jeudi 31 mai 2012

Strasbourg-Vienne à vélo : Paysages enchanteurs et Magie du Baroque

Les lacs-miroirs

Salzbourg n'est déjà plus qu'un souvenir… Nous avons décidé de quitter le camping vers 15h00, profitant d'une petite accalmie dans le ciel autrichien. Immédiatement, à la sortie de la ville, montée abrupte d'une côte. Mais l'effort est plus aisé avec l'entraînement accumulé depuis le début du voyage, les muscles se sont lentement habitués, se sont durcis avec les kilomètres avalés depuis Strasbourg. J'étais fasciné par les effets de la musculation naturelle du pédalage sur mes jambes : j'avais remarqué en particulier au camping le gonflement des muscles situés à l'arrière de mon mollet, je ne pouvais m'empêcher de palper, de provoquer le galbe en tendant le pied pour toucher la petite boule volumineuse musculaire, comme un culturiste fasciné par sa silhouette, guettant en permanence les effets de ses exercices incessants sur son corps …

A partir de Salzbourg, transformation complète des paysages et début de la féerie. Jusqu'à présent, je n'avais pas été dépaysé par les panoramas rencontrés, qui me rappelaient l'Alsace, les champs de blé, de maïs et les vignes composaient une mosaïque qu'il me semblait avoir traversé au cours de ballades à vélo à proximité de mon domicile. Tout à coup, à l'Est de Salzbourg, nous allions aborder le Salzkammergut, région des pré-alpes autrichiennes, qui doit son nom aux mines de sel de la région qui fit sa fortune autrefois. La majeure partie des revenus est désormais liée au tourisme, en raison de la beauté des paysages. Au loin s'échelonnaient de belles montagnes dont les arêtes tranchantes étaient par endroit encore recouvertes du blanc immaculé des neiges. Quelques chalets délicatement posés au milieu de gigantesques alpages scandaient le parcours tandis qu'au fond de vallées verdoyantes, blottis contre les lacs qui réfléchissaient les couleurs sereines ou sombres du ciel, les villages accueillants semblaient rayonner d'une douce joie de vivre.

Première étape au Salzkammergut, le village de St Gilgen, où l'ombre de Mozart nous frôla encore, puisque sa mère y naquit et que sa sœur Nannerl y vécut. Après quelques instants passés au bord du lac St Wolfgang et la dégustation d'une glace, nous avons admiré et photographié le très beau clocher de l'église en forme de double bulbe avant de remonter sur nos vélos.
L'église de St Gilgen

Nous avons longé le lac. Juste avant de le quitter, petit détour sur une rive enchanteresse à l'initiative de Rémy, au milieu d'un champ où s'extirpaient comme une rêverie quelques herbes sauvages. Ici, la nature avait gardé un aspect sombre, indompté, il émanait de ces lieux un magnétisme doux, apaisé. Les sapins qui s'étageaient tout le long des flancs des montagnes avoisinantes se réfléchissaient sur la surface du lac, la couleur verte profonde et légèrement tremblante sous l'effet d'un vent délicat se mariait au reflet des nuages blancs vaporeux et du ciel bleu immense. Toute la beauté du monde semblait s'être miraculeusement déposé dans ce miroir de la nature, et tandis que nous admirions ce spectacle, que les couleurs prenaient une teinte de plus en plus sombre lorsque la fin de l'après-midi tendait vers le soir, assis l'un à côté de l'autre, le reflet de cette harmonie s'est déversé en nous, nous nous sommes progressivement mis au diapason du monde, toutes les particules de nos corps se sont unis pour proclamer notre appartenance éternelle à la magie des arbres, à la magnificence des cieux, à la sérénité du lac-miroir.

