lundi 16 septembre 2013

Les Mini Jeux du Pacifique : Mini Jeux, Maxi Joie (1)


Mini Jeux ; Maxi Préparation

Événement interplanétaire, cosmique à l'échelle de Wallis-et-Futuna : ce petit territoire a organisé du lundi 2 septembre au jeudi 11 septembre les mini Jeux du Pacifique. Kezaco ? Les Jeux du Pacifique sont une compétition sportive internationale qui rassemble les 22 États ou territoires du Pacifique. Les mini Jeux sont la compétition sœur de ces Jeux, qui permettent aux États ou territoires ne pouvant prétendre à l'organisation des Grands Jeux d'accueillir tout de même un événement sportif international, avec un programme sportif réduit. Après une candidature marquée par un échec en 2009, Wallis-et-Futuna a été retenu pour organiser les mini Jeux en 2013.
Depuis que je suis venu, c'est le grand sujet de discussion sur l'île. Il s'agit d'accueillir plus d'un millier d'athlètes sur deux semaines alors qu'il y a moins de dix mille habitants à Wallis et qu'aucune structure d'accueil n'était prévue pour un tel afflux, l'île restant à l'écart des flux touristiques. Au début, esprit très pessimiste, défaitiste autour de moi Bzzzz Bzzzz ils arriveront jamais à organiser un événement de cette envergure Bzzzz Bzzzz c'est très mal organisé, ils prennent du retard partout Bzzzz Bzzzz … J'ai participé moi-même à ce buzz négatif au tout début. Toutefois, j'ai observé petit à petit la forte et grande mobilisation qui s'enclenchait, l'effervescence qui régnait avec un comité organisateur composé de jeunes très dynamiques, j'ai réalisé que les mini Jeux précédents s'étaient déroulés dans des îles parfois plus petites, moins développées, qu'il s'agissait avant tout d'un projet associatif, j'ai été dès lors convaincu que l'organisation allait être à la hauteur. J'ai été amusé par l'augmentation de l'agitation à l'approche des mini Jeux, le dernier mois a été frénétique et trois jours avant l'inauguration, jaillissement de panneaux indicateurs pour indiquer la direction des principaux sites.

Chemins qui mènent aux mini Jeux

Le début de ces jeux a été marqué par la venue des officiels des territoires et de la métropole, avec la deuxième visite sur l'île de Victorin Lurel, ministre des Outre-mer qui était déjà venu après le cyclone Evan, et revenu désormais dans un contexte plus festif pour inaugurer les jeux. J'ai été invité à la séance d'ouverture de l'Assemblée territoriale à laquelle il présidait. Ici, un simple inspecteur peut se voir proposer d'assister de telles manifestations, j'ai reçu un carton d'invitation pour me rendre deux fois à la résidence du Préfet, je guettais à chaque fois la venue des célèbres chocolats des soirées de l'Ambassadeur, déception infinie à la fin des réceptions ;-)
Mon meilleur souvenir de ces cérémonies officielles est d'avoir été invité pour un cocktail dinatoire à l'occasion de la commémoration du 11 novembre sur la frégate française « Le Prairial » qui mouillait dans le port de Wallis. Déambulation le long de l'immense pont arrière alors que le vent cinglait ses fraiches bouffées depuis le large, qu'un hélicoptère aux pales repliées, comme un papillon au repos, sommeillait à l'extrémité du ponton … C'est le seul territoire de France où une grenouille simple inspecteur des finances peut se voir inviter sur un navire de guerre de la Marine française, côtoyer des préfets, des ministres, et espérer devenir aussi grosse qu'un bœuf ...

La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le Bœuf – La Fontaine

Une grenouille vit un bœuf
Qui lui sembla de belle taille.
Elle, qui n'était pas grosse en tout comme un œuf,
Envieuse, s'étend, et s'enfle, et se travaille,
Pour égaler l'animal en grosseur.
Disant : " Regardez bien ma sœur;
Est-ce assez ? dites-moi; n'y suis-je point encore ?
Nenni. - M'y voici donc ? - Point du tout. - M'y voilà ?
- Vous n'en approchez point " La chétive pécore
S'enfla si bien qu'elle creva.

Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages:
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs,
Tout petit prince a des ambassadeurs,
Tout marquis veut avoir des pages.

