa sa vie à dépenser son argent, ainsi que celui qu'il n'avait pas, pour la construction de châteaux plus luxueux et magnificients les uns que les autres et se ruina dans cette entreprise. Il fut alors destitué, déclaré fou puis interné dans le château de Berg. On le retrouva le lendemain mort dans un lac. Il est évoqué dans ces vers de "La chanson du Mal aimé" d'Apollinaire : 

Près d'un château sans châtelaine
La barque aux barcarols chantants
Sur un lac blanc et sous l'haleine
Des vents qui tremblent au printemps
Voguait cygne mourant sirène


Un jour le roi dans l'eau d'argent
Se noya puis la bouche ouverte
Il s'en revint en surnageant
Sur la rive dormir inerte
Face tournée au ciel changeant

Je pensais à ces rois malheureux et fous en me promenant dans le parc qui constitua une très belle halte, avec ses sentiers au milieu des bosquets verdoyants, ses parterres variés de fleurs. Avec les rois Louis I et II, quelle belle rampe de lancement pour l'extravagance et la folie humaine, quel dommage que la Bavière ne nous ait pas donné un Louis XVI, nous aurions eu droit à un magnifique feu d'artifice ... 
Au milieu du parc coule un canal qui se termine en cascade. Nous avons flâné tranquillement toute l'après-midi, passer le temps à contempler les écureuils, les canards. J'ai fait une petite sieste sur un banc.

Tout le monde s'éclate à la queue leu-leu

Au retour du château, nous avons mangé  dans une Biergarten puis nous sommes rentrés dormir au camping. Les jeunes à côté de nous ont fait un boucan d'enfer, continuant à parler à voix haute bien au delà de minuit. Rémy leur a demandé de se taire, il a élevé la voix au bout de la troisième admonestation. Les jeunes et mon ami se sont lancés dans un concours de vérité, puisque nous nous sommes faits traiter de vieux, ce qui est une vérité mais relative à la jeunesse de ses interlocuteurs ; il les a traités  en retour de malpolis, ce qui était une vérité absolue.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire