vendredi 20 juin 2014

My friend Yoshiko : Une japonaise à Wallis

Rencontre en plein vol

Je devais faire une rencontre mémorable lors d'un voyage retour de métropole après un stage à Paris. J'étais à l'aéroport d'Osaka affalé sur sur un siège, vanné, en transit pour le prochain vol vers Nouméa. J'entends l'annonce pour l'embarquement de la compagnie, je vois un petit bout de femme menu, plus petit que ma mère qui est pourtant l'étalon mètre de la petitesse, bondir de son siège pour se présenter la première à la porte d'embarquement. Elle parle quelques instants avec les hôtesses de l'air japonaises puis se courbe avec révérence à plusieurs reprises en les remerciant avec effusion de leurs réponses avant de s'engager vers le sas qui mène à l'avion. J'ai souri, s'impose en moi le cliché de la politesse japonaise que nous avons tous en tête, je venais d'en être le témoin. Je me dirige en dernier vers la porte d'embarquement et lorsque je me rapproche de la place qui m'est dévolue à l'intérieur de l'avion, je réalise que je suis placé côté hublot juste à côté d'elle, toujours aussi radieuse et souriante. Peu après l'envol, elle se tourne vers moi avec une légère inclination de la tête en me tendant la main pour entamer la conservation « Hello, my name is Yoshiko », je me présente aussi, les langues se délient. Peu après le premier repas, elle sort une arme redoutable, son appareil photo, j'ai droit à une séance de visionnage sur l'écran des photos de ma voisine. Je souris intérieurement : deuxième cliché, la touriste japonaise avec ses photos … Toutefois, j'apprécie beaucoup la séance, les clichés sont magnifiques, variés, Yoshiko habite à Kyoto, les vues de ses temples, de ses festivals se pressent, se succèdent. Celles qu'elle ne cesse de me montrer, vers lesquelles elle ne cesse de revenir, ses préférées visiblement, sont les photos des cerisiers du Japon aux branches de neige blanche au printemps, elle a un dossier complet dans sa carte mémoire consacrée à ces paysages. Elle range son appareil, elle sort de son sac un petit paquet de feuilles colorées et quelques instants plus tard, troisième cliché : elle me confectionne des origamis en forme de grues du Japon, oiseau symbole de prospérité et de bonheur dans son pays, qu'elle m'offre en cadeau. J'en confectionne un en même temps qu'elle.


Escadron d'origamis de la joie

Nous échangeons nos adresses courriels à la fin du voyage, je dois rejoindre mon transit vers Wallis alors qu'elle est invitée chez des amis de Nouvelle Calédonie. Deux semaines plus tard, j'ai à nouveau un stage à Nouméa, nous nous contactons à cette occasion. Je la vois avec une amie, je les emmène danser, Yoshiko m'invite pour le petit déjeuner le lendemain. Un an et demi plus tard, en juillet 2013, j'ai entrepris un voyage de deux semaines au Japon avec six jours consacrés à Kyoto pendant lesquels elle m'a hébergé. Je garde un très beau souvenir de ce séjour avec deux images qui se détachent : je me vois roulant derrière elle sur un vélo de clown, aux roues minuscules alors qu'elle filait à une allure vive, alerte, décidée dans les rues de Kyoto, que je devais slalomer entre les passants, me relancer sans cesse pour la rattraper.

Mon vélo à Kyoto

Autre souvenir, à la fin de chaque journée, elle me topait dans les deux mains en me disant « We had a very good time, no ? » « On a passé un sacré bon moment ! » … J'adore être pris en photo à côté d'elle, j'ai le sentiment de me transformer par enchantement de nain en géant.


