mercredi 10 septembre 2014

My friend Yoshiko : Des origamis en écho sur la terre

Randonnées sur l'île


Comme chaque matin, nous devisons tranquillement au petit-déjeuner. Je demande à Yoshiko comment elle est devenue chrétienne. Je sais que la majorité des Japonais sont shintoïstes ou bouddhistes, mais j'ai constaté aussi grâce à mon voyage au Japon que le syncrétisme régnait, qu'ils étaient souvent des deux confessions selon les occasions. Par contre, la religion chrétienne est très minoritaire. Elle me dit qu'à une période difficile de sa vie, elle passait près d'une église non loin du restaurant de ses parents, qu'elle a vu l'inscription « Frappe à la porte et entre », qu'elle est entrée, qu'elle a trouvé ce qu'elle cherchait. Elle résume la religion chrétienne par le fait que le bien que l'on veut pour soi, on le veut aussi pour l'autre. Une autre formulation du fameux commandement chrétien demandant d'aimer l'autre comme soi même. Chemin faisant vers le sud, je m'arrête pour qu'elle puisse prendre en photo l'église du Sacré-Coeur aux tourelles emboîtées, qui me fait toujours penser à un gâteau de mariage, où un Christ trônant dans l'une des tours tend ses bras pour embrasser le monde entier.


L'église-du-gâteau-de-mariage

Nous devions prendre le taxi-boat pour un îlot du sud, mon préféré de Wallis, celui de la Passe. En arrivant, je ne vois personne sur le canot à moteur qui nous emmène vers les îlots. Je me souviens avoir réservé deux jours plus tôt en passant lors de la visite d'une église mais j'avais dit que je confirmerai mais je ne l'ai pas fait Aïe ça se présente mal. Nous attendons une peu, mais rien à faire, pas de pilote à l'horizon. Je m'enquiers de son domicile auprès d'un villageois qui tond sa pelouse, je toque à la porte mais il n'est pas là. Je cherche un autre pilote qui habite non loin de là, mais je joue de malchance, je toque plusieurs fois, personne pour m'ouvrir. Je tente d'aller vers l'association Vakala pour profiter des îlots du centre Toc Toc Toc il n'y a pas d'activité le lundi matin. Je dois donc changer mes plans, la journée se transforme en randonnées dans la nature. Je montre d'abord à Yoshiko le Christ au carrefour du nord puis l'église Saint-Pierre et Paul non loin de là, puis direction la pinède derrière le mont Loka où je courais fréquemment au début de mon séjour. Je tente d'emprunter différents chemins, mais les sentiers n'ont pas été refaits, ils ne sont plus nettoyés depuis le cyclone qui date pourtant de plus d'un an. Parfois, ce sont des grands arbres qui barrent la route, parfois ce sont les bruyères folles très hautes ou les ronces denses. Mais nous passons tout de même près d'une heure et demie à errer de sentier en sentier, de petits papillons s'ébattent comme des vibrations de l'âme quand nous foulons les herbes, les fleurs sauvages. Un très léger vent souffle balançant les arbres, caressant les palmes des cocotiers, effleurant les épines des pins et traverse l'être comme un songe. Nous tentons d'avancer de temps en temps malgré la végétation touffue, nous nous retrouvons ensevelis dans des écrins de verdure, il faut revenir en arrière.


Yoshiko au milieu des bruyères

Je lui propose l'après-midi de faire une randonnée vers le mont Lulu dont je connais les chemins de randonnée grâce à des excursions en vélo avec des amis. Toutefois, elle insiste pour retourner vers le lac Lalolalo, je l'emmène alors pour une troisième fois vers ce lac qui la fascine. Je sais parfaitement qu'elle veut encore jouer au jeu de l'écho, elle veut tenter encore une fois de crier suffisamment fort pour que les falaises lui répondent. Nous descendons très progressivement vers le petit espace d'où je me penche et je crie, c'est relativement dangereux en raison de l'abondance des ronces, des herbes hautes qui cachent la vue, je reste à un bond mètre du bord vertigineux du précipice qui débouche sur la surface du lac à des dizaines de mètres en contrebas. Mais ses tentatives sont vaines, elle n'a pas assez de souffle, de coffre, elle fait plusieurs essais, sa voix fluette s'envole à droite mais nul retour à gauche tandis que je lorsque je lance son prénom à droite, quoiqu'il arrive il revient sans coup férir, en pleine grâce, à gauche. Lorsque nous remontons, une libellule noire aux deux paires d'ailes moirées, vibrantes, chatoyantes, s'ébat devant nous, se pose sur les feuilles, les fleurs, semble nous suivre un long moment alors que nous visitons les lieux.


