mercredi 19 décembre 2012

Wallis dans l'oeil du cyclone "Evan"


« Je dors, mais mon cœur veille »
Le Cantique des Cantiques

Bruissement de rumeurs inquiétantes sur l'île de Wallis : Deux semaines avant la date fatidique du samedi 15 décembre 2012, le cyclone tropical « Evan », annoncé comme potentiellement dévastateur, se déplace dans le Pacifique et selon les jours, voire les heures, sa trajectoire prévisionnelle sur les cartes météo, comme une ombre tourbillonnante, menaçante, passe par l'île de Wallis, puis dévie lentement, puis se rapproche à nouveau …
La saison actuelle à Wallis dans l'hémisphère sud est celle de l'été, mais il s'agit d'un été tropical chaud et humide. La différence de température n'est que de 2 degrés en moyenne par rapport à l'hiver du mois de juillet et août, mais les pluies sont particulièrement abondantes. Elles s'abattent sous forme d'orages violents, toutefois ces orages traditionnels peuvent parfois, très rarement heureusement, prendre une forme cyclonique. La saison des pluies est aussi celle des « cyclones » qui parcourent l'océan Pacifique, s'accompagnant de dégâts gigantesques dès lors qu'ils abordent des terres habitées. Le cyclone Tomas avait dévasté l'île de Futuna début 2010.

Vendredi 14 décembre, la menace se précise, à partir de 12h30, la préfecture lance une pré-alerte pour le cyclone « Evan ». Il avait ravagé les îles Samoa en y faisant deux victimes et se dirigeait clairement vers Wallis. Les principales consignes de sécurité sont les suivantes : rester à l'écoute des informations météorologiques, prévoir de renforcer les portes et fenêtres, faire des provisions de nourriture et d'eau, mettre à l'abri les embarcations …
J'avais déjà tout ce qu'il fallait : eau, bougies, piles pour la radio. J'ai fait l'achat de nourriture complémentaire le lendemain ; les magasins étaient bondés, mais il n'y avait pas d'affolement. L'alerte maximale de niveau 2 a été donnée samedi 15 décembre à 14h, avec interdiction de sortir de chez soi.

J'ai regardé un site Internet en fin d'après-midi, Météo Nlle Calédonie, qui annonçait que le cyclone allait passer très près de l'île de Wallis en début de nuit, avec des vents en moyenne de 120 km/h et des rafales de 205 km/h !!

A partir de 18h, le ciel s'est obscurci. Vers 19h, alors que les rafales devenaient de plus en plus vigoureuses, je suis allé vérifier avec la lampe torche que le scooter était bien en place sur la véranda, à l'abri du vent, ce qui était le cas. Depuis la rambarde, j'ai éclairé les alentours avec la lampe torche, elle illuminait un faible espace, plantes, arbres, ciel mais je distinguais difficilement les reliefs. Le ciel était chargé, une bande uniforme de nuages grisés se détachait du ciel assombri, fonçait du sud vers le nord. J'ai perçu une longue plainte, le hululement fabuleux du vent qui s'entrechoquait sur les obstacles. Je devinais vaguement les ombres des arbres et des plantes courbés par la force des rafales, fouettés par la pluie incessante. Toute la terre de Wallis s'inclinait devant la puissance cyclonique exceptionnelle. Je suis rentré à l'abri.