Yoshiko et moi au Ginkaku-ji


Règle de réciprocité : Œil pour œil, dent pour dent, séjour pour séjour, je l'invite à venir chez moi à Wallis, ce qu'elle s'empresse de faire pour une semaine fin avril - début mai de la dernière année de mon séjour dans le Pacifique. J'étais soulagé de la voir venir mercredi matin car j'avais passé les deux derniers jours à nettoyer de fond en comble la maison. Sa maison était très propre, nette à l'instar de celle de ma mère, je me suis attaqué au mal, j'ai balayé, astiqué, aspiré, nettoyé, essuyé, frotté, rangé, épousseté avant de l'accueillir ... J'ai assiégé des endroits auxquels je ne m'étais que rarement confronté, sous les coussins du divan et des sièges du salon qui étaient devenus le royaume des salamandres et margouillats dont j'ai déniché les œufs ; j'ai nettoyé les vitres de chacune des pièces, je ne l'avais jamais fait depuis mon arrivée, travail rendu pénible par le fait qu'elles sont en lamelles superposées et non d'un seul tenant. Mardi soir, je fais un jogging, la veille de l'arrivée de Yoshiko, je rentre dans ma maison, je vis l'expérience étrange, réelle, surréaliste de ne plus reconnaître ma maison, comme lorsque l'on rentre d'un très long voyage pour revenir chez soi, dans un endroit familier et devenu néanmoins étranger … J'erre de pièce en pièce, intrigué, désemparé : Où est la toile d'araignée qui ornait le coin d'un placard dans la chambre d'invité ? Mon Dieu, c'est quoi ces vitres à travers lesquelles je peux voir en transparence les paysages aux alentours ? Où sont mes paquets de vêtements sales qui traînaient sur le coffre en osier, seraient-ils lavés et rangés dans mon armoire ? Je rassure toutefois tous les crados de la terre, effarés à l'idée de vivre une telle expérience, on finit par s'habituer à la propreté ;-)

A l'îlot Saint-Christophe : Transparence et Battements

Elle sort de l'aéroport et se jette dans mes bras avec effusion. Après une petite halte thé-café à la maison, je l'emmène tout de suite à l'îlot Saint-Christophe. La saison des pluies s'est prolongée en ce début d'année mais deux, trois jours avant son arrivée, le soleil avait commencé à se répandre sur Wallis. Journée limpide tandis que nous abordons l'île, un très léger vent perceptible uniquement par la tracé irisée qu'il laisse sur les vagues dans un ciel chaviré de bleu azur. Nous montons vers l'oratoire, je présente la petite Yoshiko au géant Christophe qui porta Jésus sur son épaule. Resplendissement de la Nature, la vue est somptueuse comme à chaque fois, le scintillement de l'eau se répercute en mille échos lumineux sur le miroir du lagon. Nous redescendons vers la plage pour la baignade. Quelques poissons volants s'éjectent non loin de là pour rebondir à plusieurs reprises sur la surface de l'eau. Nous voguons au dessus des coraux bruns, violets, verts, rouges pour observer les petits poissons qui s'y nichent. Etrange, belle sensation visuelle, à travers mon masque de plongée des ronds de lumière apparaissent sur le sol sablonneux clair, chacun d'eux grandit, s'évanouit progressivement en s'élargissant, ils se multiplient, de quoi s'agit-il ? Je ne comprends qu'au bout d'un certain temps qu'il s'agit de gouttelettes d'une pluie passagère qui effleurent l'eau, je ne les ai pas senties sur ma peau gavée de crème solaire, je suis témoin du reflet lumineux sur le sable du choc de ces minuscules gouttes avec l'immense océan, retournant à leur source éternelle pour s'y fusionner.