Je me rendais à la séance de l'Assemblée territoriale en remplacement du directeur des finances publiques. Je m'étais étendu, j'avais enflé, je m'étais travaillé en longueur, en hauteur et en largeur, je n'égalais pas encore mes compères bœufs mais il me restait encore une année pour y parvenir ;-) Dans l'assemblée, je cherche désespérément ma place, elles sont toutes réservées avec une pancarte, je n'ai pas mes lunettes et je reste peu habitué à de telles cérémonies. La plupart des gens s'installe, je tourne encore dans l'assemblée en guettant les chaises vides, je me dis qu'il s'agit peut-être d'un jeu, celui des chaises musicales ils ont fait exprès d'en omettre une et Hop au signal final (un coup de sifflet ?) tout le monde va s'asseoir, sauf le perdant ...Ouf peu de temps avant le début de la séance, je trouve la place réservée dans le cercle intérieur devant l'estrade où se trouvent la présidente de l'Assemblée, le ministre des Outre-mer et le préfet.
Je suis en contrebas d'une colonne où trônent le portrait géant de François Hollande au dessus d'un Christ en croix. La présidente ouvre les débats en plaçant ceux-ci, ainsi que les mini Jeux, sous le signe de Dieu. Elle demande à l'ensemble des participants de faire de même, j'assiste ébahi, écarquillant les yeux, au spectacle de quasiment toute une salle, y compris le préfet et le ministre effectuant le signe de croix « Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, Amen » en ouverture de la séance. Je suis toujours stupéfait de l'exception accordée à Wallis au principe de la laïcité. Cela ne me choque pas car je n'ai jamais perçu de signes d'intolérance religieuse chez les Wallisiens, mais j'imagine encore et toujours en souriant un laïcard pur et dur, bouffeur de curés, bondissant à chaque écart par rapport à la laïcité dans l'espace public français, ses bonds lui auraient permis ici d'atteindre la lune ...

La cérémonie d'ouverture : « Pasifika Lena, Pasifika Pe'ia »

Deux jours plus tard, c'est la cérémonie d'ouverture au stade de Kafika le lundi 3 septembre, j'ai une invitation à la tribune officielle et je m'y rends un peu avant 14h00, heure prévue pour le début du défilé des délégations d'athlètes. Beaucoup d'agitation dans la tribune, et sans nul doute de stress pour les organisateurs, car au dernier moment de nombreux changements de places pour les invités prestigieux se décident … Enfin le défilé des athlètes commence. S'avance en éclaireur les représentants du premier territoire tandis que le speaker annonce : les Iles Cook, sept athlètes, huit officiels accompagnateurs …
Passage des vingt délégations du Pacifique sous nos regards, occasion rêvée de réviser ma géographie pacifiquienne : je connaissais les îles Samoa mais j'apprends qu'il y a des Samoa américaines, je suis surpris par l'existence d'une île de Norfolk non loin de l'Australie ainsi que deux autres îles inconnues, Palau et Niue ; les territoires au nom enchanteur, qui frappaient l'esprit enfant en raison de l'exotisme attaché à leur éloignement processionnent sous mon regard, mon esprit s'évade, embrasse dans une grande effusion l'immense Pacifique, Kiribati, Vanuatu, Guam, Tahiti, Tuvalu, les îles Salomon ... Les plus grandes délégations avaient prévu une courte séquence de pas rythmés, dansés et/ou de chants pour se présenter face aux tribunes. Avec l'âge, je suis en train de devenir chauve, donc soyons chauvins, les meilleures animations furent proposées par les délégations francophones, Wallis-et-Futuna, Tahiti et la Nouvelle-Calédonie, avec pour ce dernier territoire à la baguette un Kanak en tenue traditionnelle, énergique, bondissant, survolté, menant la troupe des sportifs avec leur cri de ralliement « Cagous Hou, Cagous Hou, Cagous Hou Hou Hou ». Le cagou est un grand oiseau blanc endémique de la Nouvelle Calédonie et les équipes de sport de ce territoire s'affublent de ce surnom.

Cagou Hou Hou Hou

Après avoir défilé, les athlètes se dirigeaient au centre du stade, le soleil brillait de tout feux, de toutes flammes, en plein éclat ce jour là. Ils ont été obligés de patienter en plein cagnard alors que commence le deuxième temps de la cérémonie, celui des discours. Je considère que ce fut la seule fausse note de la fête car les discours du ministre des Outre-mer, du président fidjien du Conseil des Jeux du Pacifique et du président du comité de Wallis-et-Futuna s'éternisèrent près d'une heure avec une traduction à chaque fois français-anglais.

