mercredi 30 juillet 2014

My friend Yoshiko : Du Soleil Levant au Soleil Couchant

Frayeurs à Nukuhuione

Samedi, nous prenons le taxi-boat avec l'association Vakala pour nous rendre sur l'ilot de Nukuhione. Après avoir déposé nos affaires sur la natte et avoir fait une visite des contours de l'îlot, je souhaite emmener Yoshiko au trou du Diable, petite fosse en profondeur au nord où j'avais vu de beaux poissons et une raie trois années auparavant mais dans mes souvenirs, celui-ci était plus proche du rivage, je dois rapidement renoncer à mon projet . Nous nous promenons avec l'eau à la taille, à la recherche des poissons qui sont rares de ce côté du lagon. Nous nous approchons insensiblement du tombant, les vagues commencent à se faire de plus en plus impérieuses, déferlent vers nous avec force. Yoshiko commence à prendre peur, et se réfugie derrière moi lorsqu'une vague plus haute la percute de plein fouet. Cela devient un jeu, elle attend chaque vague avec impatience et dès que s'approche un rouleau d'écume plus impressionnant, menaçant de l'engloutir en raison de sa petite taille, elle se blottit dans mon dos en rempart en poussant un petit cri de frayeur. Ce jeu de la frayeur et de la joie a duré près d'une demi-heure, elle est capable de s'amuser un long moment comme un enfant avec des plaisirs très simples. Nous nous sommes enfin dirigés à nouveau vers l'îlot sur une zone de platier, avec l'eau bondissant parfois au niveau de nos genoux. Tout à coup, un éclair bleu foncé file, fuse sous la surface, c'est un bébé requin qui fuit à notre approche. Petit à petit, ils se multiplient, c'est une véritable nurserie de bébés requins, ils grouillent à cet endroit et passent comme des zébrures vives sous notre regard. Malgré leur petite taille, un très léger sentiment de frayeur se glisse en moi, ils peuvent avoir une taille de près de quarante centimètres mais dans ce bel oxymore de bébé requin, il y a certes « bébé », il y a aussi « requin » ... Je sens un frôlement sur ma cheville droite et avant même que je réalise, que je prenne peur, je vois le bébé requin foncer derrière moi au large après m'avoir effleuré.

Après le repas, j'entame une petite sieste qui s'étend vers le début de l'après-midi. J'entends du bruit dans ma douce torpeur, je m'éveille et vois Yoshiko juste à côté de moi, un grand sourire, l'air innocent, les yeux écarquillés, me demandant si l'on pouvait faire une nouvelle ballade. Je souris, je comprends par son attitude que c'est elle qui a fait sciemment du bruit pour me réveiller car elle commençait à s'ennuyer. Cette fois-ci, nous entamons une marche vers l'îlot Nukihafala vers le sud qui est atteignable à marée basse. Mais parvenus non loin du trou de la Tortue, je me rends compte que nous avions présumé de nos forces et qu'il serait impossible de rebrousser chemin à temps depuis Nukihafala avant le rendez-vous que nous avions fixé au taxi-boat. Nous revenons lentement et nous profitons de la demi-heure qui reste pour explorer à nouveau le versant nord. Au menu visuel de l'après-midi, trois bébés requins, un très bel oursin accroché sous une roche et un étrange crabe aux petits yeux rouges vifs pivotant sans cesse.

Coucher de soleil sur Uvea

La veille, au restaurant, Yoshiko m'avait demandé s'il était possible de voir un coucher de soleil sur Wallis. Je me suis rendu compte que je n'en avais jamais vu sur l'île car l'ouest de l'île où il serait possible d'en admirer un est quasiment inhabité et me suis dit que le plus bel endroit pour en contempler un serait l'église-du-bout-du-monde, la chapelle Saint-Pierre Chanel. Je l'y ai emmené lorsque le taxi-boat nous a déposé sur le rivage, nous avons attendu patiemment sur la terrasse de l'étage de la chapelle une vingtaine de minutes que le soleil commence à se pencher vers la ligne d'horizon, vers sa future tombe, son doux berceau. Yoshiko me demande dans combien de temps le coucher de soleil aura lieu, je regarde l'heure, il est 17h25, je lui réponds dans environ dix minutes. Elle sort son I-phone, pianote sur son écran à la recherche d'une application téléchargée, et l'écran indique 17h28.

Le soleil déploie dans sa course finale un immense bandeau lumineux qui palpite à la surface, dont les échos dorés explosent leur brillance dans notre iris, les reflets dansent, vibrent pour envahir l'espace et éclater en feux d'artifice dans le présent, dans notre mémoire. Le soleil brille comme la pointe d'un « I » éclatant de bonheur au centre des eaux du lagon, ivre de joie haute, dense, il s'approche encore de la surface ondulante qui le réclame, flotte comme la flamme d'un immense cierge à l'horizon puis il entame sa plongée dans la ligne lointaine, en quelques secondes, il accélère sa course et à l'heure dite par Yoshiko, la pointe de la bougie rejoint sa base de cire éblouissante pour  se fondre en elle.