Nous entamons une petite promenade vers l'îlot aux Lépreux, accessible à marée basse. Une nuée d'oiseaux noirs à crête blanche s'envole à notre approche, puis tournoie inlassablement autour de nous, s'approche, nous frôle à deux ou trois mètres, s'éloigne à nouveau. Retour vers Saint-Christophe pour le déjeuner. Je lui déploie le hamac qu'elle s'empresse d'essayer avec enthousiasme, elle n'en a jamais utilisé. J'essaie quant à moi de dormir sur une serviette de plage, mais je n'y arrive pas, j'entends de légers Plouf délicats qui résonnent non loin de là. Je cherche la provenance de ce son, c'est un grand poisson qui s'approche du bord, qui balance nonchalamment sa queue vers la surface, telle une baleine, une sirène. Il s'éloigne dès que je m'en approche. Yoshiko s'est réveillé, je lui montre le poisson qui revient une nouvelle fois, je pense qu'il s'agit d'une variété de baliste mais je n'en suis pas sûr. Il balance encore sa nageoire vers les cieux dans un mouvement délicat, serein, éclaboussant de sa grâce sonore éphémère le début d'après-midi silencieux. Le poisson-sirène s'éloigne à nouveau quand nous progressons vers lui. Je prends place à mon tour pour faire la sieste dans le hamac tandis que Yoshiko va nager vers le tombant. Le hamac se met à osciller faiblement, je capte dans ma torpeur avec une sensibilité extraordinaire ses très faibles oscillations, il vibre au rythme de ma respiration, au rythme essentiel du mouvement des planètes, des étoiles, de leur scintillement, de leurs pulsations, de la respiration de l'univers auquel je m'accorde dans le silence.

Au réveil, deuxième illusion optique de la transparence marine après celle du matin, j'observe d'étranges vagues isolées progresser le long du lagon, non loin du rivage. Ce sont des vagues de poissons translucides sauteurs qui bondissent à l'unisson, en chœur, qui donnent ce sentiment de l'ondulation de la vague, plusieurs bancs avancent simultanément. Je rejoins Yoshiko dans l'eau lorsqu'à ma grande stupéfaction, j'aperçois un petit pan de sable avancer uniformément d'un mètre. Je me demande si j'ai la berlue, je continue mon observation, voici que le pan de sable se met à nouveau à glisser . Je le regarde attentivement, je comprends  qu'il s'agit d'un poisson en tenue de camouflage, dont les deux yeux noirs pivotent avec inquiétude en me voyant planer au dessus de lui. J'appelle Yoshiko pour lui faire part de ma découverte. D'après mes recherches ultérieures sur Internet, il s'agit d'une variété de sole, au corps ovoïde et plat, qui se déplace sur les fonds sablonneux, furtif, quasi-invisible, dont les nageoires striées lorsqu'elles se meuvent ressemblent visuellement à de minuscules pattes.


Sole en tenue de camouflage


Nous ressortons de l'eau, nous nous séchons et rangeons nos affaires. En attendant le taxi-boat, nous nourrissons les poissons avec le reste de notre pain en l'émiettant, ils filent comme des éclairs pour attraper la nourriture, à peine la miette touche la surface, les poissons captent sa trajectoire par la vision et le tremblement en surface pour se projeter vers la précieuse denrée.

Nous mangeons à la table d'hôte Una Una le soir. Je dis à Yoshiko que je l'apprécie beaucoup car elle a une âme d'enfant, elle me dit que j'en ai une aussi, nous convenons après une brève dispute amicale que je suis tout de même plus âgé, elle a cinq ans d'âge tandis que je m'approche de la dizaine … De retour à la maison, elle me demande si je peux lui montrer la constellation de la Croix du Sud depuis mon jardin. Il suffit de se tourner vers le sud, de ne pas perdre le nord, de chercher ces quatre points lumineux qui brillent dans le ciel en losange, je la quête dans le dôme céleste et la lui montre. Elle est enthousiaste, elle me raconte que son père la lui avait montrée lorsqu'elle était enfant lors d'un voyage à Sydney mémorable.