Il a fallu repartir, à regret. J'ai le souvenir de deux montagnes traversées successivement grâce à des tunnels sur une piste cyclable creusée dans la roche, parallèle à la route dévolue aux voitures. Dans le deuxième tunnel, un petit chemin menait vers l'extérieur et de la balustrade on pouvait contempler la vue d'un autre lac alors que la nuit commençait à y refléter ses ombres tout en y allumant le reflet des astres lointains, de la lune et des lumières d'une ville qu'on distinguait sur le rivage opposé. Nous décidâmes de passer la nuit sur ce balcon.

Phosphorescences dans la nuit

Repas avant de s'endormir sur la grande bâche. Rémy s'agite et n'arrive pas à trouver le sommeil. Il me disait qu'il ne supportait pas l'idée de dormir avec la vision des barreaux de la balustrade qui lui donnait le sentiment d'être emprisonné. Il se lève, découpe la bâche en deux, escalade la barrière avec son sac de couchage pour tenter de trouver le sommeil de l'autre côté. Il s'enveloppe dans son duvet mais peine perdue, le sol est très inégal, il n'arrive pas à trouver une position confortable ; de surcroît, depuis la falaise tombent continuellement quelques gouttes d'humidité qui l'opportunent. Retour obligé dans l'autre sens ... et enfin dodo réparateur.

La visite du Salzkammergut continue le lendemain le lac du Traun (Traunsee) jusqu'à la petite bourgade de Traunkirchen. La chapelle du Johannesburg se distinguait déjà de loin sur une petite avancée rocheuse qui surplombe le village et le lac. Nous la visitons après avoir pris un verre sur une terrasse.

La chapelle du Johannesburg à Traunkirchen

Nous remontons sur nos vélos, direction Gmunden, qui s'étale à quelques encablures de Traunkirchen. La ville est animée au moment où nous la traversons en début d'après-midi. Le château d'Ort, emblème de la ville, se trouve sur un îlot isolé. Nous avons cadenassé nos vélos, puis franchi la longue passerelle en bois qui relie la ville au château pour nous promener dans son enceinte.

Le château d'Ort

L'archiduc qui possédait ce château à la fin du 19ème siècle fut banni et déchu de sa nationalité par l'empereur François-Joseph parce qu'il désira vivre avec sa maîtresse de basse extraction. O tempora o mores ... Dans la cour intérieure, sur un mur entre deux portes on peut voir les années des inondations avec la marque de la hauteur maximale atteinte par les eaux. Record à battre : l'année 1899.

En fin d'après-midi, nous avons laissé la région du Salzkammergut pour commencer à nous diriger vers le Danube. De nouveau, paysage de plaines et de champs cultivés. Mais voilà que la pluie se remet de la partie. Le voyage en Allemagne s'était déroulé sous la canicule, nous évitions systématiquement de rouler entre midi et quinze heures. Désormais, c'est l'inverse, il faut essayer de passer entre les gouttes. Et la route devient dangereuse, je ne peux plus bénéficier de l'aspiration du vélo de Rémy car lorsque je m'approche trop près de la roue arrière de son vélo, je reçois des giclées d'eau projetées par celle-ci qui m'aveuglent. Nous attendons parfois à l'abri que l'averse passe mais lorsque le ciel est uniformément gris, que nul espoir d'éclaircie ne se profile, nous enfilons rapidement un pantalon imperméable et une grande cape de pluie et vaille que vaille, nous continuons le chemin. Je sens une légère crainte qui m'envahit à l'idée de la chute, qui serre mes entrailles, je dois rester concentré et vigilant, tout en fournissant plus d'effort physique. Le soir, nous dormons sous un abri bus.

Lors de la matinée suivante, sous l'effet de la pluie et de la fatigue accumulée, je sens Rémy qui s'essouffle devant moi, je m'inquiète. Tout à coup un panneau providentiel devant nous « Distributeur de produits laitiers ». Nous dévions vers la gauche et effectivement, dans une ferme isolée et déserte à l'heure où nous arrivons, un distributeur automatique délivre du fromage, des packs de lait, des yaourts fermiers. Rémy consomme un ou deux litres de lait par jour, quelle aubaine ! Rémy ragaillardi, reverdi, le poil désormais vigoureux grâce à la potion magique peut se remettre en selle. Je le suis.