Le discours de Victorin Lurel


Je compatissais à la situation de ces athlètes attendant patiemment sous un soleil-massue, un simple « Je déclare l'ouverture des neuvièmes mini Jeux du Pacifique » aurait largement suffi. Un peu plus de considération pour les sportifs, foin de la politesse, des courbettes et salamalecs …
La flamme symbolique, constituée d'une sculpture en bois en forme de flamme a été brandie à travers une haie d'honneur par le champion du monde handisport de lancer de javelot wallisien Tony Falelavaki et le drapeau des jeux a été hissé. Troisième temps de la cérémonie, le spectacle d'accueil constitué par des danses de village relatant l'histoire de Wallis, ses légendes et la diversité de ses traditions. Les danses mêlaient tradition et modernité, elles étaient beaucoup plus rythmées, dynamiques, enjouées que ce que j'ai eu l'habitude de voir jusqu'ici, un chorégraphe wallisien venu de Nouvelle Calédonie avait opéré une touche d'innovation rafraîchissante. La mise en scène suivait les grandes étapes de l'histoire du territoire : les contes et légendes qui façonnent la culture, la venue des premiers Tongiens, l'apparition des missionnaires français, le changement du statut en 1961 avec l'adhésion à la citoyenneté française. Point d'orgue du spectacle, quelques Tongiens sont venus se mêler avec leur drapeau aux danses évoquant les batailles du passé, en ferraillant avec des lances en bois avec leurs amis Wallisiens qui avaient tenu à rappeler leur ascendance tongienne. Les athlètes de Tonga avaient fait une arrivée remarquée quelques jours auparavant en venant en bateau de leur île pour rappeler que les premiers Wallisiens étaient de leur souche.

Les danses de la cérémonie d'ouverture

Slogan des Jeux : « Pasifika Lena, Pasifika Pe'ia » « Le Pacifique Autrement, le Pacifique Simplement » à l'image de la cérémonie.

La danse de la victoire et de la joie

J'ai essayé d'assister à un maximum de manifestations sportives. Les compétitions se sont déroulées sur quatre sites répartis sur deux îles, le site de Futuna accueillant le beach volley. La baie de Gahi abritait les sites de Va'a (pirogue polynésienne) et Liku celui de la voile. Je ne m'y suis pas rendu, je ne suis pas familier de ces sports. Je suis allé quatre après-midi à Kafika, le cœur des mini Jeux avec le stade pour l'athlétisme et le rugby à 7, la nouvelle salle omnisport pour les matchs de volley et l'ancienne salle pour le taekwondo et l'haltérophilie.
Mercredi 4 septembre, deuxième jour de compétition, je suis au stade en début d'après-midi. J'ai la surprise d'assister à la finale handisport du 100 m, je suis étonné par l'intégration de ces sports dans les épreuves. Je soupçonne les malicieux organisateurs wallisiens d'avoir incorporé quelques épreuves réservées aux handicapés dans le but de s'assurer une médaille d'or puisque Wallis a un champion du monde de lancer de javelot handisport. Toutefois, à la réflexion, j'ai trouvé cette idée fantastique, je me suis demandé si cela ne pouvait pas être généralisé aux Jeux olympiques d'intégrer une ou deux épreuves pour personnes handicapées au sein des épreuves traditionnelles. Deuxième surprise, la course mêlait différents handicaps. Lutte farouche pour la première place entre un néo-calédonien aveugle accompagné d'un guide et un autre néo-calédonien sans doute atteint d'un handicap mental, avant que le premier se détache nettement dans les trente derniers mètres pour terminer en 12 ' 58, temps que je trouve remarquable.
Deux heures plus tard, je revenais au stade pour assister à la cérémonie de remise des médailles, la joie de ces Néo-calédoniens handicapés était débordante, communicative. Lorsqu'ils s'approchent des gradins, une grande clameur s'élève des tribunes, ils commencent à secouer le corps de manière frénétique, improvisent quelques pas de danse encouragés par la colonie néo-calédonienne, le cri de guerre « Cagous Hou, Cagous Hou, Cagous Hou Hou Hou » résonne tandis que les deux compères bondissent, ivres de l'allégresse des vainqueurs.

Cagou, Où ? Ivre de joie sur terre ...