Peu après, alors que je lisais dans ma chambre à coucher, la lumière s'est éteinte brusquement, plus d'électricité, et la coupure de l'eau n'a pas tardé dans la foulée. Je n'étais pas inquiet jusque là mais après huit heures, les rafales de vent qui déferlaient depuis le sud ont commencé à atteindre une vitesse impressionnante. Ma chambre à coucher est exposée plein sud, je n'ai que des vitres sous forme de lamelles superposées, je les avais fermées au maximum, mais le vent arrivait à s'engouffrer entre les interstices, sifflait à travers les ouvertures de la pièce avant de se calmer, puis de reprendre encore plus violemment. Tout à coup, j'ai même senti de l'humidité qui fouettait ma peau, le vent crachotait de fines gouttelettes de pluie, les particules se pulvérisaient à travers la pièce. Je voyais que le verre se ployait, je me suis dit que les vitres pouvaient céder, exploser sous l'impact des rafales, qu'il me fallait me mettre à l'abri des éventuelles projections. J'avais une lampe torche près de moi, je suis allé à la recherche de deux bougies que j'ai disposé dans des verres inutilisés, je me suis assis dans le couloir, attendant patiemment l'accalmie.
Elles se consumaient lentement, j'avais le sentiment d'être un officiant perdu dans ses pensées, dans une prière muette, troublée par l'inquiétude et la peur, avec deux cierges en face de lui. Même au cœur de la maison, assis dans ce couloir, toutes les portes et les fenêtres étant calfeutrées, je voyais que le vent arrivait à s'engouffrer subrepticement, la flamme de ces deux bougies oscillait brusquement, s'amenuisait sous l'effet des courants d'air puis se redressait. C'est étrange, ma plus grande peur reste associé à la perception du vacillement épisodique de la flamme, au reflet tremblant de ces bourrasques gigantesques sur ces bougies, à la vibration ultime de ce souffle de dévastation qui venait mourir sur ces pâles lueurs. Dans le brouhaha général, j'ai entendu des craquements encore plus forts qui provenaient de la maison et des alentours, dont un qui m'a fait sursauter.
Les rafales diminuèrent en intensité après 21 h. J'ai été stupéfait par la vitesse à laquelle le vent s'est calmé, alors que le crescendo vers la puissance maximale du cyclone avait été très progressif. Il me semblait le cyclone s'éloignait, je suis allé me coucher. J'étais fatigué, j'avais peu dormi la veille, la tension nerveuse s'est relâchée, je me suis endormi très rapidement.

Par la suite, j'ai appris par des amis que le cyclone avait redoublé de plus belle après cette accalmie. La disparition miraculeuse des vents s'expliquait simplement par le fait que Wallis se trouvait sur l'exacte trajectoire de « Evan » et que nous nous sommes retrouvés dans le centre cyclonique. Le cœur, l'œil d'un cyclone est constitué de vents très calmes, voire nuls. Les rafales ont repris après ce calme éphémère, et aux dires des amis, elles furent encore plus furieuses dans la deuxième moitié de la nuit. Les bulletins météorologiques sont venus confirmer cette impression, puisque les vents du début de la nuit ont atteint les 150 km/h tandis que l'on a enregistré des pointes supérieures à 200 km/h après minuit ...
Je n'ai rien perçu de cette deuxième vague, les vents avaient tourné et frappaient depuis le nord. Je me suis endormi dans l'œil du cyclone, je me suis réveillé à deux reprises, j'ai perçu que les vents étaient forts mais l'intensité me semblait moindre. La salle à manger, située plein nord, ainsi qu'une autre pièce intercalée ont fait tampon, j'ai pensé qu'il s'agissait d'un ciel de traîne qui sévissait encore. Les violentes bourrasques qui enveloppaient la maison n'ont fait que me bercer, aucune angoisse à déplorer ... Mon cœur pacifié qui captait les pulsations puissantes des vents venus de l'Océan veillait sur moi ...

Je me suis réveillé dimanche matin vers 7h. Je sors pour apprécier les dégâts, ce qui me frappe immédiatement, c'est à la fois l'agrandissement du champ de vision et la dévastation du paysage, de la végétation. Mon jardin est clôturé par une haie de bosquets qui limitaient la vue, la plupart d'entre eux sont à terre, voire ont disparu. L'immense manguier qui trônait à gauche de la véranda s'est effondré. Les racines d'un citronnier qui donnait deux fois par an de magnifiques citrons sont à moitié arrachées du sol.


