dimanche 8 septembre 2013

Montres, Fusils et Flammes

Tic Tac Tic Tac Tic Tac

On ne nait pas inspecteur des finances publiques, on le devient … Personne ne rêve enfant d'occuper de telles fonctions, ce ne fut pas un aboutissement mais je fais le job comme dirait le pauvre Job et au final, je suis heureux de réaliser ce travail. Je fais partie de la grande famille de ce que les Évangiles appellent « les collecteurs d'impôts et autres gens de mauvaise réputation » avec dans cette dernière catégorie une assimilation fréquente aux prostituées ;-)
 
J'ai pris conscience alors d'être un rebelle, mon cœur ensauvagé, insoumis de fonctionnaire chante depuis à tue tête la chanson de Georges Brassens :

Au village, sans prétention,
J'ai mauvaise réputation.
Qu'je m'démène ou qu'je reste coi
Je pass' pour un je-ne-sais-quoi!
Je ne fais pourtant de tort à personne
En vous prél'vant ça et là des petites sommes ;-)

Au sens strict, je n'ai jamais contrôlé les feuilles d'impôt de quiconque, mais j'ai exercé des tâches qui participent à la fonction coercitive redoutée du contrôleur puisque j'ai signé des états de poursuite remis aux huissiers, des saisies de compte bancaire ou employeurs. Une des expériences les plus attrayantes a été d'assister à une vente aux enchères en métropole. C'était au tout début de ma carrière d'inspecteur lors de la période de stage avant la prise de fonction. L'huissier du Trésor public avait saisi les biens d'un mauvais payeur dans une ville au Nord du Bas-Rhin, qui exerçait une profession libérale en profitant de la proximité de l'Allemagne pour y développer sa clientèle sans payer d'impôts ni en Allemagne ni en France. De mémoire, son ardoise constituée du principal et de pénalités, accumulée sur plusieurs années et plusieurs types d'impôts, avoisinait les 100 000 euros. Parmi ces biens, des meubles d'assez grande valeur, des tableaux, du matériel Bang et Olufsen qui s'est vendu à un prix très élevé et deux montres de qualité, dont l'une de marque Jaeger et Lecoutre modèle Reverso. L'huissier n'était pas certain de l'origine, c'est pourquoi il avait mis sur l'annonce de la vente qu'il s'agissait de montres « signées » de marque. Ces deux montres constituaient l'attraction principale de la vente, j'ai été chargé de les garder dans mes poches pour éviter tout vol et les montrer au fur et à mesure aux éventuels acheteurs venus inspecter leur qualité. J'ai discuté avec ces personnes qui étaient passionnés par l'univers de la montre, domaine qui m'est rigoureusement étranger. Avec une petite loupe, ils examinaient chaque parcelle de ces mécanismes délicats, vérifiaient le poids, le numéro de série à l'arrière. Ils m'ont tous garanti qu'il s'agissait bien d'originaux, que ce n'étaient pas des contrefaçons.

Le mécanisme de la vente aux enchères est passionnant, il met à nu le mécanisme fondamental psychologique de l'homme du désir mimétique, il organise une lutte feutrée, disciplinée par lequel on tente d'acquérir un bien sous le regard d'autres personnes, d'autres inconnus qui peuvent se transformer en quelques instants en adversaire acharné, avide de triompher de la compétition. La vente avait attiré une foule nombreuse de curieux grâce à l'encart dans le quotidien local. Les enchères sont montées très vite. J'ai été impressionné par le prix de vente final des biens audio et vidéo Bang et Olufsen assez proche finalement du prix du neuf alors que nous le vendions sans aucune garantie de fonctionnement. La vente exerce un effet euphorisant, grisant, il était clair que les acheteurs se laissaient entraîner dans une spirale d'achat effréné, ne voulant pas céder à la volonté de celui qui enchérissait dans le même tempo, en dépassant largement la limite qu'ils s'étaient imposés en début de séance.

Même topo pour les montres, du chœur des spectateurs en rang debout en face de l'huissier faisant office de commissaire-priseur s'extrayaient rapidement quelques enchères qui au début se succédaient en rafale. S'imposent trois, quatre demandeurs qui au final se réduisent à une compétition à deux, un face à face. Les enchères montent progressivement mais parfois, pour impressionner l'adversaire, l'un surenchérissait brusquement, d'un bond impressionnant sans doute au niveau du prix qu'il s'était secrètement fixé au départ, histoire de démontrer sa détermination. Mais l'atmosphère était surchauffée ce jour là, aucun ne s'en est laissé compter, après un léger temps d'attente, d'hésitation, la voix, le regard qui semblait en voie de capituler calmement proposait une nouvelle offre. Croisement des regards, détermination sans faille dans l'iris ... Va-t-il enfin céder ? … Poids du regard curieux des autres sur soi ... Désormais je suis démasqué, mon désir est sur la place publique, je suis à découvert, nu, je ne peux plus reculer, je dois continuer … Course folle jusqu'à l'extinction … Les deux montres ont été vendues pour un total avoisinant 3000 euros.