Fête coutumière et Soirée

Nous sommes allés le lendemain à la fête traditionnelle de Mua, avec comme à chaque fois la cérémonie des cochons et le kava royal. J'ai vu ce cérémonial près de cinq fois la première année, puis une seule fois les années suivantes, c'est peut-être la dernière fois que je le contemple. Le spectacle est déroutant quand on y assiste à l'arrivée sur l'île mais fondé sur l'immuabilité, l'aspect par essence répétitif de la coutume, il devient lassant à la longue. J'ai senti en trois ans déjà un très léger déclin dans ces cérémonies. Le nombre de cochons aux ventres tendus vers le ciel offert aux regards diminue, les jeunes délaissent le centre où les villageois plus âgés attendent respectueusement que les puissants boivent leur kava et regardent, nonchalants, juchés sur leur scooter, le déroulement du cérémonial. Combat classique de la jeunesse avide de nouveauté, de transgression, de rythme face à la société traditionnelle fondée sur la continuité, le respect de l'ancienneté, figée dans le temps de la permanence. La fête s'est finie sur les danses traditionnelles avec un vent qui s'est soulevée soudainement. Les papiers brillants dont les Wallisiens ornent leurs costumes lors des danses se sont éparpillés, ont dansé, tournoyé dans les airs, certains se sont élevés très haut dans le ciel avant de s'envoler plus loin, hors de la vue.

Tour de l'île de Wallis l'après-midi avec Yoshiko ainsi qu'avec un couple d'amis et leurs deux enfants. L'itinéraire s'organise avec moi en guide de Wallis selon la météo et l'accessibilité des lieux par la visite de l'oratoire du Christ aux cocotiers, du couvent des Carmélites, de la chapelle Saint-Pierre Chanel que je nomme l'église-du-bout-du-monde, le lac Lalolalo, lac célèbre de l'écho, l'église en construction à Lausikula, le fort tongien, la chapelle Sainte Jeanne d'Arc, l'église Saint Joseph, la pointe Tufumal que tout le monde connait sous le nom de promontoire RFO, et l'église du Sacré-Coeur qui est une église en forme de gâteau de mariage. Que d'église, de couvent, de chapelle ... pour une si petite île, mais Yoshiko ayant la particularité d'être chrétienne, elle sera passionnée par ces visites, et elles offrent parfois aussi la possibilité de contempler de très beaux panoramas sur le lagon. C'est le « Anthony's Tour » du nom d'un ancien tour-opérateur qui a quitté l'île. Toutefois, rapidement la visite a dû être écourté en raison de la pluie qui a commencé à sévir. Nous avons attendu avec Yoshiko et les deux enfants qui avaient pris place dans ma voiture que cela se calme devant le lac Lalolalo tandis que nous avons dû subir une attaque de moustiques, entrés précipitamment comme nous dans le véhicule, qui tourbillonnaient échaudés par l'orage à l'extérieur. « Banzaïï » nous avons affronté les ennemis vrombissants, agressifs Bzzz Bzzz qui nous attaquaient en piqué, en rase-motte, en kamikaze et nous les avons vaincus grâce à la femme samouraï du soleil levant. Revenus de la ballade qui avait été interrompu par les trombes d'eau devant la chapelle Sainte Jeanne d'Arc, j'ai dit à Yoshiko que c'était dommage que la pluie s'en soit mêlée mais comme d'habitude, dotée d'un incroyable esprit positif, elle m'a répondu qu'au contraire nous avions été  très chanceux de voir deux arcs-en-ciel, qui il est vrai explosent fréquemment dans les cieux de cette contrée de pluie et de soleil.

Le soir, invitation chez une amie de la salsa. Yoshiko a sorti à nouveau une redoutable arme, elle a troqué en deux ans son appareil photo contre un I-phone qu'elle manie avec une grande dextérité comme un jeune avide de nouvelle technologie, elle virevolte de dossiers en dossiers en maniant l'écran avec son pouce, agrandit les photos pour captiver , séduire son audience avec les vues de sa ville natale qu'elle adore. Elle éprouve toujours une fierté incroyable avec les photos des cerisiers en fleurs, que je me suis promis désormais d'aller voir un jour. Comme avec moi il y a près de deux ans, elle s'est liée en quelques secondes avec les invités puis a lancée des invitations à la volée pour une visite de Kyoto, attrape qui pourra.