Manguier décapité

Citronnier en pleurs

J'ai inspecté l'intérieur et l'extérieur de la maison, aucune casse à déplorer. J'ai essayé dans la matinée de nettoyer le petit sentier que j'emprunte avec le scooter et la voiture qui était jonché de branches de pin arrachés aux arbres qui bornent mon jardin. A chaque fois une pluie intempestive est tombé en abondance, j'étais obligé de me réfugier à l'intérieur. J'ai dû m'y reprendre à quatre fois avant de parvenir au résultat souhaité. J'ai également passé un coup de balai, seule une petite flaque séchée sous la porte du salon et quelques brindilles témoignaient à l'intérieur de la maison de la violence passée du cyclone. L'eau est revenue dans les canalisations vers midi.
Au cours de l'après-midi, l'amélioration des conditions météorologiques était nette, je suis allé faire un petit tour de l'île pour voir l'étendue des dommages. Sur la route de Malae, un grand poteau électrique construit en béton penche dangereusement. Au fur et à mesure des jours, je l'ai vu s'incliner de plus en plus, je ralentis à chaque fois que je m'en approche, je me place du côté du sommet, j'accélère sur les derniers mètres pour l'éviter au cas où il s'effondrerait définitivement …

 Poteau électrique en berne

Partout, les cultures, la végétation ont été fortement endommagées. Les arbres à pin sont déracinés alors que les cocotiers beaucoup plus souples se dressent sur leur base. Peu de cultures vivrières ont survécu aux rafales. Les constructions les plus légères de type falé sont dévastées, mais parfois même les constructions en béton sont en mauvais état, avec des toits effondrés. Le bord de mer de Liku en particulier est ravagé, et il paraît que c'est aussi le cas de nombreux villages du sud.

Les restes du restaurant « Les Terrasses de Liku »

Certaines familles ont dû abandonner leur logement, se réfugier chez les proches, la solidarité familiale joue son rôle protecteur, central dans la société wallisienne. Les réseaux électriques et téléphoniques sont le plus souvent hors d'usage, d'innombrables poteaux gisent sur le sol, à l'instar de nombreux fils. Les habitants commencent à rassembler les végétaux qui barrent la route, qui jonchent les jardins, à les brûler ; d'innombrables fumées blanches s'élèvent depuis la terre de Wallis comme des feux de détresse, mais cela se fait dans l'indifférence générale médiatique de la métropole. Quelques articles de journaux en France ont relaté le passage du cyclone durant la journée du dimanche mais depuis, silence radio sur les ondes, hormis Wallis 1ère qui relate ici en continu les évènements …
Les secours ont commencé à arriver de la Nlle Calédonie, la distribution de l'eau est désormais assuré sur la quasi totalité de l'île, mais l'électricité tarde toujours. Résultat, il faut se coucher très tôt, le linge sale commence à s'accumuler ... La préfecture a commencé à organiser les secours d'urgence, le ministre des Outre-mer Victorin Lurel se déplace à compter d'aujourd'hui à Wallis.

J'ai terminé les derniers travaux de déblaiement du sentier mardi. Les broussailles tombées sur le chemin griffaient à chaque fois la carosserie de la voiture. Pour réaliser une telle opération, je suis allé acheter un coupe-coupe, celui que je me suis procuré tenant davantage même du sabre. J'ai commencé à débroussailler, à couper les branches avec la lame aiguisée, j'étais réellement impressionné par la qualité du tranchant. Par deux fois, patatras, alors que je porte un coup vif, le coupe-coupe m'échappe de la main droite (qui est en réalité une main très très gauche …). Je me suis fait une légère entaille juste à côté du tibia qu'un simple petit sparadrap a étanché, mais si la lame avait glissé cinq centimètres plus loin, j'aurais pu, par la grâce de ma maladresse, devenir la première victime collatérale sérieuse du cyclone trois jours après son passage ... Je me suis promis de ne plus toucher au sabre coupe-coupe sauf nécessité absolue de service. Pensée qui m'a traversé l'esprit : si les ravages matériels avaient été plus importants dans la maison, avec mon sens pratique catastrophique, ma gaucherie manuelle congénitale, Erhan se serait retrouvé bien démuni face à « Evan » ...
J'ai parlé avec mes collègues de travail de leur expérience liée au cyclone. C'est le cyclone le plus impressionnant sur l'île depuis trente ou quarante ans. Certains ont leurs maisons en très mauvais état, d'autres ont dû écoper toute la nuit en raison des infiltrations d'eau. Je considère, encore une fois, que j'ai eu beaucoup de chance quand je vois l'étendue des désastres sur l'île, une bonne âme veille sur moi. Désormais, j'attends, comme beaucoup d'autres, le rétablissement de l'électricité, le retour de la lumière.