Dragon volant noir

Je décide de l'emmener en randonnée aux Marais Sanglants, site qui se trouve non loin de là accessible à pied, lieu d'une grande bataille par le passé entre les tribus de l'île où s'élève de somptueux arbres aux racines immenses, onduleuses. Comme le matin, le chemin se révèle impraticable mais cette fois-ci pour cause de boue, la saison des pluies plus longue cette année que les années précédentes n'a pas permis l'assèchement des sols. Je tente de prendre un nouveau chemin de traverse pour aller vers un endroit inconnu mais les flaques d'eau nous barrent encore la route. Je me résigne à marcher sur la route territoriale, je décide de l'emmener à nouveau voir la chapelle Saint-Pierre Chanel, elle est enthousiaste à l'idée de revoir l'église-du-bout-du-monde devenue aussi depuis deux jours l'église-du-coucher-de-soleil. Lorsque nous arrivons, un soleil éclatant illumine la face du lagon. Nous nous séparons et nous amusons à monter à la terrasse du premier étage elle par la gauche, moi par la droite car deux escaliers symétriques de chaque côté de l'église y mène, nous arrivons en haut synchronisés Bing nous posons le premier pas ensemble sur le carrelage. Le lagon s'étend jusqu'au bout de l'horizon pour embrasser l'océan et se fondre en lui, le soleil se voile un instant entre quelques nuages, puis il se réfléchit à nouveau sous la forme d'un bloc de lumière de la taille d'un lac, éclatant de  scintillements, argenté qui se dépose en explosions sur la surface de l'eau à notre gauche, la lumière et l'eau célèbrent dans cet endroit désert leur union fusionnelle, indivisible.


Duo selfie à la chapelle


Nous descendons tranquillement l'escalier à nouveau chacun de son côté, moi à gauche, elle à droite, Yoshiko descend avec des mimiques amusantes l'escalier pour mettre le pied en même temps que moi sur la pelouse.



Escalier qui mène au bout du monde

Au retour, quand nous nous rapprochons du lac puisque nous sommes garés juste devant, elle commence à prendre à grandes bouffées l'air, à s'époumoner très fort de manière comique, je ris aux éclats. Elle ne s'avoue pas vaincu, elle veut jouer encore au jeu de l'écho-boomerang et commence à s'exercer pour les cris avec ces exercices de respiration. Et la voilà qui descend avec d'infinis précautions, aidé par moi à bout de bras, qui tend sa tête vers la droite pour crier avec énergie mon prénom, mais sa voix fragile est incapable de se transporter le long du précipice. Après une dizaine d'essais, sa voix commence à fatiguer elle s'avoue vaincu, je descends à mon tour et le prénom « Yo-shi-ko » retentit allégrement à gauche. Après trois joutes, la première partie, la revanche, la belle, et un, et deux, et trois zéros, je suis vainqueur par KO au jeu de l'écho avec Yoshiko ;-)

En fin d'après-midi, c'est le goûter avec deux amies. Comme d'habitude, notre invitée se met à confectionner des origamis en papier pour les leur offrir, en forme d'arbre de Noël cette fois-ci mais ses doigts agiles confectionnent aussi et surtout comme toujours les fameuses grues du Japon, oiseau symbole de santé, longévité, amour et bonheur dans ce pays.

La légende des mille grues

La légende des milles grues raconte que si l'on plie en une année mille grues  en papier retenues ensemble par un lien Abracadabra grâce à cette guirlande tout ce que symbolise cet oiseau s'offre à vous. La légende est devenue particulièrement vivace depuis l'histoire vécue, tragique et belle, de Sadako Sasaki, jeune fille d'Hiroshima âgée de deux ans au moment où la première bombe atomique de l'Histoire explose sur sa ville natale le 6 août 1945. Vive, joyeuse, adepte de la course à pied, elle semblait avoir échappé à la mort mais neuf ans plus plus tard, après des coups de fatigue, elle fut admise à l'hôpital où on lui diagnostiqua une leucémie, cancer des cellules sanguines, le « mal de la bombe atomique ».