Installant un rituel qui deviendra immuable pendant une semaine, qui la fascinera chaque soir, elle me demande une fois rentrés de lui montrer à nouveau la constellation de la Croix du Sud. Cette fois-ci, je lui demande de la trouver, ce qu'elle fait sans difficulté. Étrange fascination immémoriale de l'être humain pour le ciel étoilé, ses éblouissements nocturnes, comme si la matière en notre sein vibrait à la recherche de sa source mère, la lumière inextinguible.

Kayaks et Salsa

Nous devions faire du catamaran le lendemain mais le vent était aux abonnés absents. Nous nous rabattons sur le kayak. Yoshiko est enthousiaste : Super, je n'ai jamais fait de kayak. Elle me demande de lui montrer comment procéder, je lui explique le principe général emprunté à la marche : marcher, c'est mettre le pied droit en avant puis le gauche ; pagayer, c'est mettre la pagaie droite dans l'eau puis la gauche. Et miraculeusement, nous marchons sur l'eau en cadence grâce à mes conseils incroyablement avisés ;-) pour nous diriger vers l'îlot de Tekaviki.

Droite - Gauche et en avant

Nous visitons cet ilot ainsi que Luaniva. Au retour, petite baignade puis elle me fait écouter quelques musiques qu'elle écoute en boucle sur son I-phone. C'est Susan Boyle chantant « I dreamed a dream » ainsi qu'une chanson japonaise intitulée « Aitakute Ima » chantée par un artiste coréen qui raconte une histoire d'amour à un siècle de distance.

Au retour, nous sommes obligés de marcher sur la fin en tirant le kayak car c'est la marée basse. Arrivés à bon port, je me rends compte que l'une des pagaies est tombé par dessus bord, elle est échouée à quelques centaines de mètres près d'un récif qui affleure en surface. Je retourne la chercher et quand je reviens, l'incorrigible Yoshiko a noué contact avec le groupe de bénévoles wallisiens de l'association de voile, elle a noté quatre mots dans leur langue qu'elle essaiera d'utiliser les jours suivants à chaque fois qu'elle repérera des Wallisiens : « Bonjour » « Merci » « Au revoir » « On y va ».

Dans l'après-midi, je tente de terminer la visite de l'île, mais à nouveau la pluie allait nous surprendre au promontoire RFO. Yoshiko me demande de retourner voir le lac, qu'elle a trouvé somptueux. Je l'y emmène, je joue au jeu de l'écho dans cette enceinte dotée de falaises magnifiques, jeu pratiqué déjà avec mon frère. Je me penche légèrement à droite et lance un tonitruant « Yo - shi - ko » les trois syllabes bondissent, se suivent, se dépassent, s'entrechoquent, se répercutent dans la joie la plus haute, la plus sonore sur les roches pour nous revenir vers la gauche en boomerang. Elle adore le jeu, tente la même chose à plusieurs reprises avec les syllabes de mon prénom mais niet, aucun retour de la criée d' « Er - han » vers la gauche. Je lui dis que cela n'avait pas posé de problèmes avec les prénoms des jeunes enfants de mon frère, qu'ils s'étaient envolées le long des parois pour faire le tour du cratère du lac. Démonstration par A + B qu'elle est plus jeune que moi ...

Le soir, je donne les cours de salsa à l'association « Salsa Uvea », elle s'intègre à la rueda. A chaque fois qu'elle passe vers un nouveau cavalier, qu'elle le recroise un tour plus tard, elle le salue avec une petite courbette du buste et un sourire. Un de mes amis vient me dire à la fin : « Ton amie japonaise est fabuleuse et trop marrante ». Elle l'est.

Yoshiko à la salsa
 
 

jeudi 12 juin 2014

Séjour au Vanuatu : Le tour de l'île d'Efate

Le village d'Iarofa

La visite de l'île d'Efate se déroula en une journée. Elle commença par la visite d'un village coutumier Iarofa, située à une petite distance de la capitale. Nous arrivâmes non loin de celui-ci dans un petit van, la dernière partie de la route s'effectuant à pied. Avant d'entrer dans le village, le guide s'empara de deux frondes de fougère arborescente pour nous montrer ce symbole figurant sur leur drapeau national, symbolisant le respect et la paix.