Les adjudicataires sont venus récupérer leurs biens à l'issue de la vente. Prestidigitateur sublime Abracadabra j'ai sorti les montres de la poche de ma veste, j'ai failli les faire disparaître, les volatiliser dans l'air mais au dernier moment armé d'une immense bonté je les ai offertes à leurs nouveaux propriétaires ;-)

Bang Bang Bang

Arrivé à Wallis, les expériences originales se sont multipliées. Le maître mot est ici la polyvalence et non la spécialisation comme en métropole. L'une de mes activités est d'organiser la vente des biens de l'État sortis de l'inventaire, en majeure partie des véhicules. Jusqu'en 2011, le système des ventes publiques s'est organisé autour de propositions d'achat par soumissions cachetées avec ouverture des plis en commission d'attribution. Ce dispositif présentait de nombreux inconvénients, parmi lesquels l'absence de transparence, nous sommes passés au principe des enchères verbales directes. Par rapport à la métropole, certains des biens mis en vente peuvent être vraiment dans un état désastreux en raison du mauvais état des routes, de l'humidité de l'air et de la corosité de l'atmosphère salin mais compte tenu de la rareté des biens, ils ont encore une valeur sur le marché. La vente permet de libérer l'espace public de ces carcasses très rapidement remises en état par les acheteurs après la vente ou utilisées pour les pièces détachées.

Tracteur mis en vente

La volonté de transparence s'est retourné un jour contre nous. Nous avions mis en vente un véhicule en bonne qualité, une Suzuki Vitara, modèle populaire sur l'île, puis à la suite de la demande d'un service de l'Etat qui souhaitait le récupérer, nous l'avions retiré de la vente qui se déroulait à 14 heures ce jour là. Le Payeur qui organisait les enchères annonce le retrait de ce véhicule, les esprits s'échauffent, certaines personnes le menacent verbalement, l'accusent de favoritisme envers « les papalanis », les métropolitains, alors que selon nos informations il devait être remis en qualité de véhicule de service à un Wallisien travaillant dans l'administration … A la suite de cet épisode, nous avons décidé d'organiser les ventes le matin et non plus en début d'après-midi car les deux ou trois personnes agressives étaient visiblement éméchées après un repas arrosé. Cette vente constitue pour le moment l'exception qui confirme la règle, car toutes les autres se sont déroulées dans un esprit respectueux et cordial.

La vente la plus originale a eu lieu à Futuna, île distante de 250 kms de Wallis. Première source d'originalité : nous avons vendu une tonne à lisier, particulièrement utile dans ces contrées où le cochon est roi, ainsi qu'un tracteur qui avaient été laissées en pleine nature. Nous avions demandé aux travaux publics de ramener l'ensemble des biens dans leur garage mais compte tenu de la place et de l'état des engins, cela avait été impossible. Ils se trouvaient dans un léger virage d'une route qui montait vers les sommets de Futuna, je n'arrivais pas à les distinguer sous l'amoncellement de la végétation drue qui avait recouvert les carcasses métalliques.

Tonne à lisier en tenue de camouflage ...

Malgré cela, les biens se sont vendus, à un tarif tout à fait correct. Et dès l'après-midi, les Futuniens étaient à pied d'œuvre pour débroussailler aux alentours des véhicules et les remettre en état de marche.

Autre source d'originalité : la vente d'armes saisies par la Douane. Les biens doivent être déclarés à l'entrée sur le territoire et les taxes douanières peuvent être très lourdes. En cas de non paiement, ils peuvent être mis aux enchères pour l'acquittement des taxes. C'était la première vente d'armes que nous effectuions, la rumeur que l'on proposait des carabines a fait le tour des deux îles. J'avais dû informer de nombreuses personnes à Wallis qui avaient la possibilité d'enchérir par proposition écrite. Les acheteurs devaient déposer une demande de port d'armes dans les conditions habituelles, les carabines étant particulièrement prisées pour la chasse de roussettes. J'étais fasciné par ces quatre armes, je les ai touchées, soupesées, je n' ai jamais manipulé des fusils ailleurs que dans les fêtes foraines. Léger frisson quand vous les prenez en main, symbole de la puissance mais aussi de la mort …

Les armes de Futuna

A Futuna, les ventes mobilisent une dizaine de personnes au maximum, en règle générale des professionnels, des garagistes. Du fait de la présence des fusils, une masse d'une quarantaine de curieux se pressaient. Les enchères ont démarré à un niveau élevé du fait de l'existence de propositions écrites de Wallis pour chacune des armes, mais elles sont tout de même montées rapidement jusqu'à l'enchère finale, qui a retentit comme une dernière salve dans le garage.

Pschiiit …

Autre expérience pédagogique et ludique, celle du stage Incendie dans le cadre de la prévention aux risques réalisé dans le cadre du travail. Je trouve sidérant d'avoir dû aller à Wallis pour bénéficier d'un tel stage qui pourrait être obligatoire en métropole, ainsi que le stage de secourisme que je viens de faire dans le cadre de la plongée.

C'est évidemment la pratique qui est le plus intéressant dans ce cadre. Nous sommes venus en début d'après-midi à la caserne des pompiers.
Les deux formateurs pompiers

Ils nous ont rappelé les principaux éléments du cours théorique, les classes de feu, les différents types d'extincteurs, la conduite à tenir en cas de propagation de l'incendie. Ils ont mis le feu à une carcasse de pneu qui brûlait constamment comme un amour obstiné, inextinguible, et qui se rallumait lentement à chaque fois que l'on arrêtait de braquer l'extincteur dessus. Hop, voilà, c'est mon tour ; j'ai dégoupillé l'extincteur comme une grenade et les dents serrées, je me suis mis en position de combat avec mon extincteur bazooka. Redoutable, invincible guerrier, les yeux tendus vers la cible, je me suis approché du feu dans un grand cri de guerre …..

Banzaiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii
 
 
 

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