Un produit laitier et ça repart ...

En début d'après-midi, nous rallions le Danube au niveau de la ville d'Ybss an der Donau. A nouveau, un violent orage éclate, nous nous réfugions dans une pâtisserie. Nous prenons un café et mangeons une petite pâtisserie en attendant que la pluie se calme. Elle semble s'apaiser, nous ressortons, mais les gouttes s'intensifient brusquement, nous allons nous réfugier dans une autre pâtisserie non loin de la première. Rémy reprend encore une part de tarte, je lui demande si c'est bien raisonnable : « One moment on the lips, a lifetime on the hips ». Il ne m'écoute pas …

Le baroque étincelant

La pluie diminue en intensité, les nuages s'éclaircissent, nous pouvons repartir. La route devient plus sûre, une piste cyclable le long du Danube nous mènera jusqu'à Vienne. Quelques dizaines de kilomètres plus loin nous attend une très belle surprise du voyage, nous faisons une halte dans la ville de Melk pour y visiter l'abbaye. Ses deux tours élégantes coiffées d'un bulbe ainsi que la coupole verte de l'église  surplombent la butte rocheuse sur laquelle l'édifice se dresse. Sa couleur jaune soleil attire le regard, ses contours se dévoilent lentement au fur et à mesure que l'on monte un grand escalier sur la façade sud.

L'abbaye baroque de Melk

L'abbaye médiévale fut un grand centre spirituel et intellectuel. Dans le roman d'Umberto Eco « Le Nom de la Rose », le narrateur est originaire de celle-ci et y écrit le récit de ses aventures des années après. Toutefois l'architecture actuelle ne date pas du Moyen Âge mais du début du 18 ème siècle sous l'impulsion d'un abbé dynamique et de l'architecte Jakob Prandtauer, qui édifie un monument à la gloire du baroque triomphant.

A l'intérieur, la visite commence par la visite des appartements impériaux transformés en musée qui abrite des autels portatifs et des statues recouvertes d'or de personnages saints dans de grandes pièces tapissées d'immenses miroirs. En mon for intérieur, je trouve ces statues relativement laides, grandiloquentes, saisies dans des positions peu naturelles, maniérées.
Statue du musée de l'abbaye

Nous passons par la terrasse qui se situe à l'extrême bord de la falaise, qui offre une vue magnifique sur le Danube voisin et la façade de l'édifice. Nous plongeons dans le bâtiment qui abrite la bibliothèque, c'est le début de l'émerveillement. La bibliothèque est riche d'environ 85 000 volumes dont certains inestimables qui sont magnifiquement mis en valeur par les boiseries sombres et les dorures qui ornent les murs de la salle alors qu'une très belle fresque au plafond donne un sentiment d'espace à l'ensemble. Nous descendons un escalier en colimaçon qui tourbillonne vers l'église. Nous entrons, c'est l'apothéose. Le lieu de prière est d'une décoration somptueuse, les tons rouges, bruns, orangés et l'or à profusion se marient parfaitement dans une harmonie colorée chaude et pleine de grâce. Une fresque au plafond de couleur pastel emplie de mouvements, d'anges, de saints donne une perspective vertigineuse aux yeux. Le maître-autel est orné de statues dorées de personnages saints, d'évangélistes.

L'intérieur de l'église

Et alors que ces statues isolées semblaient sans grâce dans le musée, voici que posées l'une à côté de l'autre elles s'animent d'une grandeur insoupçonné, leurs gestes trop expressifs et exagérés trouvent un équilibre solennel, inspirent le respect, le recueillement, un mouvement savant d'ensemble régit secrètement les contrastes de leurs attitudes et l'or qui surchargeait la statue individuelle illumine l'entière composition.