Les fougères de la paix

Comme dans le village de Tanna où j'avais vu les « Big Nambas » entamer leur danse revêtus de leurs étuis péniens, l'entrée du village de « Iarofa » était marqué nettement par la présence d'un immense banyan, arbre aux multiples racines noueuses s'extirpant du sol. Là, un Vanuatais se présenta comme le chef du village et nous invita à passer à travers l'arbre géant. Impression de passer dans la terre avec ces dizaines de racines au dessus de nous, autour de nous qui nous enveloppaient comme si nous traversions la nef souterraine d'une cathédrale de bois.

Bienvenue à l'intérieur du banyan

Nous nous assîmes sur des bancs pendant que le chef nous présenta quelques éléments de leur culture traditionnelle, communs à l'ensemble des villages de l'île. Il expliqua qu'il n'avait jamais été à l'école, qu'il avait appris à parler l'anglais avec les touristes de passage, mais je n'ai pas cru cette affirmation pour la simple et bonne raison qu'il s'exprimait mieux que moi en anglais, alors que je l'ai étudié plus de sept ans. Je doutais même qu'il soit réellement chef de village, les deux que j'avais vu à Tanna étaient bien plus âgés que lui et cette fonction est dévolue dans ces sociétés traditionnelles de manière naturelle à la compétence acquise par l'expérience d'une longue vie. Il avait une tignasse qui évoquait les dreadlocks des rastas et une grande barbe mais son corps svelte, bien taillé était celui d'un homme d'une quarantaine d'années. Il avait sans doute été choisi pour jouer un rôle de démonstration car il avait un grand bagout et faisait rire parfois l'assemblée. Coutume effrayante à nos yeux modernes, le chef du village enterrait son premier enfant s'il s'agissait d'une fille avant l'arrivée des missionnaires au 19ème siècle. Il nous a montré les différentes techniques de pêche, collectives ou individuelles ainsi que le soin entretenu avec des plantes médicinales. Il expliqua l'importance de garder les nourritures en creusant des trous pour préserver les denrées durant les périodes de pluie intense, qui peuvent être conservés plus de trois mois avec leurs méthodes de préparation. Le banyan joue un rôle primordial dans leur culture et au plus fort des cyclones, c'est là que l'on s'y réfugie, au creux de l'arbre ou cachés dans les racines, les branches. Enfin, pour déterminer la nature comestible d'une plante, il expliqua que les anciens le jetaient par terre et observaient si les fourmis s'en emparaient. Fourmis, nos frères de nourritures ...

Puis nous nous dirigeâmes vers une grande place où nous eûmes droit aux danses traditionnelles de bienvenue. A la suite de cela, ce fut la cérémonie de la marche sur le feu, tradition qui existe dans de nombreuses îles du Pacifique comme par exemple Fidji ou Tahiti. Ici, elle servait de préparation à la guerre, l'homme qui passait l'épreuve du feu était apte à se frotter à la guerre, à s'élancer dans les fièvres du combat. Le jeune homme qui allait entamer la marche sur les brasiers fut aidé par un compagnon qui cracha sur la paume de ses pieds un mélange d'herbes qu'il avait mâché avec conscience. L'homme, mince, élancé, a esquissé les premiers pas sur le feu en ne s'attardant pas en chemin, il a effectué quelques allers et venues sur ces cendres chaudes. A la fin, il a esquissé quelques pas de danse.