Fort comme un Papou ; Rapide comme une Papoue

Dans l'après-midi, je me dirige vers l'ancienne halle de kafika pour assister aux épreuves d'haltérophilie. S'y déroule l'épreuve homme des – de 77 kgs, seuls les trois derniers finalistes sont présents dans l'épreuve d'épaulé-jeté. L'athlète Toua UDIA de la Papouasie Nouvelle Guinée affronte un champion de Kiribati et un autre de Tuvalu. Je prends en mon for intérieur parti pour le Papou, nom à la consonance dans mon esprit aussi mythique que le Masaï d'Afrique Noire.
Extraordinaire concentration des visages au moment où ils entrent en scène. Ils s'encouragent par des petits cris, leurs entraineurs les haranguent jusqu'au dernier moment, on sent qu'un état de transe commence à les envahir, un souffle intérieur les habite, une foi les mène au combat final contre les autres pour la victoire, certes, mais avant tout à la lute contre soi, avec soi, pour soi. Ils tentent de soulever la barre dans un immense élan qui dynamite toutes les particules de leur corps, ils se glissent sous la barre sous les clameurs du public. Un léger fléchissement des jambes et Ho-hisse, les voilà tentant de soulever la barre aux cercles lourds comme des enclumes, le visage tendu par la volonté farouche de vaincre la pesanteur, la loi de l'espace qui s'abat sur chacun d'entre nous. A la troisième tentative pour soulever la barre de 150 kilos qui pouvait lui assurer la victoire finale, le Papou arrive à tenir quelques secondes 1 … 2 … 3

Papou, Où ? Ivre de joie jusqu'au ciel ...

Et alors que le champion trépignait de bonheur sur la scène, je me demandais s'il était père, s'il pouvait partager ce plaisir avec une progéniture palpitant aux exploits de champion de leur papa Papou ; Papou papa ou Papou pas papa ?


Après le lever de drapeau, je reviens vers le stade où se tiennent les compétitions de vitesse du 100 mètres homme et femme. Je suis particulièrement impressionné par la Papoue Toea WISIL qui déboule la ligne comme une fusée, en donnant l'impression de laisser sur place dès le départ les autres concurrents et gagne avec une facilité déconcertante l'épreuve reine des 100 mètres. Le niveau de ces mini Jeux était très variable selon les épreuves : à titre d'exemple, le 10 000 m masculin a été gagné avec un temps légèrement inférieur à 35 minutes ce qui place cette épreuve à un niveau départemental en métropole, j'ai participé à de nombreuses épreuves amateurs en Alsace où le temps du vainqueur est largement inférieur à cela. Par contre, la championne papoue a un meilleur temps de 11'41 au 100 mètres, ce qui la place à un niveau de quart ou demi-finaliste des Jeux Olympiques. Elle était impressionnante, d'une musculature diamantine taillée pour griffer la terre, l'écorcher vive, la brûler.

Toea WISIL : V comme Victoire


Où l'on se rend compte que notre héros (euh ...c'est moi...) est dépositaire d'une mine de connaissances Bouuum


Je suis revenu à l'ancienne halle de Kafika, le championnat d'haltérophilie avait pris fin, une atmosphère d'être-ange quiétude flottait dans la salle désormais muette, déserte ; la barre et les haltères trônaient en plein milieu de la scène dans un silence aspirant l'espace, absorbant le temps, semblant attendre une dernière et fraternelle communion.
 
J'ai entendu en moi la voix intérieure du combat, du besoin de défi intrinsèque à l'homme qui retentissait comme un gong, une cymbale éclatante, qui me disait d'un ton allègre : « Mesure-toi au Papou, tu es capable de le vaincre ... » Crôa, Crôa, comment est-ce possible, me direz-vous, que moi si faible, quantité négligeable sur terre je sois en mesure de le vaincre ? Mais impossible n'est pas alsacien, impossible n'est pas wallisien, impossible n'est qu'un terme de la langue française et vivant maintenant éloigné de la métropole, au milieu de mes congénères autochtones Obélix de Wallis, je pressentais que je pouvais essayer de combattre et de vaincre ces haltérophiles musculeux, surentraînés, au torse surpuissant. Une certitude totale, absolue, intime s'immisçait en moi, m'envahissait puisque moi seul détenait la connaissance suivante :
« Je suis dans l'hémisphère sud. Observez attentivement un globe terrestre, vous serez frappés par le fait irréfutable, clair, indubitable que dans l'hémisphère sud, nous vivons forcément avec les pieds en haut, la tête en bas dirigé vers le ciel. Or tout objet est attiré vers le bas, vous en avez fait maintes fois l'expérience dans votre vie, ce principe de vie est aveuglant. En conséquence, si je soulève la barre du sol, elle sera forcément attiré vers le bas, c'est à dire le ciel. » CQFD.