Explosion d'or sur Wallis

Nous descendons de la terrasse pour suivre le coucher depuis la rive, à coté d'une petite croix blanche ornée des motifs peints en rouge du Sacré-Cœur entouré de deux soleils qui défie l'immensité océanique. J'éprouve une fascination pour la lumière des couchers de soleil qui en quelques instants peuvent exploser dans une teinte, puis s'échapper vers une autre, où le spectacle fabuleux du ciel compose un tableau éternel, mouvant dans lequel les couleurs bleue, jaune, violette, rouges, rose éclatent, s'entrecroisent, luttent entre elles, cèdent, reviennent à la charge, s'intensifient pour céder finalement la place à la nuit, qui engloutit, qui recompose. Spectacle des grandes luttes, des victoires, des défaites, des renaissances de notre vie, de nos passions qui s'entrechoquent avec celles des autres, de nos sentiments qui se tendent vers nos semblables, qui s'effacent, reviennent, s'exacerbent et périclitent jusqu'à l'extinction, la mort. Le soleil avait entraîné, engouffré dans sa chute les éclats dorés qui voletaient dans l'air, seule une légère bande jaune étroite et mince persista à l'endroit précis de sa disparition, entre ciel et océan. Après un bref épisode bleu glacé, ce sont des teintes pâles bleu azur clair, rose pastel qui se formèrent pour se déposer sur le lagon et l'horizon. Ces couleurs effacées sont celles qui accompagnent souvent les levers de soleil, celui-ci voulait sans doute rendre hommage en ce début de soleil couchant à mon amie du Soleil Levant. Quelques nuages d'une légèreté, d'une douceur de plume voguaient langoureusement dans le ciel bleu ange, et s'adressaient à leur reflet tremblant en surface dans une étreinte spirituelle : « Viens, Viens, hâte-toi vers le ciel immense, goutte de l'océan, envole-toi sous l'éclat du soleil qui reviendra, d'un seul élan porte toi vers nous pour voyager à travers le monde et t'y mirer ». Chaque goutte d'eau répondit alors à leurs frères-nuages vaporeux, qui glissaient, rêveurs, souriants, voluptueux dans les hauteurs : « Revenez, revenez vers nous, dans la grâce d'une légère pluie ou d'un fabuleux orage. Revenez à nous sans crainte, nous sommes la multitude étoilée, la source maternelle. C'est bientôt la nuit, en nous vont exploser, danser toutes les constellations de l'espace » Les nuages et l'océan continuèrent leurs douces complaintes longtemps après notre départ.

Soleil couchant

Une fois rentrés à la maison, Yoshiko insiste pour me faire à manger. Après moults et véhémentes protestations (bon, c'est vrai, pas si moults et véhémentes que cela ...), je cède. Au menu, soupe Mizo avec tofu, tarot et champignon, riz sucré-salé,omelettes aux tomates.

Wallis en catamaran

Dimanche matin, nous discutons sur la terrasse au petit déjeuner. Elle me dit que la vie est un miracle, que nous nous sommes rencontrés il y a plus de deux ans dans un avion et la voilà maintenant passant de très belles vacances sur une île dont elle ne soupçonnait pas l'existence. Je lui dis que c'est elle le miracle, qu'elle fait des efforts envers les gens, qu'elle leur fait confiance et qu'elle en est récompensée. Une amie lui a dit la même chose me révèle-t-elle. Yoshiko est un miracle de petitesse, de hardiesse bondissant à travers les océans, invitant ceux qu'elle rencontre à la volée sur son chemin et recevant des invitations à son tour.
J'étais inquiet pour l'activité de cette journée. Nous devions faire le tour de l'île en catamaran mais c'était bien entendu conditionné à la présence du vent. Or, depuis le début du séjour de Yoshiko, le vent s'était éteint. Nous arrivons à l'association Vakala Youpii un vent miraculeux s'est levé qui allait souffler modérément toute la journée avec suffisamment de vigueur pour faire avancer les voiliers. Nous tractons les bateaux pour les mettre à l'eau, nous déposons nos sacs de victuailles dans un canot à moteur qui nous suivra à la trace pour s'assurer également de la sécurité, et c'est parti pour le tour de Wallis. Les voiliers remontent vers le nord.

Je suis avec un groupe de cinq personnes à bord. Comme à chaque fois, les questions fusent sur Yoshiko, une japonaise à Wallis s'exprimant seulement en anglais est exceptionnelle. Je leur raconte la rencontre dans l'avion. Elle évoque son activité professionnelle, je dois souvent traduire car tout le monde ne parle pas l'anglais sur le bateau. Elle exerce des activités à mi-temps, elle est guide pour aveugle mais son activité principale est éducatrice pour des enfants atteints du syndrome d'Asperger, forme d'autisme. Elle a gardé au contact de ces gamins une âme enfantine.