La marche du feu

Ma vie s'est écoulée de feux en feux qui m'ont brûlé, qui m'ont dévoré, qui se sont éteints, qui se sont rallumés dans mon corps, le revêtant de lumière. Le frottement, la brûlure se sont élancés de la paume de mes pieds pour fluer en moi comme une conflagration de vie intense, pure pour exploser dans mon cœur, briller en éclats fabuleux dans chacun de mes neurones. Feux pâles et soyeux de l'enfance, j'ai glissé sur vous l'âme apaisée, rêveuse ; Feux brûlants de la passion, j'ai volé vers vous l'âme vive, enchantée, comblée ; Feux multicolores de l'amitié, j'ai marché, couru sur vous avec mon cœur battant la mesure de ma raison. Feux de la vie, je vous ai entendu bruire, craqueler, murmurer vos douces plaintes en moi ; j'ai senti planter vos morsures dans ma chair souffrante, endolorie ; j'ai ressenti les élans vifs de vos éclats quand je m'envolais, plein d'enthousiasme pour capter la beauté qui m'environnait. J'ai dansé dans les flammes dans une étroite communion avec celles qui rayonnaient dans l'univers, celles qui flamboyaient, explosaient au sein des milliards d'étoiles des galaxies, celles qui se projetaient depuis l'immense astre solaire vers nous, celles qui ondulaient dans les zébrures des éclairs au sein des orages, celles qui se répandaient sur les fleurs et les champs de blé. J'ai dansé sur le feu une valse lente fusionnelle, un tango triste au corps-à-corps, une salsa endiablée, haletante et une marche rythmée à travers le monde. Combien d'incendies encore devant moi, aurais-je encore la force de me consumer encore pour mieux ressusciter ?

Banyans et baignade

Nous reprîmes la route vers une école où les enfants d'école primaire nous attendaient et entonnèrent quelques chants. J'étais un peu gêné, je trouvais cette cérémonie un peu artificielle, spectacle téléguidé destiné aux touristes, tribu à laquelle j'appartiens il est vrai mais les enfants semblaient heureux, se poussaient du coude en chantant. Dans le bus, le guide nous expliqua que dans certaines parties de l'île, les enfants se lèvent près de deux heures avant le début des cours pour entamer une longue marche depuis leur village, mangent en chemin des fruits découpés de l'arbre avec leurs machettes, traversent des torrents tumultueux lors de la saison des pluies sur de simples troncs enjambant les cours d'eau. Et même topo le soir. Chez tous les interlocuteurs vanuatais, j'ai senti un respect absolu de l'institution scolaire. Et nous, nous nous indignons si le car scolaire a un quart d'heure de retard, ou parce que l'enfant a un cartable trop lourd à porter. Plus loin, le mini-bus ralentit tandis que le guide nous montra deux banyans, l'un mâle, creux avec de grandes lianes qui descendaient des branches telle une immense barbe et le banyan femelle, plein et sans lianes. Dans une cour d'école se dressait un très beau banyan dans lequel les plus petits enfants effectuent leur sieste à l'intérieur du cocon du géant.

Sa Majesté le Banyan

Un peu avant 11 heures, nous arrivâmes dans un petit écrin paradisiaque, le « Blue Lagoon » où il est possible de se baigner dans une étendue d'eau légèrement en retrait de l'océan dans une magnifique explosion de couleurs vertes et bleues entre les arbres, l'eau, le ciel. Les enfants se jetaient depuis une liane dans l'eau, je n'ai pas pu m'empêcher de faire de même. La liane m'a été gentiment tendue par des personnes dans l'eau, je me suis élancé depuis une branche en m'y accrochant. Tarzan sans Jane, j'ai sauté cul et jambes en avant dans l'eau Plouf en éclatant la surface de l'eau alors que mon cœur lançait un sauvage « Oo Iho-Iho Iho-Iho ».

C'est au Nord de l'île que nous avons accédé au restaurant, avec des sources thermales naturelles qui offrent la possibilité de se baigner dans des piscines. Buffet avec des grillades au menu, accompagné par les rythmes d'un petit orchestre de fortune en face du Pacifique.


En avant la musique

Le plus petit musée du monde ?