Après cela, promenade dans de très beaux jardins, qui offrent le spectacle de parfaits espaces ordonnés et de recoins plus sauvages, décorés de sculptures fantaisistes ou naïves.


Singes amoureux

Le beau Danube

Nous voilà en selle le long d'un chemin qui serpente le long du Danube. Une petite averse pointe le bout de son museau, le ciel crachote de fines gouttelettes mais nous continuons à avancer. Le paysage se métamorphose, la féerie opère à nouveau. Le Danube au delà de Melk se rétrécit, il prend une tonalité sombre sous l'effet des nuages qui surchargent le ciel, il s'encaisse dans une vallée étroite ornée de monts sur lesquels trônent les ruines de châteaux médiévaux. Le courant vigoureux accélère les flots tandis que le chemin cyclable s'égare dans les hauteurs des vignes à flanc de coteaux, redescend pour se promener le long de ruelles pittoresques recouvertes de pavés inégaux, s'éloigne des eaux du fleuve pour retourner tôt ou tard vers celui-ci.

La pluie s'estompe. Immédiatement, quelques dizaines puis centaines de limaces se pressent devant les roues de nos vélos, traversant intempestivement le chemin que l'on emprunte. Je vois Rémy éviter adroitement la plupart des insectes rampants grâce à de très légers slaloms, mais je suis plus maladroit, moins agile pour tournoyer entre eux, c'est très vite l'hécatombe … Mais pourquoi ne respectent-ils pas le code de la route ? Je réfléchis, je comprends rapidement que c'est lié à l'absence d'un véritable programme de sensibilisation aux dangers de la route et d'éducation aux règles élémentaires de prudence. Je suis convaincu que Rémy, professeur d'éducation physique et sportive pourrait superviser une campagne d'enseignement pour ces insectes. Il a une expérience solide en la matière, je l'ai entendu souvent dire « Quelle énergie j'ai dû déployer aujourd'hui ; mes élèves, de vrais limaces ... ».
Le soir s'impose. Toujours sous la menace d'un ciel chargé, nous préférons encore une fois dormir sous un abri.
Dernier matin avant l'arrivée à la destination finale, nous nous précipitons direction soleil levant. Les couleurs translucides d'un ciel où les nuages ont disparu se déversent avec effusion sur les vignes, effleurent les toitures des églises et maisons, caressent la surface du fleuve pour se fondre définitivement dans les profondeurs des eaux. Nous passons tour à tour de chaque côté du Danube qui s'élargit au fur et à mesure de son avancée et de l'approche de la capitale. D'autres cyclistes se joignent à nous pendant quelques kilomètres, une compétition muette se joue entre nous. Rémy accélère, je tente de le suivre, la grande torpille bleue fuse, fonce à travers monts et vaux suivie de près par une petite ombre verte vers Vienne.

3 commentaires:

  1. J'attends impatiemment l'arrivée à Vienne. J'ai beaucoup aimé utiliser tes deux vélos, surtout le vélo de randonnée. Même si mes mollets n'auront pas eu le temps de se dessiner...

    RépondreSupprimer
  2. Je me disperse un peu en ce moment mais ce WE ou le prochain promis, fin des aventures ... La position sur le vélo de randonnée est plus agréable, effectivement. Pour tes mollets, il vaut mieux pas, c'est pas super esthétique, mais de tte manière c'est éphémère, plus de mollets musclés en ce qui me concerne ...

    RépondreSupprimer
  3. Je m'étonne aussi beaucoup de ce que la nature peut faire à nos muscles. J'ai constaté cela quand j'ai séjourné à la campagne. A force de chercher de l'eau dans le puits, j'ai senti le seau s'alléger au fil du temps. Tous les paysages où vous êtes passés sont magnifiques. Bon retour!

    RépondreSupprimer