Yoshiko et Pickachu

Rapidement, les voiliers se tirent la bourre, c'est à qui s'élancera devant les autres, les trajectoires se croisent, se tendent, les étraves des coques percutent, fendent l'eau, bondissent vers le ciel pour retomber sur le lagon et continuer leur progression. Le nôtre est du genre tortue, nous sommes un groupe plus nombreux à bord que sur les autres voiliers, nous avançons lentement tandis qu'un catamaran de compétition effectue des allers et venues entre l'île et le bord du lagon. Nous apprenons les rudiments de la voile, le foc et la grande voile du même côté et dès qu'on vire de bord, il faut manœuvrer avec les cordages pour tendre les voiles du bon coté. Nous passons près de l'îlot aux Oiseaux, et là virement de bord, nous passons vers le versant ouest de l'île. Le vent se met à souffler plus fort lorsque nous voguons non loin de la chapelle Saint-Pierre Chanel et en quelques secondes, la vitesse s'accélère Hop c'est le grand bond en avant sur l'eau, l'envolée soudaine vers des flots de plus en plus écumants.

Vogue la voile

Il y a plus de monde que de places disponibles sur les voiliers, nous faisons une petite pause à tour de rôle sur le canot à moteur. Tout de suite, avec le vrombissement, les sensations sont moins agréables, comme si le vent vivifiant soufflait à la fois dans les voiles quand nous sommes à bord des catamarans mais gonflait aussi notre cœur, nos poumons, notre âme en même temps que la toile tendue du bateau. J'en profite pour prendre la barre, puis pour proposer à Yoshiko de piloter à son tour le canot pour lui montrer les rudiments du pilotage. Je lui montre aussi les « arcs-en-ciel flash », que j'avais guetté avec allégresse lors de mes débuts à la plongée, qui naissent de la rencontre entre l'eau qui s'éjecte en écume du sillage du navire, quand il bondit, rebondit sur la surface, et de la lumière du soleil dans notre dos. Ils sont fluets, évanescents, à peine perceptibles car le bateau à moteur est peu puissant, les jets d'écumes sont faibles, à peine un simple voile de transparence marine mais ils éblouissent en un instant le regard du spectateur attentif.

Le catamaran de compétition s'approche de nous, les deux personnes à bord nous proposent d'essayer à notre tour. Le barreur qui officie sans copilote nous conseille de nous coller contre le trampoline au milieu, ce que nous faisons chacun d'un côté du mat. Et c'est la course en avant, le pilote met la cadence, accélère, le voilier commence à fuser. Nous sommes vrillés au trampoline, tandis que l'océan déferle sur nous par petites grappes d'écume qui jaillissent de l'avant depuis les coques. Le catamaran se met à une vitesse de croisière et se met lentement à basculer, à naviguer sur une seule coque tandis que le pilote fait contrepoids, l'angle d'inclinaison atteint les 45 °, la griserie de la vitesse se double d'une peur pour les novices que nous sommes. Nous nous cramponnons de plus en plus fort tandis que les giclées d'écume fouettent nos visages, que le sel brûle nos lèvres, nos joues, nous aveugle. Le pilote ralentit lorsqu'il s'approche du tombant du lagon, vire de bord et c'est reparti vers l'île de Wallis pour un tour. J'ai peur mais c'est encore pire pour Yoshiko qui crie parfois de frayeur lorsque le voilier semble faire une embardée ou lorsque la coque s'élève de plus en plus haut, à la limite du chavirement, que les jets forcenés d'écume bouillonnante nous éclaboussent, mais ce sont aussi des cris d'ivresse et de joie. Quant à moi, lentement je m'habitue, je commence à rire mais je n'en mène pas large, je suis complètement aveuglé, je cligne des yeux mais rien à faire, je suis incapable de voir quoi que ce soit. Nous réclamons une petite pause avant qu'il ne fasse encore un aller. A l'issue de celui-ci, le catamaran du matin se rapproche de nous, nous sautons dans l'eau pour le rejoindre, épuisés. Yoshiko ne sait pas bien nager donc je suis obligé de la saisir et de la tracter jusqu'à bord. C'est le repos bien mérité à bord.


Nous abordons l'îlot Saint Christophe vers treize heures. Repas sous forme de sandwich et après un repos sur la natte, nous courons dans l'eau pour nous y baigner. Les poissons sont beaucoup moins nombreux que mercredi, nous sommes plus d'une vingtaine de personnes, ils ont fui sous l'effet de groupe. Nous repartons, la remontée vers Vakala se fait à un rythme doux, dans la torpeur d'un bel après-midi, le vent ayant quelque peu faibli. Nous passons devant le promontoire RFO d'où nous avions contemplé la vue splendide du lagon dans laquelle nous sommes plongés et l'arrivée a lieu aux environ de 17 heures. Nous sommes les premiers à arriver, le voilier-tortue franchit la ligne tranquillement tandis que les catamarans-lièvres s'étaient reposés, avaient dormi, brouté en chemin, l'un d'entre eux ayant même subi une petite avarie. Yoshiko arbore un sourire ensoleillé.