Dans l'après-midi, nous visitâmes un musée original, unique en son genre. Imaginez une vieille, petite bicoque en bois arrimée à l'océan, aux planches disjointes surmontée de tôles de fer mal posées, usagées et vous voilà devant le musée de la 2ème guerre mondiale d'Ernest, un personnage haut en couleurs de l'île. Dans le bus, on nous avait prévenu de ne pas l'interrompre quand il allait nous présenter les objets de son musée. Nous rentrâmes dans la cabane, et c'est la surprise de voir une quantité de rouille incroyable, flanquée de très vieilles bouteilles poussiéreuses dans cet espace exigu. Ernest a vécu son enfance et le début de l'adolescence au milieu de la 2ème guerre mondiale avec le choc de la modernité introduit par l'arrivée de l'armée américaine en lutte avec l'ennemi japonais. Plus tard, pendant des décennies, il a collectionné des vestiges de cette guerre trouvés sans doute dans des décharges, dans des champs, sur des plages abandonnées. Il a eu l'idée de regrouper ces vieilles hélices de moteur rouillées, ces bidons d'essence abandonnés, ces douilles trouées, ces vieux morceaux d'obus explosés et ces bouteilles de Coca aux formes galbées ainsi que d'autres bouteilles contenant de l'acide, de la bière datant de la période de la guerre dans cette bicoque le long de la route principale pour les exposer au grand jour.

Tac Tac Tac Tac il commença son discours pour présenter sa collection une vraie mitraillette en forme d'accueil avec un débit sec, haché dans un accent difficilement compréhensible qu'il semble avoir emprunté à ses hôtes américains. Quelques minutes plus tard, nous le quittions et un autre groupe entrait, c'est le même discours à la virgule près canardé à la volée, nous l'avons tous écouté cette fois-ci en rigolant.


Ernest et son musée de la guerre

J'ai trouvé l'idée de ce musée ingénieuse et amusante. Tous ces objets dans un pays occidental auraient abouti à la déchetterie, les voilà exposés à nos regards, nous interrogeant sur notre conception du musée, de la mémoire, sur notre rapport aux objets. Ce n'était pas le musée de l'Innocence, c'était le musée de la folie guerrière qui témoignait de la marque profonde, de la fascination laissée par la guerre mondiale du siècle dernier, empreinte durable observable également à Wallis. Subitement, toutes ces îles isolées dans le gigantesque Pacifique, ancrées dans une tradition millénaire, dans un présent éternel rythmé par le ballet du soleil dans le ciel, le vent, la pluie ont vu débarquer des oiseaux de fer répandant sur leurs paysages radieux des engins explosant comme des volcans, des navires bardés de bouches meurtrières dégueulant des hommes munis d'armes bruyantes qui les ont entraîné dans une guerre sans aucune signification pour eux. Ces îles ont été happées dans l'immense roue de la mondialisation meurtrière, de la ronde infernale, insatiable, carnassière de la société de consommation pour les relier au village global planétaire, pour les attraper dans la toile d'araignée de la société moderne, pour faire vibrer à l'unisson les sept milliards et quelques poussières d'êtres sur cet îlot minuscule noyé dans l'espace démesuré autour d'un soleil perdu au milieu des milliards d'étoiles de la Voie Lactée suspendue au sein des milliards de galaxies.

Rencontre de blogueurs dans le Pacifique

Le surlendemain, retour vers Wallis avec une halte à Nouméa. Surprise de revoir un ancien ami que j'avais connu à quelques 16 000 kms du Pacifique via des cours de danse en métropole, qui m'avait contacté pour son séjour de près de deux mois en Nouvelle Calédonie. Il avait autrefois un blog de poésie sur MySpace désormais fermé, il a rapatrié certains de ces  beaux textes sur son nouveau blog « Asile Poétique » et il a tenu un autre blog éphémère « Ma tête en bas » sur son séjour bref dans l'hémisphère sud. Et là, la tête en bas, les pieds en haut bien arrimés au sol, ayant obtenu l'asile tant désiré sur ces îles lointaines, avec davantage de pression sanguine vers le cœur et le cerveau, nous avons devisé jusque tard dans la nuit sur une terrasse de l'Anse Vata, parlant blogs, passé, futur, présent, politique et que sais-je encore.

 

Blogueur de l'Est Blogueur de l'Ouest
Blogueur du Sud Blogueur du Nord