L'avantage que j'avais sur les trois finalistes, c'est que j'avais eu une vie antérieure de nordiste alors que vivant continuellement dans l'hémisphère sud, une telle connaissance ne les avait jamais interpellés, ils vivaient insouciants en se laissant bercer par la douce naïveté du mythe de la gravité. J'enlève mes chaussures, et pieds nus je me dirige avec assurance vers les haltères. Je rajoute un disque de 25 kgs de chaque côté aux 150 kilos de la barre soulevée par le Papou pour la porter à deux quintaux, je fixe avec le petit collier l'ensemble des disques. Je prélève au passage un peu de magnésie, poudre blanche miraculeuse, sur les mains, m'en frotte énergiquement les mains, les grains de poussière dansent autour de mes paumes … Je pousse un petit hurlement d'encouragement avant de ployer mes genoux. Je noue mes mains, crispe mes poings autour du cylindre. Dans un immense cri Hi Han ; première tentative … Rien à faire, rien ne bouge … Je pense que je n'y ai pas mis toute mon âme, tout mon cœur, je me remobilise, me concentre … Hi Han ; deuxième tentative, mon visage se convulse sous l'effort, mes bras se tendent, je frôle le ridicule … Ai-je douté de mes forces, aveuglé par ma certitude, mon orgueil d'expert de l'apesanteur et de la lourdeur m'a-t-il aveuglé? Je ne me décourage pas, tant pis, le ridicule ne tue pas, je me dois de faire une dernière tentative. Mais juste avant celle-ci, illumination en moi, traversée du sabre de l'intuition en plein cœur … Certes, je détiens cette connaissance, mais la barre le sait-elle, les moindres atomes qui la constituent en savent-ils quelque chose ? Vous conviendrez avec moi qu'un savoir, s'il n'est pas transmis, enseigné autour de soi n'est rien qu'une coquille vide, une noix sans coco, une perle sans huitre. Les particules d'acier ignoraient ma démonstration de cette loi fondamentale de leur nécessaire attirance vers le bas et le ciel dans l'hémisphère sud, elles sont plongées dans l'ignorance, fléau de l'humanité. J'impose à nouveau avec douceur, tendresse mes mains sur la barre, je divulgue mes explications sur le tableau multicolore de l'imagination, je diffuse par vibrations, par pulsions mes explications rationnelles, paisibles à chaque particule de la matière, sans négliger aucune d'entre elles, la myriade de milliards d'atomes d'acier m'écoute pieusement, élèves obéissants, en silence ...
Dernier souffle avant la dernière tentative, râlement, gémissement Hi Han … Fabuleuse poussée de la matière, mon idée première était de soulever la barre en épaulé-jeté, en deux temps mais l'élan est tel que je peux l'arracher directement, le brandir à bout de bras. Tous mes muscles du bras sont tendus par l'effort, la contraction fige mes membres, mes muscles, mon visage. Je tiens quelques moments : Une ... deux ... trois secondes, j'exulte, c'est la victoire tant désirée, je m'écarte de la barre pour qu'elle puisse retomber sur le sol. Mais la barre continue à flotter, commence même lentement à s'élever vers le bas, vers le ciel ... Je tente de l'attraper, de m'y agripper, de lui intimer l'ordre de redescendre, mais enivré par la nouvelle connaissance que je leur ai offerte, voilà que la barre zélée, les disques disposées comme des ballons autour du cylindre continuent leur invincible élévation, obéissant à l'idée fixe première que je leur avais communiqué. Je dois relâcher mon étreinte à deux mètres du sol, je retombe brusquement sur l'estrade Ouf je respire enfin les deux pieds sur terre. Ainsi, il faut bien le dire, que le cul ;-)
Jusqu'à quand, jusqu'où la barre allait-elle continuer son périple instructif ? La barre s'approche du plafond de la salle, le heurte et … Boum … Mine en plein ciel, elle explose en éclats infimes, en limaille d'acier qui se répand comme une pluie fine dansant dans la salle la gigue du ciel, la valse ivre du bas de l'hémisphère sud. Aux particules tournoyant dans les airs, je criais : « N'exagérez rien, il faut toujours en toutes circonstances garder les deux pieds sur terre » « Nous n'avons pas de pieds » me répondirent-elles.

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