Sa meilleure amie lui raconta alors l'ancienne légende japonaise des 1000 grues et lui apporta un premier origami de cet oiseau. Sadako se mit à confectionner dans la fièvre, l'exaltation des grues du Japon en papier, qui lui permettraient l'espérait-elle de retrouver la course à pied, la maîtrise de son corps, de revoir ses amis, d'obtenir cette santé, cette longévité dont elle rêvait tant tandis que son sang commençait à être gangréné, que les cellules cancéreuses poursuivaient leur long travail de sape dans son corps. Après qu'elle eut plié 500 grues, une brève accalmie survint qui lui permit de quitter l'hôpital. Mais moins d'une semaine plus tard, retour vers sa chambre de malade où elle continua de plier scrupuleusement, méthodiquement ses papiers. A sa mort, elle avait réalisé 644 grues en papier. Terrorisé par l'approche de la mort dont elle percevait les échos, les avancées dans son corps, perspective insoutenable pour une fille qui venait d'avoir douze ans, elle avait même utilisé les étiquettes de ses flacons de médicament pour confectionner les origamis et tenter de conjurer son sort funeste. Bouleversés, ses amis, sa classe finirent de plier les 356 grues restantes et collectèrent de l'argent pour construire un mémorial qui se dresse dans le parc de la Paix d'Hiroshima en l'honneur de Sadako Sasaki et de tous les enfants frappés par la bombe. La statue de Sadako tenant une grue à bout de bras célèbre désormais cette histoire triste. Depuis cette histoire, on offre au Japon un senbazuru, guirlande de mille oiseaux en papier du bonheur à une personne très proche et malade.




La statue de Sadako

Depuis que je l'ai connu, à chaque fois si c'est possible lors d'une soirée, Yoshiko réclame des papiers pour confectionner les grues et les offre autour d'elle avec un large sourire à des enfants, des adolescents, aux amis de ses amis, à toute personne qui lui fait grâce d'une attention. Âme enfantine, enjouée, elle est la réincarnation de cette fille décédée à l'âge de douze ans avec son corps de gamine, elle est l'anti-bombe atomique d'Hiroshima, elle répand autour d'elle des sourires enjoués, elle offre ses origamis en forme d'oiseaux comme un battement de cœur amical, qui sont comme des échos de la profonde bonté, de la gentillesse qui l'anime à chaque instant. Elle a tissé avec tous ces papiers volants une guirlande de l'amitié, une longue chaîne de bonheur qu'elle continuera à tresser à travers le monde.


L'îlot de Nukihafala

Septième et dernier jour à Wallis pour Yoshiko. Et à nouveau sur le bateau la malchance se pointe devant la porte Toc Toc. Le pilote tente de faire démarrer le moteur Crac un bruit suspect. Il démonte rapidement le capot et nous annonce que son moteur vient de le lâcher. Nous abandonnons le lâche, l'ingrat et nous attendons sur la rive qu'il nous trouve un autre pilote en la personne de son oncle mais Aïe Aïe son bateau est aussi en rade donc je dois abandonner l'idée de passer la dernière journée sur l'îlot de la Passe. Comme la veille, je me rabats vers l'association Vakala et cette fois-ci la porte de la chance Toc Toc s'ouvre à nouveau devant nous, nous sommes en mesure d'être transportés sur un ilot. Je choisis de passer la journée sur Nukihifala. Alors que je discute des conditions avec la secrétaire de l'association, Yoshiko se lie avec des enfants handicapés moteur et mentaux pris en charge pour une activité de voile, et au moment où nous nous dirigeons vers le bateau tandis qu'ils montent dans un minibus qui vont les emmener, Yoshiko adopté par les enfants leur fait des signes d'adieu auxquels ils répondent avec effusion.

Je l'accompagne pour un tour de Nukihifala puis nous nous mettons à l'eau à la recherche de la faune et flore. C'est la marée haute, les poissons sont rares ; nous dérivons lentement vers le rivage en nous laissant enrouler dans les vagues, et nous restons un bon moment dans ce jacuzzi improvisé, écumant à fleur de rivage. Après le petit déjeuner et une sieste écourtée, nous revenons à l'eau pour saluer les poissons-papillons qui volent, les poissons demoiselles qui minaudent, un poisson lune gonflé qui fait mine de se croire aussi grosse qu'une baleine. Avant le retour, dernière longue halte vers l'arrière de l'îlot, pour admirer le spectacle incessant de l'océan se jetant contre le lagon, vague débordant, avançant écumeuse, douce jusqu'au point ultime pour refluer, remplacée par la suivante, spectacle du Temps écumant en nous pour toujours se recomposer.

Le lendemain, elle est très tôt éveillée pour le départ. Après l'enregistrement, petit café au bar du premier étage qui offre le spectacle des arrivées et départs. Puis vient le moment fatidique, nous nous topons dans les mains comme à Kyoto avec la promesse de nous revoir : A bientôt « Matane, Matane » ...